L’interdépendance est bien l’enseignement essentiel de la pandémie actuelle. Cette crise sanitaire a eu l’effet bénéfique de révéler l’importance stratégique des personnels de santé, mis sous pression à longueur d’année sous l’effet de calculs d’intérêt économique. Tout comme elle a montré l’utilité déterminante des caissières des supermarchés, du personnel de nettoyage ou des transporteurs routiers, qui ont tenu leur place aux pires moments de la pandémie. La pandémie passée, il faudra amener les nantis à contribuer leur part dans la lutte contre la crise économique et la crise climatique en vue. Cela par la voie de prélèvements accrus sur le patrimoine et les revenus des plus riches, d’une taxe sur les transactions financières ou encore d’une imposition réelle des grandes multinationales.
Un autre bienfait dans cette période de confinement a été l’émergence de multiples innovations en matière de solidarité. Ne citons que l’approvisionnement des personnes âgées par leurs voisins. Alors que les différents pays de l’Union européenne ont fait bande à part lors de la crise sanitaire, on doit espérer qu’ils se ressaisissent pour combattre ensemble la crise économique. En effet, vu que la reprise dans chaque pays européen dépend aussi de la santé économique des autres, on pourrait penser qu’une entraide serait de mise. Et qu’au moins le principe d’un endettement commun serait acquis. Or il semble que les dirigeants allemands, néerlandais, autrichiens et finlandais n’aient toujours pas compris que la solidarité entre pays de l’Union sera payante, puisqu’ils continuent de refuser l’émission de titres de dette communs. Un argument lancé contre la création de „coronabonds“ insinue que les pays nantis du Nord de l’Europe devraient alors payer un taux d’intérêt plus élevé que s’ils émettaient leurs propres titres de dette. Matthias Weber a par contre montré sur son blog(2) que „si [les coronabonds] sont bien conçus, leur émission ne coûtera rien aux pays du Nord“. Le taux d’intérêt d’une telle dette ne serait en effet pas la simple moyenne des taux d’intérêt de tous les pays participants mais résulterait d’un mécanisme d’offre et de demande. Alors, plus il y aura d’investisseurs intéressés, moins cette dette sera chère à financer. Tout dépend de la confiance qu’inspirent les titres en question et les pays de l’Union auraient intérêt à se présenter dans un même bateau au lieu de se chamailler.
Du moins la Commission européenne a-t-elle compris deux choses: (1) que nombre de pays ne peuvent s’endetter davantage et ont besoin de subventions et (2) que l’économie européenne risque de s’enfoncer de 8 à 10 % dans le négatif et qu’il faut la secourir d’un commun effort. Le plan de relance de la Commission de l’ordre de 1.500 millions d’euros au minimum devra permettre à tous les pays (et particulièrement aux moins nantis) d’y puiser. Encore faudra-t-il assurer son financement! Et voilà que l’Allemagne s’oppose – via Madame Merkel – à la proposition d’un emprunt à lancer par la Commission européenne et met aussi en question – via le „Bundesverfassungsgericht“ – le programme de rachat des dettes publiques par la BCE comme sortant du cadre des traités européens. Le moins qu’on puisse dire c’est que l’Union européenne risque cette-fois-ci de manquer le coche pour de bon!
Le retour en force de l’Etat est indispensable pour limiter la casse
Grâce à l’action déterminée des pouvoirs publics, le confinement a permis d’aplatir la courbe des cas d’infection et à éviter la surcharge du système de santé. Dans une logique comparable, l’Etat doit à présent intervenir pour aplatir la courbe de la récession, en d’autres termes s’opposer au plongeon du PIB.
Nous sommes bien confrontés maintenant à une crise de la demande, puisque le confinement a fait chuter la demande de consommation des ménages et la demande d’investissement des entreprises. Dans une telle situation, suivant les recommandations de John Maynard Keynes, l’Etat doit se substituer à la demande privée défaillante(3). Si le tableau suivant montre de fortes divergences dans les plans nationaux d’urgence, aussi bien suivant le type d’instrument utilisé que suivant l’envergure totale par rapport au PIB, tous ces plans agissent dans le sens keynésien: recours au chômage partiel pour alimenter la demande de consommation des ménages; reports de dettes et garanties bancaires pour soutenir la liquidité des entreprises et éviter les faillites et le chômage de masse. L’Allemagne est championne, tandis que l’Espagne, pays bien plus sévèrement frappé par l’épidémie, ou encore la Grèce, à bout du rouleau après des années d’austérité imposée par la Troïka, peuvent tout au plus tenter de limiter les dégâts.
A noter qu’il n’y a rien de révolutionnaire dans ces plans d’urgence, puisqu’ils essaient uniquement de préserver le collapsus de l’économie capitaliste. N’empêche qu’ils vont fondamentalement à contre-courant de l’idéologie néolibérale. Ils s’opposent en effet aux automatismes du marché, en évitant le chômage et les faillites en masse, ce qui conduirait à une destruction du tissu économique.
Néanmoins la plus grande partie de ces plans consistent en reports d’échéances et en garanties pour prêts et le moment venu, les entreprises devront être capables d’honorer leurs dettes. Cela pourrait se traduire dans quelques mois par une vague de faillites, surtout de PME et d’entreprises individuelles. Un allongement des échéances et l’allocation d’aides conséquentes s’imposerait alors pour parer au crash dans une deuxième étape. L’ampleur des plans d’action futurs dépendra de la durée et de la profondeur de la récession et la reprise future, conditionnée par la survenance ou l’évitement d’une deuxième vague d’infections et par l’ampleur de la demande.
Une réorganisation des flux de marchandises et de capitaux est inévitable
La libéralisation du commerce et des mouvements de capitaux, combinés avec des coûts de transport extrêmement bas ont engendré à l’échelle mondiale délocalisations, sous-traitance et production à la demande. Causant ainsi la perte de millions d’emplois dans les pays industrialisés, créant des chaînes de production complexes et gonflant les activités de transport avec les dommages environnementaux qu’on connaît! Cette évolution, tirant profit des conditions de production déplorables dans les pays dits „émergeants“, fut prônée tout récemment encore au moyen de traités de libre échange négociés par l’Union européenne, dévouée corps et âme au néolibéralisme et à la mondialisation tous azimuts.
La crise sanitaire du Coronavirus a fait éclater au grand jour la dépendance vis-à-vis de la Chine au niveau des médicaments et des produits sanitaires. Au-delà de ces biens vitaux dans le vrai sens du terme, le débat s’élargit vers la suffisance alimentaire, vers le „produire local“ ou régional et même vers des productions industrielles dites stratégiques – à définir par les pouvoirs publics. Des mots-clés de ce revirement sont le rapprochement entre lieux de production et lieux de consommation, le raccourcissement des chaînes de production, la limitation du pouvoir des grandes entreprises multinationales et la notion d’„Etat-stratège“.
Il s’agit d’un revirement idéologique qui trouve actuellement un large support dans la population et qui se répercute aussi au Luxembourg. Dans ce contexte, il est d’autant plus incompréhensible que la majorité parlementaire DP/LSAP/déi gréng ait ratifié le traité de libre échange CETA établi entre le Canada et l’Union européenne. Ce traité élargit en effet le pouvoir des entreprises multinationales, auxquelles il donne la possibilité d’attaquer un Etat devant un tribunal spécial(4) si une loi risque de faire diminuer leurs profits, il tend à niveler vers le bas les normes sociales, écologiques, de santé et de protection du consommateur, il rend les privatisations existantes définitives et il menace l’agriculture européenne et de manière générale les chemins de production et de consommation de proximité. Cette ratification sème le doute quant à une mise en question sérieuse des normes néolibérales.
Une sortie de ces normes rencontrera la résistance la plus acharnée du côté des marchés financiers déréglementés. La libéralisation des marchés financiers a été le vecteur essentiel de la transition du capitalisme amadoué d’après-guerre vers le capitalisme sauvage actuel. C’est au moyen des marchés financiers que les grandes fortunes, les banques et les firmes multinationales mènent le jeu, spéculent à tort et à travers et réduisent les moyens de financement des Etats.
Ce pilier financier essentiel du système néolibéral a permis au Luxembourg de tirer son épingle du jeu après la dégringolade de sa sidérurgie. Sa place financière est le fruit de pratiques d’évasion et d’optimisation fiscale à grande échelle, qui perdurent et qui privent d’autres pays des ressources nécessaires pour mener une politique économique et sociale performante. Du moins le Luxembourg a-t-il cosigné une lettre adressée au président du Conseil européen, demandant la création de coronabonds. Notre Premier ministre semble donc avoir compris les signes du temps.
Il en est tout autre du côté des Pays-Bas, dont les politiciens libéraux bloquent une politique de dette commune européenne, alors que leur pays mène la danse dans l’Union (avec le Luxembourg) en matière d’évasion et d’optimisation fiscale(5). C’est honteux!
Il faut maîtriser la crise climatique
La crise du Coronavirus a fait passer à l’arrière-plan la crise climatique. Or celle-ci n’a pas disparu pour autant et sa maîtrise ne peut être laissée aux financiers privés. En effet les fonds dits „durables“ ne pèsent actuellement que 1% du capital mondialement investi. Quant aux “green bonds”, ils ne constituaient fin 2019 que 2,2% du stock de toutes les obligations.
Dès lors, puisque ceux auxquels les idéologues néolibéraux ont laissé les clés de la planète continuent de courir après les profits à court terme tandis que la maison brûle, les pouvoirs publics devront reprendre en main les moyens de financement. Régulation des marchés financiers, isolement des paradis fiscaux, imposition des grandes fortunes et des entreprises multinationales, voilà les ingrédients essentiels d’une politique de sortie du néolibéralisme. ll s’agira d’obtenir les moyens publics pour réussir la transition écologique et climatique tout en réduisant les inégalités. C’est un vrai travail d’Hercule pourtant indispensable!
Dans l’immédiat, face à la récession qui s’annonce et à la crise climatique qui se renforce, il faudra soumettre l’attribution d’aides à l’investissement tant nationales qu’européennes à des conditions précises: développement de modes d’organisation et de production bas carbone avec économie de ressources et énergies renouvelables, mise en avant de l’économie circulaire, mesures protectrices de l’environnement et de la biodiversité. Dans ce contexte, il est tout à fait inadmissible de continuer à soutenir avec de l’argent public la production de grandes voitures de luxe, même électriques. Dans le même ordre d’idées, les ressources prévues pour le „Green deal“ européen ne devront être déviées pour préserver la sacro-sainte croissance. Tout homme ou femme raisonnable doit admettre que face aux ressources finies de la planète, une croissance infinie n’est pas soutenable.
Dès lors, la sobriété dans nos comportements de consommation devra être de mise. John Maynard Keynes, que les adeptes du néolibéralisme ont fait passer pour un théoricien dépassé, a considéré la limitation de la croissance comme un moyen d’entrer dans un âge d’or et il a mis en avant d’autres priorités sociales que le consumérisme. Il avait argumenté dans cette direction déjà lors de son „Essai sur les possibilités économiques de nos petits-enfants“(6) en 1930 et il a développé ces idées surtout dans le mémorandum qu’il a remis en 1943 au gouvernement britannique(7). Il a préconisé notamment: une répartition équitable des revenus pour assurer une consommation suffisante permettant de racheter la production; une augmentation de la part étatique dans l’économie pour construire et approvisionner les infrastructures publiques et égaliser les deux variables Epargne et lnvestissement de son modèle; une réduction du temps de travail pour tenir compte de l’augmentation de la productivité et continuer d’assurer le plein-emploi.
Voilà autant d’éléments qui font partie du cadre revendicatif des forces de gauche tant au Luxembourg qu’à l’étranger!
* L’auteur est membre de „déi Lénk“ et conseiller communal de la ville de Luxembourg
1 … et bien entendu de leurs maîtres-penseurs Friedrich von Hayek, Milton Friedman et autres.
2 https://blogs.lse.ac.uk/businessreview/2020/04/16/eurobonds-or-coronabonds-would-not-be-costly-for-northern-euro-area-countries/
3 La politique dite „keynésienne“ de soutien de la demande a été appliquée depuis la grande dépression des années 1930 jusque dans les années 1980, où la politique néolibérale de l’offre a pris la relève.
4 Die Form der Schiedsgerichte wurde zwar verändert, aber es bleibt eine außerordentliche Gerichtsbarkeit erhalten, welche allein multinationalen Gesellschaften offen steht. Ihre Richter – auch wenn es öffentliche sind – müssen nach den Prinzipien der „indirekten Enteignung“, der „fairen und gerechten Behandlung“ und des notwendigen „wissenschaftlichen Belegs“ urteilen, die im CETA-Abkommen verankert sind. Schon allein die Tatsache, dass den Investoren eine exklusive Sonderstellung eingeräumt wird, zeigt, wessen Geistes Kind dieses Freihandelsabkommen ist. Werden etwa die Arbeitskräfte gegen einen Lohnverlust oder eine unfaire und ungerechte Behandlung geschützt, welche die Globalisierung mit sich bringt? Werden Umweltstandards gesetzt, die bei Warenimporten respektiert werden müssen? Nichts dergleichen ist der Fall! Stattdessen leistet der eigentliche Text des Abkommens einer Paralleljustiz, mit einer zukünftigen einseitigen Jurisprudenz Vorschub, die den Profit in den Mittelpunkt stellt und soziale- und Umweltaspekte als zweitrangig erscheinen lässt. In: „Bravo les Wallons!“, Guy Foetz, 04-11-2016, Tageblatt.
5 The axis of tax avoidance, Tax justice network, 28/04/2020
6 J.M. Keynes, Economic Possibilities for our Grandchildren, Nation and Athenaeum, 1930
7 J.M. Keynes, The Long Term Problem of Full Employment, 1943.
dat ass jo mol eng Kéier eng Stêmm (ee Schreiwes) déi een héiert
elo wär et och gud, wann déi Jeeneg, êm déi et geet, sech hiir Ouere géife botzen, fiir dês Stêmm och ze héieren
ech färten ons Trilogie spillt léiwer wéi déi 3 Aafen weider
Näicht héieren
Näicht gesin
Näicht soên
GF gud Meenung a gudde Forum
Lully
" Das Kapital hat die schöpferische Kraft der Zerstörung." Josef Schumpeter