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Les réfugiés juifs, le football luxembourgeois et la Shoah

Les réfugiés juifs, le football luxembourgeois et la Shoah

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Permettez-moi aujourd’hui, alors que le Championnat du Monde vient de commencer en Russie, de vous raconter une histoire issue du monde du football.

De Denis Scuto

Comme Obélix est tombé dans le chaudron avec la potion magique quand il était petit, je suis tombé dans l’univers du ballon rond. Ou plutôt j’y ai été projeté par mon grand-père, Jemp Hoscheid. Dans les années 1930, il fut gardien de la Jeunesse d’Esch et de l’équipe nationale du Luxembourg. C’est lui qui m’a donné les premières leçons de foot et qui a ensuite, lors de nos promenades au parc du Galgenberg, commenté mes matches à partir du moment où j’ai tapé dans la balle chez les scolaires de la Jeunesse.

Pendant ces promenades, il me racontait beaucoup d’histoires des années 1930. Certaines m’ont impressionné, comme celle d’une tournée de la Jeunesse Esch à la fin de la saison 1938/1939 en Pologne et en Lituanie. Donc juste avant le début de la guerre en Pologne. Ils sont retournés à temps mais la tournée prit néanmoins une tournure tragique, avec la mort du jeune joueur de 21 ans Adelio Mastrangelo. Il se noya le 7 juin 1939 dans un fleuve à Kaunas. Son frère Claudio, joueur de l’Union qui participait comme renfort à la tournée de 1939, fut après 1945 avec Othon Hemmen et Gusty Kemp un des premiers joueurs professionnels luxembourgeois au FC Metz. Les Mastrangelo, nés tous les deux aux Etats-Unis dans l’Ohio, arrivés au Grand-Duché comme enfants, font partie de l’histoire du football luxembourgeois et des migrations dans ce pays.

Max Gold (1900-1961), «der international berühmte Fußballer der Hakoah»

Mon grand-père m’a parlé de la tournée et des Mastrangelo, leur histoire est évoquée dans les chroniques officielles des clubs, mais rien sur l’homme qui a organisé le voyage en Pologne et en Lituanie. Il s’appelait Max Gold (1900-1961) et fut l’entraîneur de la Jeunesse Esch en 1938/1939. De lui, je n’ai connu pendant longtemps que le nom de famille. Le nom Gold figure dans la chronologie des entraîneurs de la Jeunesse reprise dans les brochures commémoratives du club. Grâce aux recherches de Wolfgang Schmitt-Koelzer sur le travail forcé à la «Reichsautobahn» près de Wittlich pendant la guerre, j’ai appris que Max Gold était un des 54 forçats juifs du Luxembourg qui ont dû aider à construire, sous des conditions inhumaines, les «Straßen des Führers».

Cette découverte est une des nombreuses surprises auxquelles je suis confronté depuis la lettre ouverte de Serge Hoffmann de 2012 qui posait la question de la responsabilité des autorités luxembourgeoises dans la persécution des juifs pendant l’Occupation allemande et depuis que Ben Fayot en a fait une question parlementaire. En posant en même temps la question: Pourquoi tous ces aspects ont-ils été oubliés ou refoulés?

Permettez-moi de l’illustrer en partant de l’exemple de Max Gold, puis de trois autres entraîneurs juifs, Moses «Max» Häusler, Hugo Fenichel et Willy Kissinger qui ont imprégné le football au Luxembourg, qui ont été persécutés par les nazis mais aussi, pour deux d’entre eux, discriminés par les autorités luxembourgeoises après la guerre.

Avant que Max Gold, né le 2 février 1900 à Vienne, ne devienne l’entraîneur de la Jeunesse en septembre 1938 et avant qu’il ne fût chassé de sa patrie autrichienne par les nazis, il était une star du club de football juif Hakoah Vienne, défenseur (back droit) du champion d’Autriche en 1924/1925, le premier club du continent à battre une équipe anglaise sur l’île (5-0 contre West Ham United en septembre 1923), un joueur de foot professionnel qui fit ensuite carrière comme joueur et entraîneur à New York et qui, à son retour en Europe, entraîna notamment l’équipe nationale de Pologne et de Lituanie. Voilà comment s’explique la tournée de la Jeunesse en Pologne et en Lituanie en juin 1939.

En 1940, après l’invasion allemande et l’introduction des lois antisémites dans le Luxembourg occupé, il est interdit à Max Gold d’exercer le métier d’entraîneur – en 1939/1940 il avait entraîné le Mansfeldia Clausen alors que la Jeunesse fut reléguée cette saison-là. Max Gold, son épouse lituanienne Kreine, sa fille Erika née le 17 août 1940 à Luxembourg et sa belle-sœur Elka furent ensuite soutenus financièrement par la société de secours juive ESRA. Leur tentative d’émigrer au Chili échoue. De septembre à octobre 1941 Gold fut interné dans le «Reichsautobahn»-Lager Greimerath. La famille Gold était prévue pour être déportée dans le premier convoi de déportation de juifs du Luxembourg vers l’Est, celui du 16 octobre 1941 vers le ghetto de Litzmannstadt (Lodz). D’après les déclarations d’après-guerre de Gold, ils furent finalement épargnés car Gold put faire valoir qu’il fut soldat autrichien pendant la Première Guerre mondiale. A partir de novembre 1941, il fut de nouveau astreint au travail forcé pour construire les baraques du camp de Cinqfontaines où furent rassemblés les juifs du Luxembourg avant leur déportation. La famille Gold fut sélectionnée pour le convoi du 23 avril 1942 pour le ghetto d’Izbica. Grâce à l’aide de passeurs du groupe de résistance luxembourgeois autour d’Eugène Thomé et de René Künsch, la famille franchit la frontière entre Rodange et Athus et survécut à la guerre dans la clandestinité en Belgique.

En avril 1945, la famille Gold fait une demande pour retourner au Grand-Duché. Un brigadier antisémite de la Sûreté et de la Police des étrangers donne un avis négatif. Ils les décrit comme pauvres et d’aucune utilité pour la reconstruction du pays. Ils devraient retourner dans leur pays d’origine. Un autre rapport, tout aussi antisémite, d’un autre brigadier de la Sûreté souligne qu’on ne peut pas faire confiance à ce juif et le traite de menteur. Gold, qui est entretemps revenu au Luxembourg avec sa famille en juin 1945, est prié de quitter le pays en octobre 1945. Il écrit au Parquet général en expliquant qu’il a été persécuté avant et pendant la guerre et a échappé de peu à la déportation. John G. Sillem, le secrétaire néerlandais de l’Intergovernmental Committee on Refugees – créé après la Conférence d’Evian en 1938 – précise dans une lettre du 26 mai 1946 au représentant diplomatique du Luxembourg à Londres, André Clasen, que le traitement réservé à Gold est en contradiction avec le principe que les étrangers qui ont été autorisés à résider au Luxembourg avant la guerre peuvent y retourner après la guerre, d’autant plus qu’il s’agit ici d’un «réfugié de terreur nazie».

Entretemps, la Sûreté a monté un dossier contre Max Gold et le présente comme un trafiquant de marché noir, sur la base de dénonciations anonymes et sans pouvoir livrer des preuves. Le Parquet et le ministre de la Justice Victor Bodson suivent les avis de la Sûreté et de policiers qui soutiennent qu’il y a assez de jeunes entraîneurs de football dans le pays pour exercer la fonction de Gold. Le 6 septembre 1946, Max Gold et sa famille sont expulsés du Grand-Duché. Gold sera connu ensuite comme manager qui organise des tournées internationales pour des clubs professionnels. Il meurt de façon tragique en 1961 en faisant une chute dans la cage d’ascenseur d’un hôtel à Téhéran, dans le cadre d’une tournée qu’il avait organisée pour le club suédois du FC Malmö. Dans une nécrologie, le SC Hakoah honore la mémoire «des vor 1938 bekannten und international berühmten Fußballers der Hakoah, Max Gold».

Moses Heisler dit «Häuslesch Max» (1901-1952), «Trainer par excellence»

Une autre star du Hakoah Vienne, ailier droit et capitaine de l’équipe championne de 1925, Moses Heisler, dit «Häuslesch Max» au Luxembourg, fut également une véritable star du football luxembourgeois, comme entraîneur de Stade Dudelange. Né le 20 juillet 1901 à Solotvina (Galicie en Autriche-Hongrie, puis Pologne après 1918 et Ukraine aujourd’hui), il arriva en 1936 au Stade, après une grande carrière de footballeur au Hakoah Vienne et puis à New York, de 1919 à 1934. Sous sa régie, Stade Dudelange fut six fois Champion de Luxembourg (entre 1938 et 1940 ainsi que 1945 et 1950) et remporta trois Coupes de Luxembourg avec le Stade des Vic Feller, Benny Michaux, Remy Wagner etc. Il a importé les méthodes d’entraînement les plus modernes. «Der Erfolgstrainer der Stade» s’intitule le chapitre de l’historien Lucien Blau sur Max Häusler dans le livre sur le centenaire du football à Dudelange.

D’après les chroniques du club, le comité du Stade aurait contacté Hugo Meisler, président juif de la fédération autrichienne, personnage très influent de la FIFA, inventeur de la Coupe Mitropa (Coupe d’Europe des pays d’Europe centrale), pour s’assurer les services d’un bon entraîneur. Histoire tout à fait plausible, puisque le milieu du foot international était très interconnecté avant la guerre et le Luxembourg y était bien représenté, par le biais surtout du président de la FLF et du Comité Olympique, l’industriel Gustave Jacquemart. (En feuilletant l’album photo de mon grand-père, j’ai d’ailleurs constaté que la Jeunesse d’Esch de l’époque a voyagé au moins autant en équipe à travers toute l’Europe que mes coéquipiers et moi-même 50 ans plus tard et ceci sans qu’il y ait à l’époque une Coupe d’Europe pour les clubs d’Europe de l’Ouest).

Or, comme son ancien coéquipier du Hakoah Max Gold, Max Häusler se retrouve dans le collimateur de la Sûreté et de la Police des étrangers après la guerre. Häusler avait fui le Grand-Duché juste avant le 10 mai 1940 mais avait été arrêté à Metz et enrôlé dans l’armée polonaise. Il avait la nationalité polonaise parce qu’il était né en Galicie, c.-à-d. dans une partie de l’Autriche-Hongrie devenue polonaise après 1918. Comme sa famille s’était installée à Vienne pendant son enfance, il ne maîtrisait pas la langue polonaise et put quitter l’armée. Ensuite, il est interné à Viviers dans un des camps où le régime de Vichy soumet au travail forcé les réfugiés. Pour échapper à la déportation, il s’enfuit en Suisse, où il est de nouveau interné, dans le camp pour réfugiés du Lindenhof (Witzwil) près de Berne. Il retourne en novembre 1945 au Luxembourg après avoir passé plusieurs mois à Paris après la fin de la guerre.

Le 29 janvier 1946, le consul général du Luxembourg en Suisse, l’avocat Simonin, informe Joseph Bech, ministre des Affaires étrangères, que Häusler a été condamné par contumace en Suisse pour trafic de bons de rationnement pendant la guerre. Le Parquet décide de le placer sous surveillance, mais l’enquête de la Sûreté apporte peu d’éléments contre un homme qui vit, comme avant la guerre déjà, dans une pièce meublée de la pension de Willy Zunker, rue Zoufftgen, avec comme seul bien une valise où il garde toutes ses affaires. Dans un rapport du 18 décembre 1946, le brigadier de la Sûreté écrit: «Anfangs verdiente Heisler nicht viel in seinem Beruf. Er versuchte, auf alle möglichen Weisen zu Geld zu kommen. Er wettete bei Fußball- und anderen Spielen, er handelte mit Geld und es heißt noch heute, wenn man z.B. deutsche Mark brauche, solle man zu ihm gehen. Ein einwandfreier Beweis zu diesen Angaben konnte bisher noch nicht erbracht werden.» Le bourgmestre et le commissaire de police de Dudelange défendent l’entraîneur, très populaire à Dudelange. En mars 1950, Häusler est condamné mais acquitté en janvier 1951 par la Cour d’appel du chef de mise en circulation de billets de banque contrefaits ou falsifiés (DM). Entretemps, Häusler a préféré suivre la recommandation donnée par le brigadier de la Sûreté qui se prononçait en décembre 1946 contre la présence de ce réfugié qui ferait mieux de retourner dans son pays d’origine.

Dans le Livre d’or du Stade Dudelange (1913-1973), on peut lire: «Am 15. Febr. 1950 verließ Trainer Häusler aus privaten Gründen unseren Verein, dem er wirklich einmalig große Dienste erwiesen hat. Unter der Leitung dieses Trainers ‹par excellence›, der in unserem Verein fast 9 Jahre lang tätig war und unseren Klub auf eine im Luxemburger Fußball nie gekannte Höhe gebracht hat, riss die Kette der großartigen Leistungen einfach nicht ab.» L’ancienne star du Hakoah ouvre un Kaffeehaus qui jouit vite d’une grande popularité à Vienne. Il meurt à Vienne le 24 décembre 1952. En 1983 encore, Nic Birtz, bourgmestre de Dudelange et joueur entraîné par Max Häusler était nostalgique dans sa préface de la brochure du 70e anniversaire du club: «Le FC Le Stade n’est plus le FC Le Stade des glorieux temps d’un Max Häusler».

«Alle unsere Aktiven machen unverkennbare Fortschritte»: Hugo Fenichel (1898-1942)

Max Gold et Moses «Max» Häusler n’étaient pas les premiers réfugiés juifs à entraîner des clubs de football luxembourgeois. Le premier fut Hugo Fenichel, né le 10 mai 1898 à Czegled (Kalocsa) en Autriche-Hongrie (puis Hongrie). Il fait partie des nombreux joueurs juifs hongrois qui ont fui la Hongrie de l’amiral Horthy et son régime autoritaire, qui fut le premier à décréter des lois antisémites dès les années 1920. Après avoir joué à Bamberg, Fulda et Zweibrücken, il est engagé comme entraîneur aux Red Boys de Differdange en juillet 1926 mais retourne à la mi-saison à Zweibrücken où vit son épouse allemande, Alice Weber. Il revient pour une deuxième saison sur le banc des Red Boys en 1929/1930. Les chroniques du club soulignent les progrès faits grâce aux nouvelles méthodes d’entraînement importées d’Hongrie et qui ont permis aux Red Boys des frères Bommertz, Nussbaum et Feierstein de remporter deux Coupes de Luxembourg sous la régie de Fenichel. En même temps, il a contribué à la formation de Paul Feierstein qui mènera les Red Boys à trois titres consécutifs de champion de 1931 à 1933 comme entraîneur et sera sélectionneur national par la suite.

Il est intéressant de noter que lors de ses passages à Differdange, Fenichel n’est pas un entraîneur professionnel mais travaille comme ouvrier à l’usine Hadir. (Contrairement aux clichés fort répandus sur les métiers des juifs, beaucoup d’immigrés juifs étaient ouvriers d’usine au Luxembourg dans l’entre-deux-guerres.) En 1930, Hugo Fenichel part entraîner l’équipe belge de la Gantoise, avant de revenir dans la région en 1936, à Longwy, où le club local vient de passer professionnel sous le nom d’Union sportive du Bassin de Longwy. En 1937/1938 il entraîne l’Union Luxembourg, où il publie d’ailleurs des articles théoriques sur le football dans le magazine mensuel du club. En juin 1938, il repart pour Gand après que des négociations avec Progrès Niederkorn n’eurent pas abouti. Il entraîne le C.S. Bruges et puis la Gantoise.

Beaucoup d’interrogations entourent mes recherches sur Hugo Fenichel. Est-il peut-être arrivé par la filière du Secours rouge aux Red Boys Differdange dont le militant communiste Zénon Bernard a été le capitaine jusqu’au début des années 1920? Pendant la guerre, il est en tout cas arrêté et interné, en août 1941, comme déporté politique dans le camp de concentration de Breendonk près d’Anvers. De là il est déporté dans le KZ Neuengamme. Hugo Fenichel est assassiné en juin 1942 dans la soi-disante «Landes-Heil- und Pflegeanstalt Bernburg», dans laquelle, après l’extermination d’handicapés en 1940-1941, sous le nom d’Aktion T4, les nazis ont gazé des détenus de camps de concentration comme Neuengamme, Buchenwald, Groß-Rosen, Flossenbürg et Ravensbrück.

Willy Kissinger est né le 21 octobre 1903 à Nuremberg de père juif et de mère protestante. Après avoir été un des fondateurs du club sportif juif Hakoah Nürnberg et après avoir passé deux années en Argentine, en 1924-1925, il a notamment joué comme attaquant à Eintracht Frankfurt, appelé «Judenklub » car le sponsor principal était l’entreprise de chaussures J & C.A. Schneider dont les propriétaires étaient juifs – d’où aussi le nom de «Schlappekicker» utilisé encore aujourd’hui pour le club de Francfort. Il a figuré également dans la sélection d’Allemagne du Sud. Contrairement à la situation en Autriche, le football en Allemagne ne s’était pas encore professionnalisé dans les années 1920. Willy Kissinger n’était pas professionnel mais exerçait le métier d’expert-comptable. En 1933, il fuit l’Allemagne nazie et est recruté comme joueur-entraîneur au Spora Luxembourg tout en continuant à travailler comme expert-comptable, notamment pour la fabrique de tricots et de lingerie de Pulvermuhle, fondée par les Godchaux, et puis pour le bonnetier en gros Bonalux, entreprise fondée par des immigrés juifs de la Sarre.

Sous la conduite de Willy Kissinger, le CA Spora du capitaine (et photographe) Paul Rouster est trois fois champion de suite de 1934 à 1936. Le livre d’or du 75e anniversaire du club évoque ainsi l’action de Kissinger, en 1983: «Nous arrivons à la période plus faste du CA Spora. Sous la direction du jouer-entraîneur Willy Kissinger, venu nous joindre en 1933, notre équipe atteint vraiment l’apogée de ses performances en remportant trois fois de suite le titre de champion de Luxembourg. Au nom du CA Spora nous exprimons à Willy Kissinger, qui est décédé le 3 janvier 1981, notre hommage posthume. (…) Sous sa direction clairvoyante, les séances d’entraînement connurent des méthodes nouvelles et une affluence sans cesse grandissante. »

Willy Kissinger, qui épouse le 20 septembre 1934 la Luxembourgeoise Cécile Heim, de confession catholique, entraînera par la suite, de 1938 à 1940 et en 1945-1946, Chiers Rodange. S’il a survécu à la guerre, il le doit d’abord à son propre courage. Pendant la guerre, Willy Kissinger n’est pas inquiété au début. Cela change pendant l’été 1942, comme le montre un dossier du fonds Chef der Zivilverwaltung conservé aux Archives nationales de Luxembourg (CdZ-A-4422 Erbringung von Nachweisen der «Deutschblütigkeit», 1940-1943). Le 11 septembre 1942 le Polizeipräsident allemand Wetter notifie à Kissinger qu’il est classé («rassische Einordnung») comme «Geltungsjude». Le 14 septembre 1942, Kissinger écrit une lettre de protestation dans laquelle il explique qu’il a quitté la religion juive en 1929 lorsqu’il vivait à Francfort. L’inspecteur Küntzel lui répond qu’il est, en tant que «Mischling», considéré comme juif s’il ne peut pas prouver qu’il a quitté la religion juive en produisant une attestation d’une déclaration dans ce sens devant un tribunal administratif allemand.

S’engage ensuite une correspondance sur un an pendant laquelle Kissinger s’adresse directement au Rassenpolitisches Amt de Berlin qui renvoie l’affaire au Rassenpolitisches Gauamt de Coblence. En octobre 1943, le Gauamt de Coblence tranche et décide que Kissinger doit être considéré comme juif. Mais ce combat bureaucratique a permis à Kissinger de gagner un temps précieux, puisque le dernier convoi collectif de déportation du Luxembourg vers l’Est est parti en juin 1943. Kissinger échappe à la déportation. Dans l’après-guerre, il reprend son activité d’expert-comptable, maintenant comme indépendant, alors que son épouse travaille comme secrétaire au Bureau de liaison de la CECA. Le ménage reste sans enfants. Willy Kissinger décède à Luxembourg le 3 janvier 1981, comme apatride. Le 8 mars 1950, l’Oberstadtdirektor de Solingen lui notifie la perte de sa nationalité allemande, montrant par là que la législation nazie sur la nationalité a continué à être appliquée en République fédérale allemande, puisque la notification fait référence à la onzième «Ausführungsverordung» (1941) de la loi de Nuremberg du 15 septembre 1935 qui retirait la nationalité allemand à tout juif qui résidait à l’étranger …

Que montrent ces parcours de quatre footballeurs et réfugiés juifs?

Ils montrent d’une part que le football a représenté, au Luxembourg comme ailleurs, une possibilité de participation sociale donc d’intégration dans la société par le sport. De 1933 à 1951 toutes les équipes championnes avaient des entraîneurs allemands ou autrichiens. Neuf titres de champion furent remportés sous la direction de deux réfugiés juifs, Willy Kissinger et Moses «Max» Häusler. Ceci tout comme la présence en général de beaucoup de juifs dans le football luxembourgeois de cette époque – citons à titre d’exemple les noms de Nussbaum, Bonem, Brahms, Lewin et Juda – soulignent que les citoyens juifs ont imprégné la pratique du football au Luxembourg comme en Europe ainsi que l’énorme perte que la Shoah a entraîné également pour la culture footballistique européenne.

L’histoire de ces réfugiés juifs, particulièrement celles de Gold et de Häusler, dévoilent d’autre part, et ceci est à la fois surprenant et consternant pour moi, que les autorités luxembourgeoises, dans ce cas la Sûreté et la Police des étrangers, continuent après la guerre la politique xénophobe, aux traits antisémites, menée contre les réfugiés avant la guerre. Il est tout aussi effrayant que le parquet et le ministre de la Justice ont cautionné cette politique au nom d’une attitude nationaliste qui se renforce encore après la guerre au Grand-Duché.

Alors que nos regards seront tournés pendant un mois vers ce sport, j’ai tenu à vous raconter cette histoire issue du monde du football, pour lutter un peu contre l’oubli et le refoulement de tout un pan de l’histoire nationale. Et pour saluer qu’un monument national à la mémoire des victimes de la Shoah au Luxembourg est enfin inauguré ce weekend, sur l’emplacement de la première synagogue de la capitale. Ce monument ne rappelle pas seulement la persécution, les souffrances et le meurtre des juifs du Luxembourg. Il nous rappelle également la contribution si précieuse des juifs du Luxembourg au développement de ce pays. Merci Max, merci Moses, merci Hugo, merci Willy et merci à ces milliers d’autres personnes qui ont enrichi la société luxembourgeoise! Merci Max, merci Moses, merci Hugo, merci Willy et merci à ces milliers d’autres personnes qui ont marqué la société luxembourgeoise de leur empreinte!

Je remercie MM. Roby Biever, Cédric Faltz, Pilo Fonck, Mulles Schmit, Wolfgang Schmitt-Koelzer et Mme Antoinette Reuter pour l’aide précieuse apportée dans ces recherches.

Permettez-moi aujourd’hui, alors que le Championnat du Monde vient de commencer en Russie, de vous raconter une histoire issue du monde du football.