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L’étoile de la gauche

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Von Vincent Artuso

Jean Schortgen, le premier ouvrier élu à la Chambre des députés est mort il y a 100 ans, victime d’un accident du travail le 1er mai 1918. Ces éléments ont contribué à faire de lui une figure mythique du socialisme luxembourgeois. Pourtant l’importance de Schortgen n’est pas que symbolique, elle est aussi liée à son action politique.

Dans l’univers, rien ne se déplace plus vite que la lumière: 300.000 km par seconde. Cette vitesse permet à un rayon de soleil d’atteindre la terre en 8 minutes. Nous découvrons donc l’état du soleil avec 8 minutes de retard. Alpha du Centaure est le système stellaire le plus proche de nous. Il se trouve à un peu plus de quatre années-lumière, ce qui signifie que son éclat atteint notre planète au bout de quatre ans. La grande majorité des 6.000 étoiles visibles à l’œil nu sont à une distance d’environ 1.000 années-lumière. Lorsque nous contemplons les étoiles, nous lisons dans le passé. Il est même possible, quoique statistiquement improbable, que nous admirons des astres morts bien avant notre naissance.

Les étoiles ont cela de commun avec les idées. On en voit briller certaines qui ont disparu depuis bien longtemps. Pour s’en rendre compte, il suffit de voir des ministres socialistes, notamment le ministre de l’Economie d’un paradis fiscal, se lever pour entonner l’Internationale („Debout! les damnés de la terre! Debout! les forçats de la faim!“). J’ai eu le privilège d’observer ce phénomène scientifique il y a peu, à l’occasion de la commémoration du centenaire de la disparition d’une figure importante du socialisme luxembourgeois, Jean Schortgen.

Schortgen fut le premier ouvrier à être élu à la Chambre des députés. Cela contribua tout autant à assoir son aura que les circonstances de sa mort: au fond d’une mine, dans un accident du travail, le 1er mai de l’année 1918 … Ce jour n’était pas chômé, le Luxembourg était occupé par le Reich allemand, son industrie tournait pour l’effort de guerre de ce dernier et Monsieur le Député était au travail, parce qu’il avait une famille à charge.

En ce temps, les députés ne touchaient pas d’indemnité, la politique était une activité pensée par et pour une petite élite privilégiée. L’entre-soi était garanti par le suffrage censitaire. Seuls ceux qui payaient un certain montant d’impôt, le cens, avaient le droit de voter. En 1896, il avait été abaissé de 30 à 15 francs, mais même dans ces conditions la proportion de ceux pouvant se rendre aux urnes ne dépassait pas 14% de la population du Grand-Duché.

Cette modeste croissance du corps électoral suffit tout de même à accroître l’audience de la social-démocratie et, plus encore, de la droite catholique. Les libéraux, qui gouvernaient le pays depuis plusieurs décennies, préférèrent donc s’allier aux premiers, formant avec eux le „Bloc de gauche“. Une telle alliance peut paraître banale aujourd’hui mais, à l’époque, elle n’avait rien d’évident. Qu’est-ce qui pouvait unir le parti des maîtres de forge au parti des ouvriers? Vraisemblablement le fait que ce dernier était, suffrage censitaire aidant, plutôt le parti de la petite bourgeoisie progressiste, qui n’avait aucune aspiration révolutionnaire, misant plutôt sur l’alliance avec les libéraux pour arracher des concessions en faveur des classes laborieuses à une grande bourgeoisie dont elle partageait par ailleurs l’anticléricalisme. C’est ce contexte politique qui permit l’élection d’un homme qui n’avait même pas le droit de vote.

Schortgen était né en 1880 à Tétange, d’une mère adolescente et de père inconnu. Placé chez un paysan du coin à l’âge de douze ans, il était entré à l’usine quatre ans plus tard, travaillant près de douze heures par jour pour un salaire qui suffisait à peine à se loger, se nourrir et se vêtir. Son existence avait d’emblée était marquée par la misère mais on ne saurait la réduire à cela. Schortgen était un homme curieux et optimiste, désireux de comprendre son époque par la lecture et d’améliorer son sort et celui des siens par l’engagement politique. En 1900 il avait été l’un des cofondateurs de la section socialiste de Tétane. Cinq ans plus tard, il devenait membre du Comité directeur du parti social-démocrate. Le destin voulut qu’il soit élu en juin 1914, devenant l’unique porte-parole à la Chambre des députés de la population ouvrière du Sud, particulièrement éprouvée par les répercussions de la Première Guerre mondiale.

La présence de jusqu’à 5.500 soldats allemands, vivant sur le pays, ainsi que la difficulté d’importer des denrées essentielles en temps de guerre, avaient causé de graves pénuries. Les prix explosèrent. Dès le premier hiver de guerre, ceux du blé et des pommes de terre furent multipliés par deux, ceux des haricots, petits pois et lentilles par trois. Si la population des campagnes s’en tirait plutôt bien – profitant même de la hausse des prix – celle des villes, ouvriers en tête, subissait de plein fouet la faim et l’inflation. Le 28 juillet 1915, Schortgen tenta de nouveau d’exposer la situation à ses collègues de la Chambre et à l’inamovible chef de gouvernement, Paul Eyschen:
„Die knappen Brotrationen, auf die wir seit dem März angewiesen sind, haben manchen Familienväter die Tränen entlockt, wenn seine Kinder Brot verlangten. Ich habe manche Familienväter kennen gelernt, die von Luxemburg und aus dem Rösertale in die Minettsgegend zur Arbeit kamen und des Morgens, weil sie keine Mittagssuppe bekamen, ihre Brotration und noch ein Teil von der ihrer Kinder mitnehmen mussten, so dass ihre Kinder tagsüber ohne Brot waren. Glauben sie, Herr Staatsminister, von solchen Familienvätern sind sie nicht immer mit Schmeichelnamen bedacht worden und wir Deputierten auch. (…) Und Sie wissen ganz genau, Hr. Staatsminister, dass laut Gesetz ein Familienvater, der seine Kinder hungern lässt, ins Gefängnis gesperrt wird. Und Sie sind der Familienvater des ganzen Landes, Sie haben für die nötige Ernährung unserer Landeskinder zu sorgen.“

A cet instant, Schortgen et ses camarades ne voulaient pas compromettre l’alliance avec les libéraux. Cela évolua progressivement, après le décès soudain d’Eyschen, survenu le 12 octobre 1915, et au vu de l’incapacité persistante d’assurer le ravitaillement de la part de ces gouvernements qui, par-dessus le marché, apportaient un soutien sans faille à des sociétés sidérurgiques auxquelles l’inextinguible soif d’acier luxembourgeois de la machine de guerre allemande assurait d’énormes profits, tandis que fondait le pouvoir d’achat de leurs ouvriers. Les premiers syndicaux modernes virent le jour et, sans abandonner totalement leur ligne réformiste, les sociaux-démocrates optèrent pour une stratégie plus offensive.

En mai 1917, les premières grèves massives dans l’histoire du pays eurent lieu dans le Bassin minier. Le mouvement fut réprimé par l’armée allemande, avec l’assentiment du gouvernement luxembourgeois. Schortgen, particulièrement isolé après cela, prit la parole le 24 juillet 1917 pour justifier la révolte des travailleurs. Selon lui, celle-ci n’avait pas été vaine:
„Trotzdem die Arbeiter als die Besiegten aus dem Streik hervorgegangen sind, haben sie doch einen moralischen Sieg errungen. Denn Sie haben das Land darauf aufmerksam gemacht, wie schlecht ihre Lage ist und wie notwendig es ist, dass ihnen in ihrer Lage geholfen werde […] Das Proletariat des Erzbassins hat diesmal bewiesen, dass es gemeinschaftlich und solidarisch für seine Interessen eintreten will.“

Lui-même avait été renvoyé de son usine en raison de sa participation au mouvement. Il avait dû accepter un poste moins bien payé et plus dangereux dans la mine où il finit par trouver la mort. Dans un sens, il avait payé de sa vie son engagement politique. Au-delà de la force évocatrice de certains éléments de la biographie de Schortgen, il faut prendre en compte son action politique. Celle-ci nous montre qu’il ne faut pas accepter sans broncher les excès du libéralisme parce que le rapport de force semble défavorable ou parce qu’il n’y aurait pas d’alternative. Elle montre aussi que si l’individu compte, seul la solidarité et l’organisation peuvent provoquer un changement. Elle montre enfin que l’histoire du Luxembourg n’a pas été écrite que par les élites.