Headlines

Biennale de VeniseTina Gillen comme sur un set de cinéma

Biennale de Venise / Tina Gillen comme sur un set de cinéma
„Sealevel IV“, acrylique sur toile Photo: Florian Kleinefenn ©Tina Gillen / Courtesy of the artist

Jetzt weiterlesen! !

Für 0.99 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Dans la salle d’armes de l’Arsenal à Venise, Tina Gillen donne une troisième dimension à la peinture pour mieux s’adapter aux spécificités du site et surtout mieux questionner le spectateur sur son époque.

En printemps 2020, le jury pour le pavillon luxembourgeois de la Biennale d’art contemporain de Venise avait fait un choix audacieux en nommant Tina Gillen pour représenter les couleurs du Grand-Duché. Non pas parce que l’artiste qui fête ses 50 ans cette année serait une novice, mais parce que son médium de prédilection, la peinture, n’a plus souvent les honneurs des grandes messes. 

Tina Gillen fait toutefois de la peinture qu’on pourrait qualifier d’augmentée, puisqu’elle aime depuis toujours lui donner une troisième dimension ou la faire interagir avec les spectateurs. C’est ce qu’a notamment mis en évidence l’échange entre le membre du jury et non-commissaire du pavillon pour le Mudam, Christophe Gallois et la lauréate, jeudi dernier, à l’occasion de la présentation du Pavillon à la presse avant que le public ne le découvre dans la cité des Doges à partir du 23 avril pour sept mois. 

Tina Gillen a ainsi toujours montré un intérêt pour la relation de la peinture à l’espace. La collection du Mudam en témoigne, puisqu’elle abrite „Ceiling distort“, une pièce que Tina Gillen avait présentée dans feue la galerie Alimentation générale en 2001. Il s’agissait d’une reproduction d’une ancienne salle d’Anvers courant par delà l’angle que faisaient un mur et le plafond. Il s’agissait d’obtenir une distorsion, de proposer un changement de perspective pour déstabiliser le spectateur et rendre abstrait un motif pourtant figuratif. 

En 2015, à Bozar à Bruxelles, elle avait exploré l’idée d’une „peinture dans le paysage“, en réutilisant le motif d’une petite toile – le toit à l’envers d’une maison délabrée au passage de l’ouragan Katrina en 2005 – pour la projeter au milieu de l’espace d’exposition sous la forme d’une structure de bois qui rappelle la charnière qui accueille la toile. „Face à l’artiste, il y a la toile et la structure en bois qui la tient debout. J’aime le dos des choses, leur envers“, confie-t-elle. 

„L’idée d’un décor de cinéma peint“

Tina Gillen aime jouer sur plusieurs registres. Christophe Gallois évoque l’ambiguïté savamment entretenue de son œuvre, son „oscillation entre abstraction et figuration, entre structuration et improvisé“. On retrouvera ce jeu d’échelles dans l’exposition vénitienne tout comme on y ressentira l’influence du cinéma qui semble aussi constituer un discret fil rouge dans sa carrière. „J’avais l’idée d’un décor de cinéma peint et celle d’utiliser l’espace comme un set cinématographique. L’exposition ‚Faraway so close’ fait d’ailleurs référence à  ‚Les ailes du désir’ de Wim Wenders. À la manière de l’ange du film, Tina Gillen partagera son regard sur le monde en se mêlant à la société. Il lui a fallu pour cela trouver une scénographie adaptée à la spécificité du lieu d’exposition vénitien. Il y était impossible  – ni même désiré d’ailleurs – d’accrocher des peintures aux murs.

Tina Gillen avait travaillé dans le passé pour les besoins d’un vaste panorama incurvé et baptisé „Monkey cage“sur des structures spécifiques pour accrocher ses peintures de plus grande taille. Dans un esprit qui fait écho à celui qui vingt-cinq ans plus tôt entourait sa première œuvre ‚Häusersequenz’dont les visiteurs étaient invités à choisir les cadres à accrocher au mur, les toiles sont plutôt stockées qu’exposées, pour qu’elles puissent bouger au fil des six mois d’exposition.

Sa proposition pour Venise consiste en une installation picturale de huit grandes toiles. Au centre de l’organisation figure un espace architectural, que Christophe Gallois serait tenté de qualifier de sculpture, qui est un avatar d’une maison figurant sur une œuvre de 2018 („Rifugio“). C’est un abri observé en bord de mer sur une plage normande, sur laquelle chaque année elle emmène ses étudiants de la Royal Academy of Fine Arts d’Anvers pour peindre en plein air, qui en est le motif. Elle avait d’abord souvent photographié cette construction inhabitée en prise avec son environnement fait de marées et de bourrasques, avant de la peindre, puis désormais de la rematérialiser sur les bords de la lagune vénitienne.

Les visiteurs de la Biennale pourront pénétrer dans la cabane. Ce sera à la fois un refuge dans lequel trouver le repos et se ressourcer, mais aussi un emplacement idéal depuis lequel observer le monde peint par Tina Gillen qui l’entoure. On pourrait aussi imaginer être dans ce refuge comme devant la télé, à se laisser inonder par les images des médias qui s’invitent dans notre espace de vie et avec lesquelles il faut composer, suggère l’artiste. 

De là, on pourra contempler justement un monde bousculé par le changement climatique, fait de sensations et de visions diverses et parfois contraires, sur des œuvres très grandes (la plus petite mesure 270 x 190 cm) qui offrent une expérience littéralement physique au visiteur. „La quête des bonnes dimensions a été la recherche la plus difficile à mener“, concède l’artiste. Il y aura ainsi la première œuvre conçue puis réalisée, „Sunshine III“. C’est la plus grande (390×700 cm) et on ne sait pas bien si elle figure un soleil, plutôt rassurant et chaud, où une explosion qui menace par des piques noires. 

Tina Gillen aime relever le défi de peindre des éléments invisibles. Il y a sur ce premier tableau le feu. Il y aura sur le suivant, „Arctic forecast II“, l’air. Elle entend avec cette pièce faire ressentir au spectateur un vent glacial.  L’œuvre de Tina Gillen pose souvent la question du réchauffement climatique, de ses dégâts comme des défis qu’il pose. Les sale di armi à la Biennale de Venise seront un des endroits où se confronter à la question, où se demander „comment en tant qu’êtres humains nous réfléchissons à travailler avec la nature plutôt que de se barricader ou d’adopter des manières trop brusques en contre-partie“. 

Dans un ouvrage à paraître en avril, la critique d’art Marielle Macé, qui suit Tina Gillen depuis des années, évoque des „paysages incertains“ que l’artiste se plaît à dresser devant le regard des visiteurs. Christophe Gallois pense qu’on peut l’employer au sujet de „Power II“, une structure évoquant l’impact de l’homme sur la nature et qui souligne l’importance de l’énergie dans notre société. Trois œuvres portent le nom de „Sealevel“. Elles évoquent l’habitat de l’homme face à la nature, et son élément le plus indomptable, l’eau. Il y a une maison sur pilotis, référence à Venise et métaphore de l’imprévisibilité des eaux. On découvre également une maison qui se confond avec le ciel, par laquelle Tina Gillen joue avec le bidimensionnel de l’image.

Cette participation à la Biennale de Venise se double d’ailleurs d’un programme de recherche „Forms of life“ réalisé en collaboration avec la Royal Academy of Fine Arts d’Anvers, où l’artiste enseigne depuis 2007 et qui culminera avec un workshop d’une semaine à Venise en septembre 2022. 

„Power II“, 2022,  acrylique sur toile, 380 x 270 cm<br />
„Power II“, 2022,  acrylique sur toile, 380 x 270 cm
 Photo: We Document Art ©Tina Gillen / Courtesy of the artist