Naturellement, ces observations générales, et quelques autres plus particulières concernant notamment les Républicains et le Rassemblement national, restent encore soumises à ce que seront les résultats – eux, décisifs – de dimanche prochain, et l’évolution de cette masse d’abstentionnistes qui constituent aujourd’hui 52,5% du corps électoral.
Il n’empêche: sans se retrouver dans la situation de faillite que lui prédisaient certaines voix de l’opposition, à l’extrême gauche en particulier avec M. Mélenchon, il s’en faut même de beaucoup, la famille macroniste sort diminuée, affaiblie, de ce premier tour de scrutin. En termes de chiffres, certes, puisque ses candidats ont recueilli sensiblement moins de voix qu’il y a cinq ans, et s’apprêtent à se retrouver nettement moins nombreux dans la future Assemblée. Mais aussi en termes d’image.
Il est très rare en effet que les amis politiques d’un président fraîchement élu ou réélu recueillent si peu de voix au premier tour (pas tout à fait 26% dans le cas présent) et risquent de ne pas suffire à former une majorité parlementaire absolue au second. Le cas ne s’était présenté que pour François Mitterrand aux législatives de 1988. En outre, sur les quinze ministres qui se présentaient, si plusieurs – dont Gabriel Attal et Gérald Darmanin – sont largement en tête, d’autres, pourtant considérés comme des „poulains du président“, sont dans la situation inverse.
La tactique controversée de Macron
Ainsi de Clément Beaune à Paris, ou d’Amélie de Montchalin, dans l’Essonne. Quant à l’ex-ministre de l’Éducation nationale Jean-Michel Blanquer, qui passait il y a cinq ans pour le porte-drapeau du nouveau règne, il est éliminé dès le premier tour dans le Loiret, de même que l’ex-ministre du Logement Emmanuelle Wargon dans le Val-de-Marne.
Est-ce un effet de la traditionnelle „usure du pouvoir“? Sans doute en partie. Mais au-delà de la situation particulière de tel ou telle, certains responsables du parti présidentiel commencent à mettre en cause la façon dont l’homme de l’Elysée a géré, ou plutôt n’a pas du tout géré, la campagne législative, après son succès à la présidentielle. Tout s’est passé comme si Emmanuel Macron s’était convaincu qu’un président (ré)élu trouvait toujours une majorité parlementaire à sa disposition. Et qu’en matière de campagne électorale, mieux valait ne rien faire ou presque – méthode qui, après tout, lui avait permis d’être reconduit à la tête de l’Etat.
On ne saurait dire d’ailleurs qu’après l’avertissement reçu des électeurs dimanche, M. Macron ait changé soudain de tactique. Sur une campagne de second tour qui va durer jusqu’à vendredi soir minuit, il se trouvera en effet en voyage à l’étranger dès ce mardi: en Roumanie et en Moldavie, peut-être aussi à Kiev où les Ukrainiens l’attendent depuis de longues semaines déjà, ne serait-ce qu’au nom du Conseil de l’Union européenne qu’il préside encore jusqu’à la fin du mois. „Au moins, il ne risque pas d’être accusé de s’immiscer dans la campagne législative!“, constate, amer, un des candidats de LRM en position délicate.
Mener la vie dure au gouvernement
Du côté de la Nupes de Jean-Luc Mélenchon, qui regroupe l’essentiel du PS, le PCF, La France insoumise et les Verts, on affecte au contraire une exultation qui a incontestablement sa raison d’être. Cette alliance électorale a en effet donné à la gauche nettement plus de chances d’avoir de nombreux élus que si elle avait continué de se présenter en ordre dispersé. Pour autant, le total de ses voix du premier tour est inférieur de plusieurs points à ses résultats cumulés d’il y a cinq ans.
Et surtout, même les estimations les plus optimistes pour elle, s’agissant du deuxième tour, restent très en deçà des 289 sièges qu’il lui faudrait obtenir pour conquérir la majorité absolue, et permettre ainsi à M. Mélenchon d’être, comme il continue d’en afficher l’ambition, voire la quasi-certitude, nommé premier ministre d’un gouvernement de cohabitation. „Matignon ne s’éloigne pas, il se rapproche“, clamait encore hier soir le leader de LFI. Sans être mathématiquement impossible, cette perspective semble tout de même tenir plus, aujourd’hui, du mirage que de la vraisemblance. Mais l’intéressé compte manifestement sur une forte remobilisation des abstentionnistes dimanche prochain.
Reste qu’en réalisant une nouvelle forme d’union de la gauche, tant d’années après celle qui avait porté François Mitterrand à l’Elysée en 1981, Jean-Luc Mélenchon, quelles qu’aient été ses intentions et ses arrière-pensées personnelles, a redonné espoir à beaucoup d’électeurs de cette famille politique composite, qui désespéraient de voir leurs partis respectifs reprendre un poids véritable et un rôle important sur la scène politique française.
C’est sans doute pourquoi, même sans Matignon (ni le Palais-Bourbon, puisqu’il ne se représentait pas lui-même), il devrait, dans l’avenir immédiat, bénéficier de sa percée électorale. D’autant plus qu’avec un fort contingent de députés amis, même si chacun regagne son propre groupe parlementaire, il sera en mesure de mener la vie dure, à l’Assemblée nationale, au prochain gouvernement. Et cela en tant que principale force d’opposition, alors qu’il n’était arrivé que troisième à l’élection présidentielle.
Le paradoxe du RN et de LR
Paradoxalement, Marine Le Pen, de son côté, quoique brillante seconde de la course à l’Elysée, ne peut guère en effet espérer plus que quelques (rares) dizaines de députés pour son Rassemblement national, dont bien entendu elle-même. Elle aussi semble payer son effacement relatif durant la campagne législative: même si elle s’est beaucoup montrée en province pour soutenir ses candidats, elle n’a guère fait parler d’elle sur le plan national. Plus préjudiciable encore peut-être: contrairement à Mélenchon, elle s’est positionnée d’emblée comme un possible contre-pouvoir minoritaire; présentation certes plus réaliste que celle du leader de la Nupes, mais nettement moins mobilisatrice …
Quant aux Républicains, leur situation, à l’issue de ce premier tour, est elle aussi paradoxale. Ils n’ont réuni qu’un peu plus de 13% des suffrages selon les décomptes, mais ils craignaient tellement de voir se reproduire le désastre de la présidentielle qu’ils avaient peine, dimanche soir, à cacher leur soulagement. 87 de leurs candidats sont qualifiés pour dimanche prochain, dont 56 députés sortants; c’est plus de deux fois moins qu’en 2017, mais, sans pouvoir le dire, ils s’attendaient à pire.
Et surtout, pour peu que les macronistes ne décrochent dans la prochaine Assemblée qu’une majorité relative, les LR se verraient bien en „faiseurs de roi“. Non en ralliant purement et simplement la majorité présidentielle, mais du moins en votant certains de ses projets législatifs … moyennant une prise en compte attentive de leurs propres exigences, au coup par coup. On ne saurait dire, certes, que ce rôle de sauveteurs occasionnels du gouvernement, qu’ambitionnent déjà de jouer de manière plus permanente les centristes du MoDem de François Bayrou, soit dans la parfaite logique de la Ve République. Mais il leur donnerait au moins le sentiment d’exister encore – et peut-être les moyens de transformer plus tard ce sentiment en réalité.
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