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Tel Aviv (On a trop parlé de Jérusalem)

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Ces derniers temps, on a trop parlé de Jérusalem et pas assez de Tel Aviv. C’est dû à Donald Trump, bien sûr...

Ces derniers temps, on a trop parlé de Jérusalem et pas assez de Tel Aviv. C’est dû à Donald Trump, bien sûr, mais aussi, sans doute, à l’un ou l’autre prophètes et fils de Dieu. Ce n’est pas étonnant car Tel Aviv représente des idéaux que tous les tenants d’idéologies politiques faisant rimer nationalisme, „religionisme“ et populisme dénigrent.

Analyse de Laurent Mignon*

Tel Aviv, que l’on pourrait traduire par „le mont du printemps“ est le titre que Nahum Sokolow (1859-1936) donna à sa traduction en hébreu d’„Altneuland“, le roman utopique du fondateur du sionisme Theodor Herzl (1860-1904).

Les valeurs qui sont défendues par Herzl dans ce récit, qu’il publia en 1902 et que beaucoup considèrent comme sa profession de foi littéraire, sont aujourd’hui menacées plus que jamais. Herzl y imagine une société nouvelle en Palestine, qui, dans les paroles de l’un des principaux personnages du récit, David Littwak, „est basée sur des idées qui sont le produit commun de tous les peuples civilisés“ (p. 172).

Une scène d’une manifestation anti-corruption à Tel Aviv. La vision internationale répandue reste celle de Jérusalem comme la capitale d’Israël et d’un Etat palestinien indépendant. La résolution 478 de l’ONU en 1980 appelait tous les pays ayant une mission diplomatique à Jérusalem à l’en retirer. Treize pays (Bolivie, Chili, Colombie, Costa Rica, République dominicaine, Equateur, Salvador, Guatemala, Haïti, Pays-Bas, Panama, Uruguay, Venezuela) avaient déménagé leur ambassade à Tel Aviv, où se trouvent celles des autres pays.

Dans une scène-clef, Littwak fait l’apologie d’un sionisme ouvert et pluraliste. „Comprenez-vous maintenant, mes chers amis, ce que je veux dire?“, demande-t-il à son auditoire. „Ce serait immoral de nier le droit de prendre part à nos accomplissements à n’importe quelle personne d’où qu’elle vienne et quelle que soit sa tribu ou sa croyance.“ Et en effet, le pays nouveau de Littwak est une terre où l’on trouve aux côtés des synagogues „les lieux de culte des chrétiens, des musulmans, des bouddhistes et des brahmanes“. Monothéismes, polythéismes et athéismes s’y côtoient, ainsi que les peuples du monde.

Les partis comme le FN, l’AfD, l’ADR …

Pas tout le monde est d’accord avec ce projet de société pluraliste. Alors que Littwak présente sa vision de la „Nouvelle société“, une voix s’élève: „Alors, nous laisserons les étrangers manger notre pain (p. 172)!“ Comment nier que l’écho de cette voix retentit régulièrement de nos jours dans les salles de congrès de partis tels que le Front national, l’AfD, l’ADR et bien d’autres encore.

C’est la voix de ceux qui sont aujourd’hui au pouvoir en Hongrie, en Pologne et en Autriche, où naquit Herzl. C’est la voix de ceux qui condamnèrent Dreyfus, alors qu’Herzl, correspondant pour la Neue Freie Presse, était à Paris et se mit à douter que les juifs pourraient un jour être vraiment acceptés en Europe. Littwak répond à son critique de façon résolue: „Non, ceux qui viennent plus tard ne vous appauvrissent pas, ils vous enrichissent (p. 173).“ Mais qu’en était-il alors des Palestiniens dans ce nouveau pays que Herzl imagine dans son roman? Bourgeois viennois du tournant du 19e siècle, le journaliste avait les préjugés de sa classe et de son époque. Dans ce livre, comme dans d’autres de ses écrits, les juifs d’origine européenne ont une mission civilisatrice à accomplir dans une Palestine arriérée.

Pourtant l’on ne peut réduire l’attitude de Herzl par rapport aux Arabes à un paternalisme plus ou moins bienveillant. Son approche est plus complexe. En effet, dans „Altneuland“, Reschid, un Palestinien membre de la „Nouvelle société“, explique à son interlocuteur européen qu’il n’a pas appris „la tolérance en Occident. Nous, les musulmans, nous nous sommes depuis toujours mieux entendus avec les juifs que vous les chrétiens. Déjà à l’époque où les premiers colons juifs sont apparus ici, à la fin du siècle dernier, il est arrivé que des Arabes se disputant aient choisi unjuif comme juge ou qu’ils se soient tournés vers le Conseil d’une colonie juive pour obtenir un avis, de l’aide ou un jugement (p.141).“

Reschid va même plus loin et parle d’un pays où Juifs et Arabes „vivent comme des frères“ (p. 140). Et pour Reschid aussi, le pluralisme religieux est le bienvenu: „Ces lieux de culte sont côte à côte, est je suis persuadé que nos prières, quand elles font leur ascension, se réunissent quelque part là-haut et poursuivent leur chemin ensemble jusqu’à ce qu’elles arrivent auprès de notre père, tout en haut (p. 140).“ Reschid et Dawid Littwak sont les symboles du pays dont rêvait Herzl. Une „ mosaïque mosaïque“ – eine mosaische Mosaik (p. 315) –,comme le note dans un jeu de mot douteux un autre protagoniste du roman.

Pourtant Herzl semble avoir été convaincu que cette nouvelle société en Palestine n’était
pas qu’un rêve. Dans une épigraphe, il motivait ses lecteurs: „Si vous le voulez, ce n’est pas un conte.“

Avant de jeter la première pierre

Avant de jeter la première pierre aux Netanyahou et autres hommes et femmes politiques d’Israël et de Palestine pour ne pas avoir voulu suffisamment fort que l’„Altneuland“ ne soit pas qu’un conte, notons que ce n’est pas seulement en Israël que l’on se doit de redécouvrir l’héritage progressiste de Herzl.

A l’ère du renouveau populiste, Herzl a encore beaucoup de choses à nous apprendre quand il parle de l’enrichissement que représentent les migrants pour une société et de l’importance de la mosaïque multiculturelle. Parlons donc de Tel Aviv et réinventons les idées qui sous-tendent l’„Altneuland“ chez nous aussi.

Source: Theodor Herzl, „Altneuland“, 7e édition, Berlin et Leipzig, Hermann Seemann Nachfolger Verlagsgesellschaft [s.d.].


* Le Luxembourgeois Laurent Mignon

… est professeur de langue et littérature turque à l’Université d’Oxford. Son parcours universitaire l’a entraîné de Bruxelles à Amman et de Londres à Ankara où il a enseigné la littérature turque pendant neuf ans à l’université de Bilkent. Son dernier ouvrage s’intitule Edebiyatin Sinirlarinda: Türkçe Edebiyat, Gürcistan ve Cengiz Aytmatov’a Dair („Aux frontières de la littérature: A propos de la littérature en turc, de la Géorgie et de Tchinguiz Aïtmatov“), paru à Istanbul aux éditions Evrensel en 2016.