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Les excuses d’un juif

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De Daniel Salvatore Schiffer

Un crime particulièrement abject, innommable tant dans son abomination que dans sa lâcheté, a été découvert, dans un modeste appartement parisien, ce vendredi 23 mars 2018: celui d’une pauvre vieille dame, Mireille Knoll, âgée de 85 ans, paralysée sur son lit, atteinte de la maladie de Parkinson, et ne pouvant plus se déplacer qu’en chaise roulante.

Daniel Salvatore Schiffer

Philosophe, auteur, notamment, de „La philosophie d’Emmanuel Levinas – Métaphysique, esthétique, éthique“ (Presses Universitaires de France), „Oscar Wilde“ et „Lord Byron“ (Gallimard – Folio Biographies), „Critique de la déraison pure – La faillite intellectuelle des ’nouveaux philosophes› et de leurs épigones“ (François Bourin Editeur) et „Traité de la mort sublime – L’art de mourir, de Socrate à David Bowie“ (Alma Editeur).

Un crime d’autant plus odieux qu’il a été perpétré, à l’évidence, par l’un des racismes les plus virulents qui sévissent, aujourd’hui, en France: l’antisémitisme, qui ne cesse de se développer dangereusement, tel le plus mortifère des cancers, au pays de Voltaire et, plus particulièrement, dans ce l’on nomme encore, malgré cette violence aveugle, récurrente et toujours plus tentaculaire, la Ville-Lumière!

Mais le plus consternant encore en cette douloureuse affaire, si tant est que cela puisse même être simplement imaginable, c’est que cette femme de culture juive ait pu trouver ainsi une aussi horrible mort, un sommet de barbarie, en cette deuxième décennie du XXIe siècle, alors qu’elle avait pourtant réussi à échapper, en pleine occupation nazie, à la terrifiante „rafle du Vél’ d’Hiv“, en juillet 1942, où plus de 13.000 „israélites“ (pour reprendre la très suspecte terminologie de cet obscur temps-là) furent déportés, sous la férule conjointe des polices allemande et française, vers les camps d’extermination.

Le paradoxe, quasiment incompréhensible sur le plan historique, est énorme, au point de nous jeter dans un cruel mais légitime doute quant aux hypothétiques progrès, en matière de droits de l’homme, au sein de notre époque contemporaine et, en particulier, de nos sociétés prétendument modernes!

Ainsi la „marche blanche“ de ce mercredi 28 mars, organisée afin d’honorer la mémoire de Mireille Knoll, était-elle parfaitement justifiée, avec, comme principal mot d’ordre, le rassemblement, toutes confessions religieuses confondues et par-delà tout clivage politique, de tous les Français, sans exception pourvu qu’ils fussent des hommes et des femmes de bonne volonté.

D’Arnaud Beltrame à Mireille Knoll

Mais voilà: ce qui devait être, idéalement, un hommage à la portée aussi pacificatrice qu’œcuménique, dans la foulée de ce magnifique hommage national que la France venait de rendre unanimement, le même jour et quelques heures à peine auparavant, à Arnaud Beltrame, s’est bien vite transformé, au contraire, en une indigne foire aux empoignes, faite d’ignobles insultes et de propos indécents, parfois de gestes aussi brutaux qu’inacceptables, envers ceux – Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, qui venaient pourtant s’incliner respectueusement, mus par une sincère peine, devant le domicile de Mireille Knoll – que le Conseil représentatif des institutions juives de France s’était arrogé le droit d’exclure, par la voix de son président, Francis Kalifat, de cette manifestation pourtant censée être, au départ, universelle.

La faute morale est impardonnable, et l’erreur politique encore plus grave: outre le fait, par pareille attitude, de promouvoir indirectement la France Insoumise tout autant que le Front National, elles ne font ainsi qu’attiser davantage encore, à l’inverse de ce qui était escompté à l’origine, haine et rancœur, communautarisme et – le comble – antisémitisme. Bel et surtout stupide effet de boomerang: ce piètre calcul de matrice politico-idéologique, totalement contre-productif, s’avère aussi désastreux qu’irresponsable pour l’ensemble de la communauté juive elle-même!

D’où, précisément, cette critique que moi, enfant juif, j’ose ainsi adresser, conscient de ce que mes propres pères eurent à endurer dans les camps de concentration nazis, à Francis Kalifat en personne: qui êtes vous donc, Monsieur, pour vous octroyer ainsi l’indu privilège, à partir de votre seule mais insuffisante autorité et du haut d’on ne sait quel arrogant pupitre, de décider qui est le „bienvenu“, ou non, pour venir exprimer sa compassion, son chagrin ou sa douleur, face à un de nos morts? Seriez-vous donc plus important que le président de la République lui-même, Emmanuel Macron, qui, quelques heures auparavant donc, avait accueilli généreusement et sans broncher, au sein même de l’un des sanctuaires les plus sacrés de la France, les Invalides, ces mêmes Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen afin qu’ils communient très justement eux aussi, aux côtés de leurs concitoyens, autour de l’héroïque dépouille du colonel Arnaud Beltrame?

C’est ainsi donc, Monsieur Kalifat, que, par ce sectarisme caractérisé en cette malheureuse circonstance, dont on ne sait si c’est l’intolérance ou la mesquinerie qu’il faut blâmer le plus, vous aurez finalement réussi à gâcher lamentablement, en plus de manquer singulièrement de respect envers l’humble personne de Mireille Knoll, un précieux moment de solidarité nationale tout autant que de fraternité humaine. Honte, pour ce regrettable et triste épisode, au CRIF!

Quant à moi, en tant que juif attaché à la laïcité, je présente mes excuses, pour cette ignominie, à Jean-Luc Mélenchon et Marine Le Pen, même si je ne les connais pas personnellement et que je ne fasse guère partie, pour l’un comme pour l’autre, du même bord politico-idéologique. C’est cela, Monsieur Kalifat, le véritable esprit de tolérance, sans lequel il n’est point d’humanisme qui vaille ni de démocratie qui tienne à long terme.
Cette impérieuse leçon, cette intime conviction que j’ai chevillée au cœur comme à la raison, c’est un de mes illustres ancêtres, Sinaï Schiffer, grand rabbin (né à Nameszto, en Hongrie, en 1852 et mort à Karlsruhe, en Allemagne, en 1923) et, surtout, l’un des principaux théoriciens, à l’époque moderne, du droit juif, qui me l’a, par l’enseignement légué à ma famille, transmise.

Oui: c’est bien cela la grande et véritable judéité, dont se revendiqua un Bernard Lazare au temps de l’affaire Dreyfus ou un Julien Benda en son admirable „trahison des clercs“: un esprit d’ouverture, universaliste et cosmopolite, uni au sens du pardon et au devoir de charité, sans préjugés d’aucune sorte ni sectarisme de mauvais aloi, avec, en guise d’indéfectible clé de voûte à semblable éthique, la tolérance, valeur d’entre les valeurs et, comme telle, autrefois si chère à nos éminents philosophes des Lumières!

Zweig, Kafka, Mahler et Freud

Méditez, avec sagesse, Monsieur Kalifat, ces inestimables paroles pour tout homme digne de ce nom: elles sont, en effet, de mon cher aïeul, Sinaï Schiffer, dont je vous laisse ici, via l’encyclopédie wikipédia, un aperçu biographique.

Ce père de mes pères, cette admirable figure tutélaire dont je fais ici publiquement état pour la première fois de mon existence, je l’invoque d’autant plus volontiers, que, ayant vécu au centre de la belle et prestigieuse culture mitteleuropéenne, il fréquenta, fort de son immense mais humble savoir, des esprits aussi éclairés, pour lesquels il fut aussi un exceptionnel maître de vie, que les grands Stefan Zweig, Arthur Schnitzler, Franz Kafka, Gustav Mahler, Arnold Schönberg et Sigmund Freud. Prenez-en de la graine à l’avenir!