Les parcours interactifs in situ ont la cote en cette année de capitale européenne de la culture. Mais sous les concepts qu’ils recouvrent se cachent souvent des réalités et des ambitions différentes. Il en est ainsi du soundwalk, de la balade sonore. L’urbaniste sonore Trond Maag et l’architecte sonore Andres Bosshard ont tracé trois itinéraires à travers Esch-sur-Alzette pour faire découvrir aux passants l’art de la marche sonore en les invitant à écouter les sons audibles en différents endroits de la ville (notre édition d’hier).
Mais si vous voyez des passants de la rue de l’Alzette, casques vissés sur la tête, s’arrêter à l’angle de la rue Dicks, regarder à travers une plaque qu’on pourrait croire d’égout, avant de danser autour et de sauter par-dessus, ce sont la musicienne contemporaine Catherine Kontz et la poétesse S. L. Grange qui en sont les responsables. La commune n’aide d’ailleurs pas le spectateur à cet endroit de la promenade à aider le non-initié à y comprendre quelque chose. Aucun panneau ne signale que sous la rue piétonne passe la rivière qui a donné son nom à la rue et encore moins qu’on peut la voir défiler là quand on y regarde de plus près. Dans leurs oreilles, les passants se font raconter l’histoire d’une rivière ensorceleuse capable de transformer un village en ville et qui les invite à faire un vœu qu’elle s’efforcera d’exaucer. La légende fait référence au poème „Den Hexemeeschter“ de Dicks, honoré dans la rue perpendiculaire à la rue à laquelle la rivière a donné son nom.
La promenade sonore „Wou d’Uelzecht-Esch“ de Catherine Kontz et S. L. Grange croise les expériences et les disciplines. C’est un parcours psychogéographique, musical, poétique et documentaire, par lequel les marcheurs écoutant des enregistrements en seize points de la balade sont invités à s’évader. Les deux conceptrices avaient déjà développé une première fois le concept à Londres. A l’époque, c’est la poétesse qui avait branché la musicienne sur un projet de mise en musique et en paroles d’un affluent de la Tamise. Mais à l’issue de sessions de repérage du parcours de la Fleet désormais couverte et qui donne son nom à une rue et une prison, elles ont trouvé qu’il serait beaucoup plus judicieux d’inviter le public à reproduire cette plaisante balade avec des écouteurs sur les oreilles dans lesquels elles feraient revivre le fleuve par le son.
Tout est ainsi parti de Londres. Et pourtant, tout désignait la résidente en Angleterre Catherine Kontz de transposer ce projet à Esch puisque son arrière-grand-père n’est autre que Charles Battin, fondateur de la brasserie éponyme entre l’Alzette et la gare, qu’une source située sous l’établissement abreuvait directement.
Flux de langues et de sons
La première station du parcours se situe en gare d’Audun-le-Tiche qu’on rejoint avec la ligne de train pittoresque – et pourtant constamment menacée de fermeture – qui relie Esch à la commune voisine française, en traçant un chemin parallèle à la trajectoire de l’Alzette. C’est un texte de S. L. Grange transposé en latin que l’on entend à cet endroit dans le casque, pour mieux rappeler que la tribu celte des Treveri habitait la région à l’époque romaine. Les langues qui ont été parlées au bord de la rivière forment un fil rouge de la balade proposée en huit langues (dont l’arabe et l’ukrainien).
A bord du train du retour, on écoute cette fois rêveur des souvenirs évoqués en luxembourgeois, ceux racontés en 1960 à RTL dans une émission baptisée „Aus der Kannerzeit“, par les voix de Tun Deutsch et Léon Moulin, lesquels évoquent les jeux d’enfants du début du siècle, consistant à sauter au-dessus du plus large bras de rivière sans se mouiller.
A la troisième station, à l’entrée de la rue Nelson Mandela, le trafic automobile d’Esch est sous les yeux, et celui de Londres dans les oreilles, tandis que la voix de l’écrivaine Carla Lucarelli évoque le fleuve en italien. À la prochaine station, on entre dans la rue de l’Alzette, avec les bruits du fleuve dans les écouteurs. Entendre ainsi courir à la surface une rivière que l’on croyait à jamais muette, parée d’une composition de Catherine Kontz, fait impression. On le doit à l’enregistrement binaural réalisé par Philippe Mergen (du CNA partenaire du projet) dans le canal souterrain.
Le moment musicalement le plus intense se vit à la station 11 diamétralement opposée, face à l’ancienne Metzer Schmelz qui abrite la très intéressante exposition Cueva. Guy Frisch (United Instruments of Lucilin) y exécute avec six types de percussions issues de matières métalliques recyclées (dont l’escalier métallique du CNA à vrai dire) le titre „Métallurgie pour percussions métalliques en six parties“ composée par Catherine Kontz dans une interprétation libre et intense de ce qu’ont pu être les sons de l’usine par le passé. Face à l’étang du Schlassgoart, c’est vers des contrées davantage mythologiques que nous emporte la voix de Véronique Nosbaum à la station suivante.
Auparavant dans la rue de l’Alzette, on aura écouté les voix des enfants de l’école du Brill dire „Ech sinn vun Esch“ dans la langue (et l’accent) de leur choix. On aura traversé ensuite la place du marché en écoutant les bruits des étals. Puis, sur les carreaux musicaux voisins qu’affectionnent les enfants, on aura écouté un concert des cloches de toutes les églises de la ville. L’enregistrement reproduit fidèlement les directions de provenance de ces sons de cloche, qui font partie de l’environnement de la ville que la balade met en exergue.
Plus loin, c’est un collage de fragments de cartes postales envoyées à la compositrice Helen Buchholtz que l’on aura entendu. Après le passage déjà évoqué par la Schmelz, on poursuit le parcours avec l’évocation de la brasserie Battin, avant de danser sur la passerelle du Gaalgebierg sur des airs de folklore portugais et de conclure sur la place du Brill, en retrouvant les souvenirs des jeux d’enfants dans une Esch au passé fantasmée et où, sur le Gaalgebierg, la joue collée au sol rouge, les enfants allaient écouter les explosifs déclenchés dans les entrailles de la montagne par les mineurs.
A vrai dire, comme sur les albums musicaux, il y a aussi un morceau caché, le 16e, c’est l’enregistrement subaquatique de l’Alzette là où elle prend sa source, à Thil. Catherine Kontz a préféré éviter le détour à pied par la commune lointaine: trop complexe et trop long. La balade dure sans cela trois heures. Au point où il est vivement conseillé de la coupler à une pause de son choix, sur les bords d’une Alzette fantasmée.
Infos
Le plan du parcours et l’audio du parcours peuvent être téléchargés sur www.wouduelzecht.com
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