Dans l’histoire du syndicalisme luxembourgeois, la création du département des femmes au sein de l’OGBL en 1981 aura été le marqueur d’une étape et le préparateur des suivantes, dont l’élection de Nora Back à la présidence du premier syndicat du pays n’est pas des moindres. C’est l’un des enseignements de la table ronde organisée mardi soir par le département renommé OGBL-Equality au sujet de la place des femmes dans le mouvement syndical luxembourgeois.
La tenue d’une table ronde, dédoublée d’une publication d’une brochure de 32 pages sur le sujet, était une nouvelle initiative d’envergure, quatre mois après la publication d’une étude circonstanciée sur le sexisme vécue par les femmes au travail. Il s’agissait cette fois, en explorant le passé, „de comprendre l’actualité et d’envisager mieux le futur“, expliquait Michelle Cloos, la responsable du département et membre du bureau exécutif de l’OGBL en amont de la discussion. „Il n’y a pas d’histoire sans femmes qui représentent la moitié de l’humanité. Il n’y a jamais d’événements historiques, de combats et de débats politiques dans lesquels les femmes ne sont pas impliquées. (…) Nous ne pouvons pas attendre que d’autres racontent nos histoires, mais le faire nous-mêmes.“
C’était néanmoins un homme, l’historien et membre du bureau exécutif du syndicat Frédéric Krier qui s’est chargé de la mise en perspective historique pour rappeler que longtemps les femmes n’ont pas été impliquées dans le mouvement syndical, quand bien même elles étaient bien représentées dans l’industrie, notamment textile. Leur place était hors du monde du travail dont la législation cherchait à les protéger et la morale à les en éloigner. „Les syndicalistes partageaient souvent l’idée de la femme au foyer, mariée et protégée par son mari ouvrier (et syndiqué).“ Il faut attendre ainsi l’année 1919 et Lilly Krier-Becker pour voir arriver la première femme syndicaliste. C’est sous son impulsion qu’est créé le Foyer de la femme en 1927 à Esch et deux ans plus tard nationalement – un lieu de rencontre et de politisation de femmes proches du mouvement ouvrier socialiste.
En 1944, quand le Conseil national du travail décide de l’instauration du salaire social minimum, il prévoit que celui des femmes soit limité à 80-90% de celui des hommes. L’égalité en la matière n’intervient qu’en 1963. Tandis que le principe de l’égalité salariale n’entre dans la législation nationale qu’en 1974 et qu’il faudra attendre la loi sur les conventions collectives de 2004 pour qu’il soit renforcé et 2027 pour que l’égalité devienne effective.
„Ce devrait être normal“
Dans la représentation également, les choses se sont faites lentement. Il aura fallu attendre 1981 pour qu’une première femme entre à la Chambre du Travail. La création de l’OGBL en 1978-79 marque une expansion du champ d’action de son prédécesseur (le LAV) dans des secteurs d’activité plus féminins, comme le commerce et la santé. Il permet aussi la création du département des femmes et la rédaction en février 1983 d’un memorandum sur les problèmes et revendications spécifiques des femmes. À l’époque, le bureau exécutif est encore exclusivement masculin et la demande qu’une femme prononce un des deux discours le 1er mai 86 n’est pas encore comprise. „Si je réfléchis aujourd’hui à mes 35 années de travail syndical professionnel, je constate que rendre l’OGBL et sa politique plus favorables aux femmes et adopter leurs revendications justifiées et souvent anticipatives, a été un processus long et laborieux, et chacune – et il y avait beaucoup de chères collègues – qui y a participé, peut maintenant regarder en arrière avec la conscience tranquille. Cela en valait la peine“, témoigne la première femme secrétaire syndicale engagée par l’OGBL, Danièle Nieles, dans la brochure dédiée.
Aujourd’hui, trois membres du bureau exécutif sur sept sont des femmes. Mais, comme le souligne la sociologue du LISER et membre du département des femmes, Carole Blond-Hanten, le chemin est encore long pour une représentation équitable. Si on considère les bureaux et comités exécutifs de toutes les organisations syndicales, les femmes représentent un cinquième des postes. Les chambres professionnelles affichent le même ratio tandis qu’aux postes de présidents et vice-présidents de délégation, la proportion est d’un quart de femmes pour trois quarts d’hommes.
Dans les délégations de personnel, la question de l’égalité est l’un des sujets les moins traités. C’est un dossier où les délégations reçoivent le plus d’information de la part des directions, mais il y a le moins de recherche de solutions négociées. „Il y a une obligation de négocier, de consigner le résultat des négociations dans les conventions collectives. C’est une obligation plus de principe que de moyen et de résultat“, constate la sociologue. „Au niveau des délégations du personnel, les hommes se servent dans les fonctions les plus prestigieuses et les femmes se posent encore beaucoup de questions sur leurs capacités.“
„Si on nous dit syndicaliste, on a tous des stéréotypes dans la tête et on voit plus souvent dans nos représentations un homme qu’une femme“, observe l’experte. L’élection de Nora Back est donc symboliquement importante. Cette dernière espère bien que son exemple suscitera des vocations. „J’espère montrer aux femmes que ça paie de se lever, de s’exprimer, de se défendre, et que ça peut aller“, acquiesce-t-elle, faisant toutefois état de l’ambiguïté d’un mélange de fierté (d’être la première présidente d’un syndicat) et d’agacement (que les journalistes l’interrogent sur le sujet). „Ce devrait être normal, mais ce n’est pas la norme, alors pour cela nous sommes fiers que l’OGBL y ait été prêt; cela signifie aussi que les femmes syndicalistes avant nous se sont investies et imposées, qu’elles ont fait un bon travail.“ Par contre, les autres organisations patronales et directions d’entreprises auxquels les syndicalistes sont confrontées, devraient suivre le même chemin. „Encore trop souvent, nous ne sommes confrontés qu’à de vieux hommes blancs“, explique-t-elle, chez qui s’exprime un sexisme plus ou moins conscient. Les organisations patronales sont constituées à 90% d’hommes. À contre-courant de l’Histoire.
La manipulation de l’indexation des salaires a aussi une dimension de genre puisqu’il affecte plus durement les femmes, surreprésentées dans les bas et moyens revenus, et qu’elles sont les premières exposées à la croissance des inégalités. Plus tôt dans la journée qui a vu l’organisation de la table ronde sur la place des femmes dans les syndicats, l’OGBL était rassemblé en conseil national, au sortir duquel son bureau exécutif a renouvelé ses critiques véhémentes contre le report de l’indexation signé sans son accord.
Le pays ne connaît pas de crise économique, a rappelé la présidente Nora Back, puisqu’on assiste ni à une progression du chômage, ni à des plans de suppression d’emploi ou à des faillites. Au contraire, l’économie continue à créer des emplois et certaines grandes entreprises à battre des records de profit. Dans un contexte d’explosion des prix, c’est justement au renforcement du pouvoir d’achat plutôt qu’à son affaiblissement qu’il faudrait œuvrer. Or, comme l’OGBL l’avait déjà souligné le mois dernier, un salarié des classes 1 et 2 qui fait des heures supplémentaires ou travaille le dimanche est perdant avec le crédit d’impôt énergie censé surcompenser le report de l’index, selon le storytelling du gouvernement. „Nous n’abandonnerons pas tant que l’index ne sera pas complètement rétabli», a prévenu Nora Back.
Une illustration parfaite de l’injustice de la décision prise réside dans le cas de la société de composants automobiles de Steinsel, CEBI, dans laquelle travaillent 640 salariés, dont 80% de femmes, rémunérées pour la plupart au salaire minimum. Depuis dix ans, il n’y a pas eu de hausse collective des salaires. L’indexation aurait été un instrument précieux de rattrapage, mais il a été supprimé au cœur d’un conflit social avec la direction de l’usine sur le renouvellement de la convention collective.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können