Dans une mise en scène délicate, son cinquième film rend une histoire d’amour ordinaire extraordinaire. Avec des personnages bien cernés et incarnés. Bouli Lanners filme d’abord une nature réaliste, englobante, entre mer et ciel bas, autour d’une maison sise sur l’île écossaise éloignée de tout. Cette grande balade intimiste se termine avec des paysages de silence, comme une trouée de beauté dans notre quotidien. Bouli Lanners est soulagé, heureux que le film terminé il y a près de deux ans sorte enfin en salle. Rencontre.
Comment vous est venue l’idée de raconter une histoire d’amour?
J’ai commencé à écrire un thriller avec un amnésique. Je me suis dit que s’il avait une histoire d’amour, ce serait un reset complet de sa vie. Cela faisait longtemps que je voulais filmer en Écosse. En écoutant la chanson „Wise Blood“ des Soulsavers et en regardant les paysages, je me suis rendu compte que j’avais envie de raconter une histoire d’amour. L’exercice est délicat, dangereux, casse-gueule. Rater une histoire d’amour au cinéma, c’est pathétique. On a l’impression que toutes les histoires d’amour ont été racontées. Mais, non, chacune est différente. C’était intéressant pour moi d’être dans la tête d’une dame de soixante ans plutôt que d’une jeune fille de vingt ans.
Vous avez déjà joué dans des films d’amour …
Oui, plutôt dans des drames. A mon âge, je me suis lancé le défi d’assumer une histoire d’amour, ce que je n’osais peut-être pas faire avant. Après „Les Premiers, les Derniers“ (2016), je voulais faire autre chose, me lancer dans un film moins „auteuriste“, tout en restant moi-même. „L’Ombre d’un mensonge“ raconte une vraie histoire d’amour fusionnelle entre un homme et une femme avec de la sexualité, du désir. On n’est pas dans un drame familial. La plupart des gens s’aiment! C’est une histoire d’amour entre deux êtres, je dirais, „normaux“. Et ils n’ont pas l’âge ni le physique de faire des couvertures de magazine. Je voulais raconter un amour qui vit l’instant présent sans se projeter dans l’avenir.
Millie vit sur l’île de Lewis, quasiment coupée du monde …
C’était important de figer le personnage dans une petite communauté religieuse assez fermée où elle se sent prisonnière du regard des autres, mais aussi enfermée physiquement. On ne quitte pas une île éloignée sur un coup de tête. Il faut prendre un avion, un bateau … Cela faisait longtemps que j’avais envie de tourner en Écosse. Je connais bien la beauté des paysages. J’ai le plaisir de les filmer, car ils me rappellent des émotions picturales qui restent très fortes. Cela fait plus de 30 ans que je vais en Écosse chaque année, j’adore ce pays. Je me suis installé sur l’île de Lewis pendant plusieurs mois. Elle a quelque chose de lié au passé. Les imperfections de l’endroit contribuent aussi à ce qu’on l’aime. J’aime les lieux imparfaits comme les gens et leurs failles. Le lieu a permis de retrouver une espèce de sérénité à travers une nature très présente et austère.
Millie, pleine d’amour, abuse de l’amnésie de Phil …
Moralement, ce qu’elle fait au sein de cette communauté très stricte et surtout mentir, est assimilé au diable. En même temps, il y a des mensonges qui amènent tellement de bonheur. Millie est le déclencheur de cette histoire, sans quoi chacun serait resté de son côté, sans jamais oser. Même si elle le fait pour elle, égoïstement, son attitude est très courageuse. Il y a des mensonges nécessaires. Phil a la chance de se réveiller amnésique et, peut-être, d’avoir tout de suite une histoire d’amour, sinon ce ne serait que de la souffrance. C’est tellement important de se souvenir de tout.
Michelle Fairley incarne magnifiquement Millie. Comment l’avez-vous repérée?
Grâce au casting écossais. Kristin Scott Thomas, Emma Thompson étaient sur les listes. Michelle possède une espèce d’austérité physique presbytérienne particulière à l’île. On sent en même temps qu’elle est une femme pleine de sensualité et d’amour, qui a besoin d’être aimée. Il fallait que cela se ressente. Michèle n’a pas beaucoup été vue au cinéma, mais elle est extrêmement connue grâce à „Game of Thrones“ où elle était parfaite dans le personnage de Catelyn Stark. La faire jouer un rôle de femme sensuelle au cinéma était un peu nouveau pour elle.
Vous rêviez d’être le héros d’une histoire d’amour en tant que comédien?
Je ne voulais pas jouer le rôle. Je l’avais écrit pour Marcello Fonte, éblouissant dans „Dogman“ de Matteo Garrone (2018). Malheureusement, il ne parle ni français ni anglais et il n’était pas libre. On cherchait un homme au physique improbable que l’on a pas trouvé. Du coup, encouragé par le producteur, je l’ai joué, en anglais. J’ai réécrit le scénario pour que ce soit moi, avec mes tatouages (sourire). C’est très dur de réaliser et de jouer en même temps. Je l’ai fait quatre fois, je ne le referai plus.
Vous êtes-vous inspiré de la littérature anglaise pour écrire l’histoire?
Je suis un grand lecteur de la littérature anglo-saxonne, d’auteurs anglais tels que Jonathan Coe, Ian McEwan. Je suis un grand admirateur d’écrivains américains héritiers de Faulkner. La fabuleuse maison d’édition Gallmeister a notamment publié une nouvelle traduction des œuvres de Larry McMurtry. Une merveille. Je relis „Walden“, un récit philosophique dans lequel H.D. Thoreau raconte sa vie dans une cabane au milieu d’une forêt, durant deux ans. Je rêve d’un monde où je pourrais vivre l’expérience de Thoreau. Je sais que c’est impossible. J’aime l’idée d’un idéal auquel on n’a pas accès. Je suis un grand lecteur, bien plus qu’un spectateur. Je n’ai pas lu tellement de romans d’amour, mais j’ai vu beaucoup d’histoires d’amour au cinéma.
C’est très dur de réaliser et de jouer en même temps. Je l’ai fait quatre fois, je ne le referai plus.
Quels sont vos projets?
Je termine l’adaptation d’un roman de Serge Joncour, „Nature Humaine“ (Prix Femina 2020). Travailler sur une œuvre qui existe est un nouvel exercice pour moi. C’est l’histoire d’un jeune qui reprend la ferme de ses parents, entre 1975 et 1999. Il prend des décisions difficiles, douloureuses, pas toujours bonnes. Cette commande est l’occasion pour moi de faire un film un peu plus politique qui correspond à mes convictions citoyennes et écologiques. C’est aussi une intrigue amoureuse entre le jeune fermier et une Allemande de l’Est. Je rêverais d’avoir Vicky Krieps dans le film qui devrait être financé par une société de production luxembourgeoise.
„L’Ombre d’un mensonge“ („Nobody Has To Know“) de Bouli Lanners. Avec Bouli Lanners, Michelle Fairley, Andrew Still, Julian Glover, Clovis Cornillac.
Sie müssen angemeldet sein um kommentieren zu können