Une crise financière n’a pas que des inconvénients. Celle de 2008 était le fruit d’excès, d’une autonomisation du secteur financier par rapport à l’économie réelle. Et l’ancien bâtiment de mise en bouteilles de la brasserie de Clausen situé tout au bas de la rue de Neudorf aurait pu en devenir une de ses aberrations. Mais heureusement, le projet d’y implanter à sa place un hôtel cinq étoiles, dans un quartier encore populaire, a sombré avec la crise des subprimes.
L’endroit que l’architecte Tatiana Fabeck nommait le bunker a bien résisté aux assauts des investisseurs. L’architecte qui avait gagné le concours pour la construction de l’hôtel avait en mémoire cet endroit singulier, vaste et bien placé à la fois, qui depuis l’arrêt de la production de la bière de Clausen et de sa mise en bouteilles, avait servi de lieu de stockage à la Compagnie luxembourgeoise de télédiffusion (CLT). Elle a suggéré en 2019 à la Fondation de l’architecture et de l’ingénierie, désormais nommée Luxembourg Centre for Architecture (LUCA), d’y trouver refuge, elle qui était condamnée à quitter ses locaux de la rue de l’Aciérie cédés pour un loyer plus que dérisoire par la société Paul Würth.
Après deux ans de travaux et une ouverture le 22 février, le lieu est finalement devenu accessible à tout public, y compris les personnes à mobilité réduite. Il a fallu pour cela restructurer en profondeur le bâtiment constitué initialement de deux plateformes qui n’étaient reliées entre elles que par une échelle. Il a fallu construire un escalier monumental desservant quatre niveaux. Ce n’était pas une mince affaire, car le bâtiment jadis dédié à la mise en bouteilles, était composé de structures en béton colossales qu’il a fallu découper et restaurer. Le chantier a été conduit avec pour principes réparer plutôt que détruire, laisser brut ce qui peut l’être et recycler ce qui est possible.
Le rez-de-chaussée est une salle culturelle destinée à combler un manque dans les quartiers Neudorf et Clausen. Et au niveau supérieur, en fait constitué de plusieurs plateaux, il y a les 800 mètres carrés d’espace occupé par le LUCA. À part ses bureaux, ce dernier y dispose d’un bar ouvert à tous, d’un espace d’exposition, de sa bibliothèque de 8.000 ouvrages qui lui permettra d’exposer sa collection de maquettes et d’une salle de conférences. Depuis ce lieu, le LUCA entend diffuser la culture de l’architecture au Luxembourg, dont le paysage nous enseigne chaque jour qu’elle n’a pas forcément pénétré toutes les strates de la société.
Sol précieux
Pour la tenue de conférences et d’expositions, le LUCA fait appel à des curateurs. L’exposition inaugurale „Eise Buedem“ est la meilleure démonstration que l’architecture peut véhiculer une pensée critique et apporter sa contribution aux défis qui se posent à la société. Présentée à la Biennale de Venise, elle en avait été considérée „par la critique comme le pavillon le plus politique“, rappelle le LUCA dans sa communication. Le visiteur est accueilli par un couloir étroit et court au bout duquel une phrase lui explique que le couloir qu’il vient d’arpenter couvre 8,7% de la surface d’exposition, soit la même proportion que la part du territoire grand-ducal qui est encore en possession de la main publique. „C’est une question centrale pour la transition socioécologique, face au changement climatique et aux inégalités sociales“, explique le curateur Florian Hertweck, professeur en architecture à l’Université du Luxembourg, qui souligne ironiquement que le Luxembourg est „à l’avant-garde“ pour sa faible marge de manœuvre.
L’exposition présente onze projets architecturaux appartenant à l’histoire des idées. Ce sont onze leçons d’architecture théoriques, puisqu’elles n’ont pas connu de transposition sur le terrain. Une première vue d’ensemble semble projeter le visiteur dans un projet de ville futuriste telle la New Babylon nomade des situationnistes. Et pour cause: les bâtiments sont ou modulaires ou montés sur piliers parce qu’ils intègrent la rareté foncière dans leur raisonnement. C’est le cas par exemple de l’imposante maquette, à l’échelle 1/33, du projet de Banque fédérale américaine de l’architecte américain Kevin Roche qui prévoyait de surélever le bâtiment sur quatre piliers de 57 mètres de hauteur pour laisser en dessous une place libre pour la ville.
La réflexion de l’exposition vénitienne se poursuit au plateau supérieur, qui accueille les conférences par la présentation d’expérimentations architecturales plus récentes réalisées par l’Université du Luxembourg. La réflexion sur les possibilités de réduire l’empreinte au sol et d’augmenter la densité tout en offrant des espaces mutualisés a abouti à la proposition de la réalisation de structures en béton armé capables, à la manière d’une étagère, d’accueillir des modules mobiles entièrement préfabriqués en bois, de 25 m2 de superficie, qui sont des espaces d’habitat optimisé pour un célibataire ou des couples de tout âge. Avec le temps, il est possible d’ajouter horizontalement et verticalement d’autres modules pour former un appartement de deux à trois pièces, en fonction des besoins des habitants. Les modules peuvent être enlevés du bâtiment à l’aide d’une grue pour intégrer une autre structure en béton. Et ces dernières peuvent elles-mêmes être mises côte à côte pour former une barre ou un îlot. Le rez-de-chaussée est réservé aux commerces et entreprises, tandis que les toits sont investis pour des activités de loisirs et de jardinage.
L’exposition est accompagnée d’une série de conférences afin de „dépasser le stade des discussions et agir“, expliquait Marielle Ferreira Silva, doctorante en architecture. Seront abordées six thèmes, comme autant de manières d’agir sur la problématique: étendre, contourner, coopérer, communaliser, réguler, imposer. Ils sont explicités sur des panneaux. Extrait du panneau „Étendre“: „Nous devons passer de l’extension des villes à l’approfondissement des territoires.“
Programme
– 1er mars: conférence inaugurale. „Esquisse d’une réforme foncière“, par Florian Hertweck, architecte, professeur à l’Université du Luxembourg
– 15 mars: „Planifier“, avec Tanja Herdt (architecte, professeur à la TU-Delft) et Lex Faber („Urban and spatial planner“ chez Zeyen+Baumann)
– 3 mai: „S’approprier“, avec Daniela Brahm (artiste), Norry Schneider (coordinateur de la plate-forme de la transition) et Christian Muno (cofondateur du „Bamhaus“ à Dommeldange)
– Autres conférences: „Administrer“ (17 mai) et „Cultiver“ (7 juin)
– Projections: „Kiss the ground“ (1er avril), „The Property Drama“ (13 mai)
Toutes les manifestations débuteront à 18.30 h.
Programme complet et inscriptions: www.luca.lu
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