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„HistorEsch“L’histoire d’Esch au bout du fil

„HistorEsch“ / L’histoire d’Esch au bout du fil
Pour Joëlla van Donkersgoed, post-doctorante en histoire publique, l’histoire peut être „une expérience physique“  Foto: Editpress/Tania Feller

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Le „département“ d’histoire publique de l’université du Luxembourg présente aujourd’hui, durant la Nuit de la culture, la première halte d’un projet d’audio-guide qui, à terme sur l’ensemble de la ville d’Esch, fera revivre la mémoire de lieux disparus physiquement, à travers la voix de citoyens qui en portent encore le souvenir.

Ce soir, durant la Nuit de la culture, une roulotte restera garée devant ce qu’il reste de la base de l’ancien haut fourneau C de Belval. La post-doctorante Joëlla van Donkersgoed et le professeur associé Thomas Cauvin accueilleront les passants. Pour mieux signifier qu’il y sera question d’histoire, ils ne se présenteront pas dans la tenue contemporaine avec laquelle ils ont l’habitude d’arpenter le campus tout proche, mais revêtiront des habits d’époque. Ils ne porteront pas non plus les habits étriqués des universitaires des anciens temps. Cela n’entrerait pas dans leur conception de l’histoire. Ils se glisseront dans les habits de Monsieur et Madame Tout le monde de jadis, proches ancêtres des citoyens et citoyennes essentielles à l’histoire publique dont ils sont les spécialistes.

Dans la roulotte, une frise chronologique déroulera l’histoire de Belval et des objets en lien avec les lieux seront exposés. Ces objets sont issus de différentes formes d’ateliers-rencontres avec les citoyens organisés depuis l’automne. Objets palpables en connexion à l’histoire, ils sont tant une invitation à se transposer dans le passé qu’à évoquer soi-même les souvenirs qu’ils ne manqueront pas d’éveiller. L’évocation d’autres objets qui auraient pu tout aussi légitimement y trouver leur place est tout aussi bienvenue et peut enrichir la réflexion sur l’écriture en cours de l’histoire d’Esch. L’histoire publique se veut une branche participative et donc flexible de la discipline historique. Elle propose de démocratiser non seulement l’accès à l’histoire, mais aussi sa production. Pour le dire plus scientifiquement, elle est une pratique qui facilite l’empowerment – l’émancipation en somme – des citoyens et citoyennes.

„L’idée est de partager notre autorité“, résume Joëlla van Donkersgoed. La post-doctorante est entrée dans l’histoire publique, petit à petit, au départ de l’histoire de l’art et via l’archéologie. Elle attribue volontiers à ses origines rurales son attrait pour la discipline. Elle est une fille du monde rural hollandais. Elle a grandi dans un village situé à proximité de la ville d’Amersfoort dans la province d’Utrecht, entourée d’agriculteurs. Lors de son master en archéologie publique et management de l’héritage archéologique, elle s’est d’ailleurs escrimée à comprendre pourquoi les entreprises et les agriculteurs étaient fâchés avec l’archéologie, qu’ils assimilaient aux retards imprévus et aux immobilités forcées. Elle en a conclu que c’était davantage une question de dialogue que de divergences sur l’intérêt de la sauvegarde du patrimoine.

Pour son doctorat à l’université de Rutgeers au New Jersey, elle a étudié les discours entourant le fort Nassau construit par le colonisateur néerlandais sur l’île de Banda en Indonésie. Elle s’est intéressée aussi bien aux interprétations historiques qu’aux interprétations des locaux et des nationaux, à la rencontre desquels elle est allée. C’est donc en toute continuité qu’elle est entrée dans le programme „Public history as a new science of the past“ dirigé par Thomas Cauvin et soutenu par le Fonds national de la recherche. Elle y coordonne le projet „HistorEsch“, qui se donne pour mission de rapprocher l’histoire du citoyen par l’art, les objets et les souvenirs.

„Une expérience physique“

Cette Nuit de la culture marquera aussi le lancement d’un outil mettant en avant les souvenirs, sous la forme d’un audio-guide d’un nouveau genre. L’idée est reprise du projet „Hear here“ mené dans la ville américaine de La Crosse dans le Wisconsin, reproduit ensuite dans le Canada, avant de franchir, en venant à Esch, pour la première fois l’Atlantique. Elle consiste à partager les souvenirs de citoyens et citoyennes au sujet de lieux qui n’existent plus. Après avoir identifié les lieux et les témoins potentiels lors d’ateliers qui se tiennent depuis l’automne, les expériences sont ensuite enregistrées. Et pour cette Nuit de la culture, ce sera la première fois qu’elles seront restituées au grand public et qu’on pourra les écouter, en composant un numéro de téléphone, indiqué sur un panneau en lieu et place du bâtiment disparu. 

Pour Belval, c’est donc le haut fourneau C qui a été retenu. S’il était à l’époque de son inauguration en novembre 1979 présenté comme le symbole d’une déclaration de foi de l’ARBED dans l’avenir de la sidérurgie au Luxembourg, ce sont plutôt ses dimensions dantesques qui ont survécu à son démantèlement en 1996 et son transfert dans la ville chinoise de Kunming – il aura été le plus grand haut fourneau jamais construit au Grand-Duché. Sa structure pesait 44.000 tonnes et sa production journalière d’acier brut atteignait 4.000 tonnes. Et dans la voix du témoin identifié par „HistorEsch“, on entend encore, plus de quarante ans après, l’impression que pouvait faire un tel mastodonte sur les gens de la sidérurgie. „Quand je l’ai vu pour la première fois, il était comme un monstre, plus haut que les hauts fourneaux A et B. Il faisait cent mètres de haut. J’en ai eu le vertige.“ Dans un autre souvenir, il raconte comment les lances habituellement utilisées pour ses deux voisins ont fondu dans le haut fourneau C, ne résistant pas à la température du nouveau venu. 

L’équipe ne voulait pas de QR code ni de géolocalisation pour ne pas pénaliser ceux qui ne maîtrisent pas ces technologies. Cela rend paradoxalement les témoignages accessibles à distance. Ils seront d’ailleurs aussi audibles dans leur version originale sur le site internet d’„HistorEsch“ (et leur retranscription lisible en plusieurs langues, en compagnie d’informations et de photos). Mais c’est bien sur place qu’il est recommandé de les écouter. C’est ainsi à l’endroit même où se trouvait le lieu dont il est question – tout autant qu’en ressentant les émotions dans la voix des témoins – que l’histoire devient une „expérience physique“, comme Joëlla van Donkersgoed aime la transmettre. Et comme aime également la penser l’anthropologue Laura Steil qui travaille sur les dancings du quartier de la „Grenz“, et qui proposera durant cette année plusieurs reconstitutions de bals des années 60. C’est son travail qui nourrira d’ailleurs amplement le troisième volet de l’audio-guide, celui consacré au quartier de la „Grenz“, où il sera question du dancing Viola.

En attendant, la prochaine station inaugurée le sera lors de la troisième des cinq Nuits de la culture, à Lallange, qui verra aussi l’inauguration d’une fresque historique réalisée de manière participative avec une artiste portugaise. Cette deuxième station de l’audio-guide proposera des souvenirs concernant l’aérodrome de Lallange, ouvert en 1937, lequel a accueilli la première liaison aérienne internationale du Luxembourg avant l’ouverture du Findel dix ans plus tard. À la fin de l’année 2022, cinq parties d’Esch proposeront chacune un lieu et un témoignage. Mais il est envisagé que par la suite, cette expérience dûment cartographiée sur le site internet d’„HistorEsch“ se poursuive et s’étoffe.  À La Crosse, quinze ans après son lancement, le projet „Hear here“, dont „HistorEsch“ a repris le logo, est toujours en cours et compte désormais 70 témoignages. L’histoire d’Esch est suffisamment riche pour en faire au moins autant. 

Infos

Tout le programme de la Nuit de la culture à Belval, à laquelle participe „HistorEsch“, est à retrouver sur internet: nuitdelaculture.lu