Olga et Antoine ont signé une pétition contre le projet. Le conflit de voisinage monte en puissance, l’atmosphère anxiogène va crescendo. La bête humaine gronde. La violence peut surgir à tout moment. Comment ne pas vivre comme une bête? Que faire de la bête immonde qui couve en chacun d’entre nous?
Au lieu de livrer une réponse monolithique, Rodrigo Sorogoyen multiplie les points de vue, sans porter de jugement. Le cinéaste espagnol signe un thriller très puissant dans une mise en scène magistrale. Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera et Diego Anido (acteurs espagnols) sont exceptionnels. „As bestas, Comme des bêtes“, était présenté, (trop) discrètement, dans la section „Cannes Première“ (hors compétition) au Festival de Cannes. Tageblatt s’est entretenu avec Rodrigo Sorogoyen.
„As bestas“ s’inspire d’un fait divers réel …
On a lu un fait divers dans le journal local, au sujet de deux Hollandais maltraités dans un village de Galice. Quand on a commencé à écrire le scénario, on a pensé à un homme belge et à une Française. Nous pensions à un acteur belge, mais il n’était pas disponible. Finalement, on a trouvé Denis Ménochet. Du coup, un couple français nous intéressait davantage. La France et l’Espagne ont des liens étroits. La France très puissante a une sorte de supériorité morale, inconsciente, sur l’Espagne. Aux yeux des deux frères, Olga et Antoine sont des perturbateurs, des étrangers. On a changé la temporalité, les raisons du conflit.
Les premières images du film montrent des „aloitadores“ qui s’affrontent avec un cheval. Pourquoi avez-vous ajouté cette scène impressionnante?
C’est une tradition très importante dans la région de Galice. Et surtout violente et spectaculaire: trois „aloitadores“ prennent un cheval sauvage. L’objectif n’est pas de tuer l’animal, mais tout le contraire: une fois par an, il s’agit de couper la crinière du cheval et d’insérer la seringue pour combattre les parasites. C’est un jour de fête. Le reste du temps, les chevaux sont libres dans les montagnes. Il s’agit pour l’homme de vouloir dominer, domestiquer l’animal, la force naturelle. Il y a à la fois quelque chose d’humain et de très bestial. C’est fascinant. On a trouvé un lien entre la tradition galicienne et le déroulement de l’histoire. C’est très angoissant pour le spectateur.
Vous introduisez la question des éoliennes immenses et la manne financière qu’elle représente pour la population locale …
On parle de la virilité, de la masculinité, de l’injustice, de la patrie … On voulait aborder aussi le capitalisme sauvage qui s’insinue partout, y compris dans l’écologie qui devrait être un petit peu anticapitaliste. Partout, il y a toujours le profit, le chantage financier dans ces immenses structures qui devraient, normalement, être bénéfiques pour la population. La question des éoliennes, de l’énergie suscite un vrai débat dans la société espagnole. La mettre au centre d’un village et d’une dispute nous paraissait important.
Si le couple était espagnol, la réaction des locaux serait-elle la même?
La réaction serait différente, évidemment. Le dialogue aurait été plus facile. Dans un sentiment d’infériorité, de frustration, de peur, c’est plus facile de parler avec un Espagnol qu’avec un Français. Le sentiment d’infériorité n’existerait pas. Le Galicien n’aime pas répondre aux questions, il répondra par une autre question. Mais le film parle clairement de la xénophobie.
Vous avez la volonté de montrer les deux points de vue qui permettrait de comprendre la barbarie?
Notre point de vue est de ne pas tomber dans la simplicité. Nous cherchons à montrer la complexité de la vie, de l’être, des attitudes, des choix que l’on fait tout le temps. Un jour, on peut faire une chose, le lendemain son contraire, sans comprendre vraiment pourquoi. Quand quelqu’un fait quelque chose de monstrueux, nous essayons de comprendre parce qu’on est des êtres humains. Avec des désirs, des peurs … Quand je fais un film, je pense tout le temps au spectateur. Je veux croire que les choses qui m’intéressent peuvent l’interpeller. Je fais des films pour comprendre l’être humain.
A la campagne, les conflits sont-ils plus exacerbés?
C’est évident que dans la ville, tu peux oublier, surmonter plus vite parce qu’il y a beaucoup plus de stimulants. Si j’ai des problèmes avec mon voisin, j’ai beaucoup de choses à l’extérieur pour oublier. Mais à la campagne c’est plus difficile, parce qu’il y a très peu de choses: le travail, le bar et la boisson.
Tout le monde a des voisins. Cette proximité involontaire est-elle une façon d’explorer les rapports humains?
Oui, évidemment. Dans la vie quotidienne, un immeuble est un pays. Il y a différents rôles, diverses occupations et attitudes et, tout le temps, des conflits. La manière dont ils se résolvent constitue un excellent champ d’exploration pour faire un film.
Un des sujets est aussi la pauvreté extrême de certains villages en Espagne …
La Galice est beaucoup moins connue que la Catalogne, très autonomiste. Le pays galicien cumule les malaises et les crises depuis longtemps. Les petits villages se sont vidés, ont été abandonnés avec toutes les conséquences horribles que cela entraîne. Les jeunes partent, les anciens restent dans des conditions de vie très difficiles. Le pire moment est déjà arrivé parce qu’un certain nombre de citadins commencent à valoriser la vie dans la campagne, en dehors de la ville. J’ignore ce que fait véritablement le gouvernement espagnol. Mais il est vrai que, depuis quelques années, il est apparu une sensibilité citoyenne et sociale à vouloir retourner dans les petits villages. L’exode urbain, encore minoritaire, est palpable. J’ai vécu toute ma vie à Madrid, mais j’ai acheté une petite maison en Asturies que je suis en train de rénover. À la campagne, il peut y avoir un sentiment de solitude qui peut faire peur.
Les petits villages se sont vidés, ont été abandonnés avec toutes les conséquences horribles que cela entraîne. Les jeunes partent, les anciens restent dans des conditions de vie très difficiles. Le pire moment est déjà arrivé parce qu’un certain nombre de citadins commencent à valoriser la vie dans la campagne, en dehors de la ville.
Qu’est-ce qui vous a donné envie de travailler avec Denis Ménochet et Marina Foïs?
J’ai découvert que tous les deux connaissaient mes films précédents. Quelle surprise! Ménochet est énorme, massif. J’adore son physique d’animal qui est doux à l’intérieur. Pour le personnage d’Olga, on cherchait une femme très forte. Marina Foïs est très petite. En fait, c’est génial. Quand elle se retrouve seule, pauvre femme fragile, elle va rester dans le village. C’est extraordinaire de découvrir que Marina a une force intérieure incroyable. Elle est très dure.
„As bestas“ est scindé en deux parties.
Cette structure nous semblait intéressante. Dans la première partie, les deux frères sont très importants. On voulait faire croire au spectateur qu’il est en train de voir quelque chose qu’il connaît déjà. À la moitié du film, on lui dit qu’il verra un événement traumatisant. D’où le changement de rôle des protagonistes où la femme, les femmes sont mises en avant. Les deux frères ne changent pas sauf qu’ils sont dans le village, un peu en retrait. Leur mère devient importante grâce à Olga qui continue à vivre dans le village qui n’est pas le sien, avec l’assassin de son mari. Quand elle lui dit „on est femmes avant d’être mères“, elle exprime une parole de solidarité féminine, que les frères ne disent pas.
„As bestas“ de Rodrigo Sorogoyen. Avec Denis Ménochet, Marina Foïs, Luis Zahera. En salles.
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