Headlines

Carnaval: Du Bassin minier au Brésil minier

Carnaval: Du Bassin minier au Brésil minier

Jetzt weiterlesen! !

Für 0.99 € können Sie diesen Artikel erwerben.

Sie sind bereits Kunde?

Par Dominique Santana*

La fin de l’hiver approche et il reste peu de jours avant l’arrivée du Carnaval …
Le Brésil est bien souvent associé à ses illustres folies carnavalesques. Plumes et paillettes de toutes couleurs couvrant les corps dorés par le soleil caniculaire, qui dansent sous le rythme des instruments exotiques et défilent dans les rues noires de monde. C’est une véritable explosion de joie, cette folie tropicale! Le Carnaval brésilien, dont le peuple est particulièrement fier, a capté une fonction emblématique, au point d’être devenu le „pays du Carnaval“. Or, le Carnaval ne trouve pas ses origines sur le continent sud-américain. Cette festivité y fut en effet importée par les colons portugais et a évolué au fil du temps, tout en incluant des éléments culturels de l’Afrique et des populations indigènes.

Les Luxembourgeois ayant vécu pendant de nombreuses années au Brésil et dont une partie est désormais retournée au Grand-Duché, s’emballent toujours pour cet illustre Carnaval tropical. Teintés d’une profonde nostalgie, ils racontent à leurs petits-enfants des réjouissantes journées carnavalesques vécues dans les immenses terres rouges de l’Etat de Minas Gerais, au sud-est du Brésil.

Un Bassin minier luxembourgeois allant jusqu’à Minas Gerais

L’Arbed (Aciéries réunies Burbach-Eich-Dudelange), fondée en 1911, occupe une place de choix dans l’histoire du Luxembourg contemporain. Elle a fait l’objet de nombreuses recherches historiques, mais ses influences outre-mer, surtout au Brésil, ne furent cependant que très peu explorées. L’expansion des activités de la société sidérurgique belgo-luxembourgeoise vers le Brésil avec l’inauguration de sa subsidiaire Companhia Siderúrgica Belgo Mineira en décembre 1921, engendra des flux migratoires, partant majoritairement du Luxembourg. La filiale brésilienne de l’Arbed, peu connue dans l’historiographie luxembourgeoise, a joué un rôle considérable dans la sidérurgie brésilienne. Débuta ainsi presqu’un demi-siècle de chemins transatlantiques entrecroisés, fortement liés à l’industrie sidérurgique.

Qui étaient ces Luxembourgeois à Minas Gerais?

Contrairement aux Luxembourgeois émigrés au 19e siècle, surtout vers le sud du Brésil et s’y étant intégrés dans les colonies germanophones, ces nouveaux flux migratoires pilotés par l’Arbed menaient les migrants vers Minas Gerais, un immense Etat profitant d’innombrables richesses naturelles, dont notamment le précieux minerai de fer. L’Arbed s’était d’abord implantée dans l’ancienne ville Sabará en décembre 1921 et avait ensuite construit l’imposante usine Barbanson à João Monlevade, toujours en fonctionnement sous ArcelorMittal. Les activités de l’Arbed allaient bien au-delà de l’installation de l’usine sidérurgique. Autour de celle-ci s’était érigée, sous le contrôle de la Companhia Sidérúrgica Belgo Mineira, une véritable ville avec tous ses attributs. L’entreprise avait construit des logements pour ses employés et ouvriers, des écoles, un hôpital, une église et même des clubs de loisirs, un club de football et un cinéma. Les habitants de João Monlevade avaient donné à l’entreprise le nom affectueux de „mãe Belgo“ (mère Belgo), faisant ainsi allusion au rôle fortement maternaliste de l’entreprise. Plus tard, cette même fut d’ailleurs rebaptisée „madrasta“ (belle-mère) par quelques habitants de la ville, qui lamentaient la destruction de ce cinéma, qu’elle avait construit en vue d’une expansion de l’usine dans les années 1960.

Il s’agissait pour la plupart de jeunes ingénieurs, techniciens, contre-maîtres, électriciens ou agronomes embauchés par l’Arbed et envoyés à Minas Gerais (Sabará, João Monlevade et Belo Horizonte), Rio de Janeiro et São Paulo. Ces employés expatriés signaient un contrat de travail, qui était prolongé tous les trois ans et leur accordait certains bénéfices. Les frais de transport de toute la famille étaient intégralement pris en charge par l’entreprise et un logement était mis à leur disposition au Brésil. Malgré la distance qui les séparait de leur pays natal, ces émigrés veillaient au maintien de leurs coutumes. Au Casino, également construit et entretenu par la succursale brésilienne de l’Arbed, des plats typiquement luxembourgeois étaient servis et le luxembourgeois était une langue courante parmi les „estrangeiros“, ainsi que le français et l’allemand.

Cependant, une certaine hiérarchie, basée sur l’origine et la fonction des employés dans l’entreprise, subsistait dans cette communauté considérablement hétérogène. Celle-ci était également visible dans l’organisation de l’espace urbain de João Monlevade. Les somptueuses maisons de l’„avenida Aeroporto“ étaient réservées aux ingénieurs, tandis que les contre-maîtres ou techniciens vivaient dans des maisons unifamiliales plus modestes. En outre, cette communauté était basée sur la répartition traditionnelle des rôles entre les sexes. Pendant que les hommes passaient leurs journées à travailler au sein de l’entreprise, le quotidien des épouses se limitait à la fonction de femme au foyer. Les tâches domestiques étant généralement accomplies par des femmes de ménage, plusieurs étaient les épouses des employés émigrés qui sombraient peu à peu dans d’ennui. Dans divers témoignages, les femmes plutôt que les hommes relatent avoir incité le retour vers le pays d’origine.

Un aperçu sur le carnaval brésilien des Luxembourgeois

Marie-Rose Steil-Blang se souvient encore très bien des années vécues avec son mari à João Monlevade. En mars 1951, le couple eschois, fraîchement marié, embarqua sur le paquebot „Copacabana“ au port d’Anvers. Ils étaient accompagnés d’autres compatriotes, notamment le couple Ronkar et les Forster, eux aussi originaires d’Esch-sur-Alzette. Xavier Steil avait été embauché par l’Arbed pour travailler en tant que technicien dans l’usine de la subsidiaire brésilienne Companhia Siderúrgica Belgo Mineira à João Monlevade. Les Steil habitaient dans une petite maison dans la „rua Siderúrgica“ et avaient des voisins issus de divers pays européens, majoritairement du Luxembourg. Marie-Rose Steil-Blang était parmi les femmes au foyer qui luttaient contre l’ennui du quotidien, mais elle garde beaucoup de souvenirs des multiples soirées organisées dans les clubs fréquentés par les „estrangeiros“, surtout des folies carnavalesques très animées.

En effet, les Luxembourgeois de Sabará et de João Monlevade ne prenaient pas le Carnaval à la légère. Léopold Bian, un grand passionné du Carnaval brésilien, s’engagea activement dans l’organisation des festivités du Clube Cravo Vermelho à Sabará. Même Louis Ensch, le directeur général de l’entreprise jusqu’en 1953, recevait les fêtards déguisés du Cravo Vermelho dans son domicile et leur servait du guaraná et des biscuits champagne. Ce notable engagement de la part des Luxembourgeois pour l’organisation des festivités carnavalesques était tout aussi présent à João Monlevade.

D’après le journal O Pioneiro, dirigé par la Companhia Siderúrgica Belgo Mineira, le Carnaval de 1957 fut l’un des plus légendaires. Il s’agit d’ailleurs du dernier Carnaval des Steil au Brésil avant leur retour définitif au Grand-Duché. Les Luxembourgeois René Charles Jacoby et Joseph Pierre Ronkar avaient transformé le Social Clube en navire portant le nom de Monlevadópolis, qui naviguait dans des eaux troubles pendant trois jours de folie. Des concours de déguisement étaient organisés pour adultes et enfants et il y avait encore l’élection de la „Rainha do Carnaval“. Les invités profitaient des soirées de folie pour se libérer des tensions liées aux exigences du quotidien et dansaient jusqu’à l’aube aux rythmes de la musique carnavalesque. Le vieil emballement pour le Carnaval demeure dans la mémoire de Marie-Rose Steil-Blang, aujourd’hui grand-mère résidant à Esch-sur-Alzette, qui aime partager son trésor d’expériences vécues au Brésil avec ses petits-enfants.

* Dominique Santana est chercheuse en formation doctorale à l’Université du Luxembourg (C2DH), où elle retrace les trajectoires d’émigration luxembourgeoise vers le Brésil de 1920 à 1965, fortement liées à la Companhia Siderúrgica Belgo Mineira.