La presse, au sens premier, est encore l’outil qui permet de tirer le jus du raisin, de l’olive ou du citron; Gutenberg l’a transformée comme on sait, et par les temps qui courent, le sens large prévaut, celui qui réunit tout le système d’information moderne, du journal imprimé au site web en passant par la radio et la télé.
Pourquoi la presse a-t-elle si mauvaise presse dans l’opinion publique? Les lecteurs, auditeurs, téléspectateurs, internautes seraient-ils délibérément et constamment trompés, abusés, manipulés par des journalistes en connivence avec les puissants de la politique et de l’argent?
L’information fausse et l’intoxication sont aussi vieilles que le monde, comme le mensonge, la rumeur, la médisance, l’approximation, la demi-vérité, la falsification, l’exagération, la déformation, et, et, et. Sans devoir le prouver ici et maintenant, je soutiendrai pourtant que jamais, le risque d’être trompé de bout en bout par „les médias“ n’était aussi réduit que maintenant, à l’heure des Trump et consorts.
En effet, si nombre de bons candides et naïfs se font raconter des histoires sur les réseaux dits sociaux, les gens soucieux de s’informer correctement et complètement le peuvent très facilement. Dans nos régions notamment ils ont à leur disposition de nombreuses sources fiables, disponibles à tout moment, partout.
Mais attention! Il y a péril! Le risque que bientôt, très bientôt même, la presse d’information baisse en qualité et en quantité, est réel. Déjà, en France, en Allemagne, en Autriche, en Suisse, en Belgique (et ailleurs) le nombre des journalistes professionnels diminue à la suite des programmes de rationalisation apparemment nécessaires dans le secteur des médias, surtout dans les journaux imprimés.
C’est que le modèle commercial, basé depuis un siècle et demi sur deux catégories de recettes (vente d’abonnements ou d’exemplaires, vente de publicité) vole en éclats. La publicité („la réclame“, disait-on), s’en va ailleurs. Elle est canalisée par les placeurs vers l’audiovisuel et vers le web, capables, paraît-il, de „cibler“ mieux les consommateurs potentiels.
Ainsi, les quotidiens perdent des revenus indispensables pour financer les équipes rédactionnelles et leur travail sur le terrain. Ils pourraient, théoriquement, compenser ce manque à gagner en chargeant davantage l’abonné et l’acheteur du numéro, ou en demandant une contribution raisonnable aux lecteurs des flux d’infos numériques. Mais là, ils se heurtent à la résistance du client, lequel est prêt à débourser pour son petit café, mais non pour son info.
Qui pis est: il s’offre de moins en moins de temps pour s’informer. Les recherches universitaires aboutissent toutes au même résultat: on dépense de moins en moins de minutes pour lire (et regarder ou écouter) des nouvelles, analyses, commentaires; on privilégie ce que les Américains appellent „entertainment“. Tout peut être converti en „entertainment“: la politique, les sciences, la météo, les catastrophes, les guerres, si l’on adopte les règles basiques. Il faut être bref mais spectaculaire, et surtout, léger, „facile“. La faim dans le monde en deux minutes, le conflit ukrainien et celui de Syrie en une, l’Union européenne et le Brexit en trois, Bayern – Arsenal en dix, mais les Oscars ont droit à la demi-heure, au moins.
L’information sélectionnée, hiérarchisée, analysée, expliquée, commentée ne peut pas être fournie en vitesse. On ne lit pas une page de Proust ou de Nietzsche en 30 secondes, on ne s’informe pas „gratis“ et en quelques minutes. Sorry! Et le monde des sous-informés et des mal-informés sera forcément moins humain, moins émancipé.
Tant pis?
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