De notre correspondant Bernard Brigouleix
Le PS a tenu ce week-end son 78e congrès à Aubervilliers, dans la banlieue parisienne, le premier depuis sa double et terrible défaite aux élections présidentielle puis législatives de l’an dernier. Et il a officialisé à cette occasion la désignation d’Olivier Faure, déjà président du petit groupe socialiste de l’Assemblée nationale, comme premier secrétaire du parti, comme les militants en avaient exprimé le vœu.
«Ô cruel souvenir de ma gloire passée!» Le célèbre vers de Corneille aurait pu être affiché en toile de fond dans la salle où s’étaient réunis, samedi et dimanche, les derniers représentants d’un parti qui, il y a cinq ans, tenait tout: l’Elysée, le gouvernement, l’Assemblée nationale, le Sénat, pratiquement tous les conseils régionaux et les deux tiers des assemblées départementales, sans compter d’innombrables mairies, des plus humbles aux plus puissantes. Il est admis que le pouvoir use, et que l’on en sort rarement aussi fringant que l’on y est entré. Mais comment, tout de même, le PS a-t-il pu perdre tant de positions – et tout simplement d’électeurs – en si peu de temps?
C’est à cette douloureuse question que devaient tenter de répondre les participants à ce 78e congrès, tenu dans un climat de lucidité amère mais qui se voulait tout de même aussi tourné vers l’avenir, en abordant dès maintenant l’autre question majeure que se pose inévitablement tout grand parti défait par les urnes: comment organiser la reconquête? Et corollairement: le renouveau, oui, mais avec qui, jusqu’où, et à quelles fins dernières?
Ce sont ces différentes constatations et interrogations que Olivier Faure, le nouveau premier secrétaire, a tenté de prendre en compte dans son discours inaugural de près d’une heure et demie («Soyez indulgents, c’est ma première!», a-t-il lancé avec humour à son auditoire), en promettant au PS «une renaissance». Car pour l’instant, a-t-il constaté, «la France a un gouvernement qui n’est pas de gauche, et une gauche qui n’est pas ‹de gouvernement'», allusion au fait que c’est aujourd’hui, et de loin, le mouvement de Jean-Luc Mélenchon, flanqué des communistes et des petits groupes trotskistes, qui domine la scène de la gauche française sans afficher pour autant la moindre capacité – voire la moindre envie réelle – de gouverner.
Il y a donc pour les socialistes, a estimé leur nouveau chef de file, «une urgence à faire entendre la voix d’une gauche capable de gouverner et d’offrir une alternative, d’articuler indignation et solution». Et c’est bien pourquoi, a insisté Olivier Faure, «la gauche a besoin du PS». Reste que, a-t-il aussi reconnu, «nous, les socialistes, nous avons déçu, et il nous faut tirer les leçons de cet échec», pour «rendre les militants et les élus socialistes fiers d’appartenir à la grande famille de la gauche».
«Beaucoup de nouvelles têtes»
Avec quelle nouvelle organisation interne? «Il y aura beaucoup de nouvelles têtes», a assuré M. Faure, «et je préviens la presse: vous ne les connaîtrez pas, mais vous allez apprendre à les connaître.» Lui-même, après tout, était encore à peu près inconnu du grand public il y a deux ans, et il aura fallu cette désignation à la tête de son parti pour qu’il commence à entrer dans le cercle pourtant assez large des vedettes politiques nationales …
Mais il a surtout juré que c’en serait fini des luttes de clans – ou plutôt de courants, comme on dit au PS – qui ont tant plombé les règnes de Jospin à Matignon et de Hollande à l’Elysée, outre la candidature de Ségolène Royal. «Je ne crois pas aux gauches irréconciliables, mais à la collégialité et au rassemblement», a-t-il lancé. Ajoutant avec malice: «J’ai été rocardien, je détestais les fabiusiens, qui eux-mêmes combattaient les jospinistes, qui n’aimaient guère les strauss-kahniens qui méprisaient les hollandais, qui abhorraient les aubrystes, qui exécraient les ségolénistes, qui se sont séparés des vallsistes qui eux-mêmes haïssaient les hamonistes.
Et j’ai oublié de vous parler des mermaziens, des emmanuellistes, des poperénistes, des chevènementistes … Ce sont nos histoires, mais aucune ne mérite une guerre de tranchée ou une guerre de cent ans!»
Mélenchon et Macron dans le collimateur
Mais le problème numéro un aujourd’hui, pour les socialistes français, pourrait bien être de trouver un espace bien à eux entre les deux forces qui les ont pris en étau lors des dernières élections: Emmanuel Macron, sur leur droite, avec un profil suffisamment flou pour rassembler aussi bien les électeurs sociaux-démocrates que les libéraux modérés, et sur leur gauche La France insoumise de Mélenchon, et ses satellites plus ou moins consentants. C’est bien pourquoi Olivier Faure n’a pas oublié, dans son discours qui se voulait refondateur du PS, de s’en prendre fermement à l’un et à l’autre.
Le nouveau premier secrétaire socialiste n’a pas hésité à accuser Mélenchon, de manière à peine indirecte, de copier Marine Le Pen en matière de populisme et de démagogie, en déclarant que «l’extrême droite n’a plus l’exclusivité de ces deux maladies aussi contagieuses que ravageuses». En insistant à propos du fondateur de La France insoumise: «Qui est le plus à gauche? Celui qui dit, ou celui qui fait? La surenchère verbale a un mérite: elle ne coûte rien; mais elle a un défaut majeur: elle ne rapporte rien. En mai et en juin derniers, les Français nous ont sanctionnés, c’est un fait; mais ils ne nous ont pas remplacés, et le PS reste le seul parti capable d’empêcher qu’un boulevard électoral s’ouvre aux droites.»
Quel programme?
Quant à Emmanuel Macron, a estimé Olivier Faure, «il est faux de dire qu’après tout, il avait clairement annoncé la couleur durant sa campagne présidentielle, et qu’il ne fait aujourd’hui que mettre en œuvre ce pour quoi il a été élu. Il jouait alors de toutes les couleurs, de toutes les promesses, et sur tous les tableaux. Il y en avait pour tous les goûts, et sa campagne fut un vrai costume d’Arlequin. Et puis nous connaissons la suite: très vite, sous Arlequin perça … Jupiter.»
«Ce fut d’abord un ministre issu de nos rangs, et clamant sa fidélité à la gauche», a poursuivi M. Faure. «Puis il a prétendu n’être ’ni de droite ni de gauche›, avant d’affirmer être ‹de droite et de gauche›; et depuis son élection à l’Elysée, il mène carrément une politique de droite … et de droite!» La vérité, a insisté le premier secrétaire du PS, est que » la République macroniste est un régime politique où le Président dirige seul, épaulé par une start-up de conseillers. La promesse de la présidentielle, c’était de «mettre la République en marche». Mais le résultat, dix mois plus tard, c’est que le gouvernement transforme la République en marché! «C’est dire que pour ses débuts, le nouveau premier secrétaire du Parti socialiste n’a pas hésité à multiplier les trouvailles oratoires, volontiers applaudies par son auditoire, les exhortations à l’unité, en laquelle il voit une condition sine qua non de la résurrection du PS, et les coups de patte, toutes griffes dehors, à l’adresse des chefs des deux principales formations dont l’émergence a broyé ce qu’il restait naguère de la majorité sortante, déjà défaite d’une main sûre par le bilan de François Hollande et le méthodique travail de sape des «frondeurs».
Mais pour reconquérir un espace politique entre l’extrême gauche mélenchoniste et la nébuleuse macroniste, il va maintenant lui falloir une autre chose encore bien plus importante qu’un ton rajeuni, une habileté dialectique plutôt encourageante, et même une nouvelle équipe: un programme. Son soutien à la grève, de moins en moins populaire à ce stade, de la SNCF, ne saurait en tenir lieu, d’autant plus qu’il donne un peu l’impression de prendre, si l’on ose dire, le train en marche par rapport à l’extrême gauche et au Front national.
Un renouveau socialiste, pourquoi pas? L’histoire de cette famille politique en a connu d’autres, dont la magistrale opération mitterrandienne. Mais il faut avoir quelque chose de nouveau à dire aux Français, une politique à proposer, et une stature exceptionnelle pour l’incarner.
On n’attendait évidemment pas de ce congrès d’Aubervilliers le miracle d’une telle conjonction. Mais le chemin, que rien n’annonce facile, pourrait bien être long.
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