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Mélenchon: le populisme de gauche

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Le peuple“ est une nation – la nation française – et son identification comme peuple repose sur une thématique et une symbolique nationales, qui doivent se substituer aux thèmes et symboles issus du mouvement ouvrier. „Le peuple“ doit se „construire“ par un mouvement qui associe les individus-citoyens, mouvement dont le contenu premier n’est pas social, mais symbolique et national, reposant sur deux facteurs clefs de mobilisation et de dynamisme.

Le leader, incarnation du „Programme“

Le premier facteur est l’identification à une figure: E. Laclau avait vu celle-ci, en Argentine, dans le général Péron, dont il était un partisan; P. Iglesias dans Podemos en Espagne a voulu être la-dite figure, avec plus ou moins de succès car Podemos est issu du mouvement social de 2011-2012 qui est monté d’en bas et a comporté, avec sa branche Anticapitalistas d’influence marxiste, majoritaire en Andalousie, des courants politiques ayant imposé leur reconnaissance comme tels contre l’égotisme et la médiatisation du chef.

Mais dans le cas des „insoumis“ leur soumission au chef charismatique était acquise dès le départ puisque la construction de cette organisation fut voulue et pensée comme totalement verticale, à partir du chef justement, figure oratoire incontestable ayant un capital politique comme représentant du peuple de gauche mécontent de la gauche, constitué par sa campagne de 2012.

Sauf qu’en 2012, celui-ci gérait les tendances à l’adulation en les contenant, conscient de la contradiction qu’il y avait à dénoncer le bonapartisme tout en étant candidat à la présidence. Cette fois-ci, le culte de la personnalité ne va pas être contenu mais au contraire il va être déchaîné. A l’usage de qui s’inquiète un peu il sera expliqué que pour l’instant il s’agit de combattre le présidentialisme avec les moyens du présidentialisme (sic).

Le second facteur est l’identification d’un ennemi. Le „peuple“ doit être construit par son chef dans une mobilisation où il se dote de symboles, les uns nationaux et hérités, les autres identifiant le mouvement comme tel, par la conviction d’être le regroupement des victimes de l’ennemi, s’engageant contre celui-ci.

Les sentiments sociaux, le mécontentement social, la conscience plus ou moins claire, plus ou moins obscure, de l’exploitation et de l’oppression, sont bien entendu présents ici comme fondements, mais comprenons bien qu’à la différence du projet d’organisation du mouvement ouvrier, tel que l’entendait par exemple Rosa Luxembourg, il ne s’agit pas de donner son expression démocratique consciente à ce mouvement réel, mais de se nourrir des sentiments de frustration qu’il comporte pour „construire un peuple“ dont les mobiles mobilisateurs résident dans l’identification au Chef – pardon, au programme incarné! –, dans l’agitation des symboles, et surtout dans la désignation de l’Ennemi.

Un inquiétant soubassement

Le syndicaliste français Vincent Présumey constatait récemment sur son blog „Médiapart“: „La thématique de la construction d’une identité politique par désignation de l’ennemi, chez C. Mouffe, est quant à elle explicitement empruntée au principal penseur juridico-politique du national-socialisme, Carl Schmitt, chez qui l’ennemi, plus ou moins euphémisé selon les périodes où il écrivait, était le juif (chez le nazi de base le juif était l’ennemi par essence, chez Schmitt il est l’ennemi choisi comme tel pour donner sa dynamique au ‹mouvement› lequel prend en fait la place du politique).

L’ennemi est donc ‹l’oligarchie› ou ‹la caste›. L’oligarchie, terme qui chez les Grecs désignait la minorité privilégiée non légitime (l’aristocratie, les meilleurs, était légitime), a vu son emploi vulgarisé par l’extrême-droite maurassienne, qui la complétait de l’adjectif ‹cosmopolite› avec un sous-entendu antisémite avéré. Les adjectifs qui lui sont ajoutés dans l’emploi ‹insoumis› du terme sont le plus souvent oligarchie ‹financière› ou ‹médiatique›, mais l’idée selon laquelle elle est a-nationale, ‹mondialiste› ou apatride, est tout à fait présente. Bien entendu, cette idée s’autorise d’une réalité: l’argent n’a pas d’odeur et le capital est ubiquiste. Mais ‹l’oligarchie› n’est pas le capital, elle n’est que la finance, plus les médias et les hommes politiques: la figure haïe est typiquement un homme riche, médiatique, et ayant un pouvoir politique réel ou supposé – financier, homme de parti, journaliste.“

Il ne s’agit pas ici de donner une expression consciente à la résistance spontanée de tous les jours par la lutte organisée, mais de recouvrir les sentiments de mécontentement et de frustration nourris par l’exploitation et par l’oppression d’une couche, enthousiasmante et obscurcissante à la fois, d’images et de fétiches dont les principaux sont ceux du chef charismatique, le Programme incarné, et de l’Ennemi, l’oligarchie financière, médiatique, politique et apatride. Mais au grand jamais le capitalisme, les rapports de production capitalistes et la société de classes …

L’identification au Chef incarnation du Programme et la cristallisation de la Haine sur les figures de l’oligarchie, financière, médiatique et politique, ne visent pas à organiser le salariat contre le capital, mais à dresser toutes les classes, capital „productif“ ou „national“ et petit et moyen patronat compris, contre la seule oligarchie supposée mondialiste. A la conscience du mouvement réel est substituée la mystique de l’enthousiasme, à l’organisation politique collective et structurée est substitué le mouvement des individus atomisés agissant par impulsion et identification, et à l’auto-assimilation de l’héritage culturel et historique est substituée une „éducation populaire“ déclinée en „fichiers thématiques“ en vue de dresser des prosélytes du Programme incarné …

Robert Mertzig