A 25 ans, comme beaucoup de jeunes actifs fraîchement diplômés, j’ai voulu tenter ma chance ailleurs qu’en France et m’exporter. J’ai décidé de venir au Luxembourg et d’y lancer ma carrière de juriste futur avocat. Ce fut la meilleure décision prise depuis le début de mes études de droit à Strasbourg.
De Lawene Mulla
Pour trouver ma voie dans cette place financière mondiale, j’étais convaincu d’avoir des atouts de force pour me démarquer: polyglotte, je parle le français, l’anglais et l’arabe couramment. Mais surtout, j’ai vécu à l’étranger. J’ai grandi à Alep en Syrie. Convaincu que mon éducation et mon histoire multiculturelle seraient les bienvenus dans un pays qui célèbre la diversité de ses habitants, je peux affirmer en toute sérénité que mon instinct ne m’a pas trompé.
Franco-Syrien mais aussi Algérien et Kurde, j’ai eu la chance de grandir à Alep dans un environnement multiculturel. Alors que la paix et la stabilité regagnent timidement le territoire après bientôt sept années de guerre, la réalité du terrain est bien différente de ce que peuvent relayer les médias. En réponse aux événements et au brassage chaotique d’informations par les médias qui menaient une guerre de l’information tant à l’échelle nationale que mondiale, j’ai tenté de transmettre autour de moi des idées de paix et de relayer l’image que j’ai gardée de mes dix-sept années vécues à Alep. En vain. J’ai compris à ce moment-là que l’ignorance nourrit l’obscurantisme, même indirectement, qu’il s’agisse de l’oppresseur ou du tiers au conflit.
Je tiens aujourd’hui, par ces quelques lignes, peindre l’image que j’ai gardée de ma ville natale, des souvenirs lointains qui aujourd’hui reprennent vie. Car ce qu’il nous reste aujourd’hui, ce sont la mémoire et la foi en des jours meilleurs.
J’ai gardé un souvenir quasi intact de ma ville natale. Le voile d’amertume et de deuil n’a jamais réussi à assombrir cette image. Celle qui me reste est celle d’une ville et d’un pays construits au fil des civilisations et des invasions, composant une magnifique mosaïque de cultures et de religions qui vivaient jusqu’en 2012 dans une belle symbiose. Je me souviens encore, lorsque les fêtes musulmanes et chrétiennes coïncidaient à des dates proches, que d’énormes banquets communs étaient organisés pour célébrer en unité les fêtes. En réalité, c’était loin d’être surprenant car c’est cette région qui a connu la naissance et le rayonnement des deux religions, c’est bel et bien sur cette terre que des monuments furent construits en mémoire de figures du christianisme et de l’islam.
Alors que la guerre battait son plein et que la capitale économique du pays était plongée dans un chaos, coupée d’eau et d’électricité, les cloches des églises et paroisses de la ville sonnaient au coucher du soleil pour annoncer la fin du jeun de Ramadan, et invitaient les démunis à rompre le jeûne en sécurité dans leurs quartiers. Les cimetières inondés, et manquant de places, les espaces se partageaient, la foi des habitants les unissait, les barrières de la religion s’effondraient désormais également devant la mort. Jamais une communauté n’a été aussi blessée et meurtrie, mais en même temps soudée et unie. Aujourd’hui dans les zones terrorisées, il n’y a plus aucun chrétien. Il ne reste plus que des hommes et des femmes qui croient en un Dieu, priant qu’il ne leur tourne pas le dos.
L’image d’Alep que j’ai réussie à transmettre au Luxembourg, et que mes pairs résidents et citoyens ont accueillie sans peur mais avec beaucoup d’intérêt, c’est celle-ci. Lorsque j’effectuais mon stage au sein d’un des plus prestigieux cabinets d’avocats luxembourgeois, j’ai eu l’opportunité d’animer un stand représentant la Syrie lors de la journée de la diversité. Mes collègues et responsables affluaient pour déguster les spécialités culinaires que j’avais préparées jusque très tard la veille, mais s’arrêtaient surtout pour contempler ces images d’Alep et de Syrie que j’exposais. Alors que je redoutais et que j’attendais la question de savoir pourquoi je n’avais pas exposé de photographies de guerre ou d’images témoignant du désastre en Syrie, je fus agréablement surpris que cette question ne fut jamais posée.
Bien au contraire, les personnes qui contemplaient les photos et dont certaines avaient été prises lors de mon enfance, ne me demandaient pas ce qu’il restait de tous ces monuments. Ils appréciaient simplement cette immersion à distance et ce retour dans le passé dans lesquels je les invitais.
Aujourd’hui au Luxembourg, et plus que partout ailleurs, alors que ma maison d’enfance est probablement détruite, j’ai retrouvé ce sentiment d’être à la maison, de faire partie d’une communauté et d’avoir ma place au sein de la société. J’ai retrouvé ici une part d’Alep, la mémoire de ma ville s’est illuminée et a repris vie. Je me sens plus serein, et quelque part plus en paix.
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