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Théâtre en plein air à Eschdorf„Tëschtzwee“: les souvenirs de jeunesse de Claude Mangen

Théâtre en plein air à Eschdorf / „Tëschtzwee“: les souvenirs de jeunesse de Claude Mangen
De gauche à droite: Léini (Liss Walisch), Lisi (Wendy Wagener) et Fini (Catherine Heitz), trois filles en quête de bonheur dans les années 60 Photo: Editpress/Tania Feller

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C’est à une expérience immersive très réussie qu’invite Claude Mangen avec „Tëschtzwee“. Trente comédiens et comédiennes amateures d’Esch-sur-Sûre font revivre les espoirs et peurs des années 60 et 70 dans un décor fait maison.

Qui veut vivre une expérience unique visuellement, intelligente dans le propos, importante d’un point de vue historique, est bien inspiré d’aller à Eschdorf, voir la pièce de théâtre populaire „Tëschtzwee“, écrit et mis en scène par l’enfant du pays Claude Mangen. Certes, et preuve qu’il y a une place pour ce théâtre populaire, les six représentations prévues sont complètes, mais une septième (jeudi 17 août) est venue s’ajouter hier pour (tenter de) satisfaire la demande. Si les festivités Esch23 sont nées d’une idée rigolote, mais un peu bancale, de donner suite à Esch22, elles ont certainement trouvé leur raison d’être avec cette pièce qui a occupé au total plus de 50 personnes de la commune d’Esch-sur-Sûre. La production a fait appel aux habitants des treize villages qui composent cette dernière, pour incarner les 30 personnages de cette pièce de près de trois heures (avec entracte) ou officier au maquillage, aux costumes et aux décors. 

Il y a le décor naturel, celui d’un espace plan derrière l’église. L’édifice religieux sert de coulisse, mais aussi de décor de fonds. La religion n’est pas directement abordée – le rôle du curé est absent dans la distribution –, mais elle est partout dans les têtes, comme l’église dans le décor. La cloche est réquisitionnée pour sonner le début de la pièce et sa reprise après l’entracte. A gauche de la scène, la Paschtoueschhaus devient dans la pièce la maison du menuisier Wëllem et de sa fille, la principale protagoniste Lisi (interprétée par Wendy Wagener), qui y aménagera un café bien fréquenté. Le décor naturel, c’est aussi le crépuscule, la pièce commençant au soleil couchant et la nuit donnant à la suite un caractère plus festif et intimiste. 

Adossée à l’église, il y a la scène, sur laquelle est dressée à la verticale une énorme de valise qui s’ouvre et se referme, selon les besoins, et à la manière des rideaux rouges dans les salles de théâtre. Métaphore du départ ou des souvenirs qu’y peuvent s’y cacher, elle offre son cadre aux festivités (théâtre, mariage, musique) comme aux confessions. 

En quête d’authenticité

Avec „Tëschtzwee“, Claude Mangen fait donc revivre le théâtre populaire. Il s’inscrit à la suite de Max Goergen et Josy Imdahl, qui ont marqué le théâtre villageois au début du XXe siècle et qu’on jouait encore dans les années 50 et 60 à Eschdorf même. Mais il renonce aux valeurs conservatrices que véhiculait ce théâtre, pour traiter de l’émancipation au ras du sol, à l’ombre des clochers, en suivant le parcours de trois copines: Lisi, Léini et Fini, trois fortes personnalités qui cherchent leur place dans un monde meilleur, que ce soit à la maison ou loin du village.

D’ailleurs, il fait le choix astucieux de débuter le premier de ses quatre actes, au printemps 1963, au moment des répétitions au village de la célèbre pièce de Josy Imdahl „D’Joffer Marie-Madeleine“, écrite en 1916. Ce faisant Claude Mangen nous offre une reconstitution du théâtre populaire d’autrefois, à l’intérieur de l’exercice de reconstitution des années 60 et 70 qu’est sa pièce. A travers l’actrice principale Léini, qui se plaint de devoir jouer une pièce si poussiéreuse, elle qui rêve de Paris et de glamour, il nous indique ce qu’il pense de ce théâtre qu’on jouait encore quand il a fait ses débuts sur les planches de la „Veräinshaus“. Il tend aussi à cette occasion un miroir au public d’aujourd’hui, rejouant les comportements du public de la campagne autrefois, qui commente la représentation.

Claude Mangen a puisé dans ses souvenirs et dans les ambiances qui lui restent de sa jeunesse pour tisser son récit. „Les souvenirs de nos ancêtres sont des choses enracinées en nous, que nous transportons dans nos muscles et dans nos gestes, qui définissent nos comportements pour toujours“, dit-il. „Ces expériences d’enfant n’ont souvent pas de mots, viennent spontanément dans la tête, et ce sont souvent des souvenirs banaux. Mais l’important, ce sont les sentiments qui y sont associés.“

Parmi ses sentiments, il y a un grand amour pour les femmes du village qui transparaît. Sa pièce est à lire comme un hommage à ces héroïnes du quotidien. Si elles sont capables de lâcher des mots durs et de rire de bon cœur comme les hommes, la raison est toujours de leur côté. Comme les femmes se lancent dans des unions contre nature, les hommes se perdent à devoir mener des entreprises pour lesquelles ils n’ont pas les épaules taillées. Les hommes noient souvent dans l’alcool et dans les blagues graveleuses leur mal-être.

La position de Claude Mangen est authentique, comme celle des comédiennes et des comédiens auquel il a veillé à donner des rôles qui leur ressemblent. Liss Walisch, qui incarne le rôle de Léini, est petite-fille de paysans d’Eschdorf. Dans la riche brochure qui accompagne le spectacle, cette chanteuse professionnelle confie: „J’ai appris énormément de choses [en grandissant à la campagne], et c’est souvent un avantage d’avoir grandi avec une vue plus pragmatique sur le monde. Mais de temps en temps, cela rend les décisions, faciles à prendre pour d’autres, inutilement compliquées.“

Le menuisier Wëllen (Roger Origer) et sa belle-soeur Tatta Zëss (Nicole Thull-Donckel)
Le menuisier Wëllen (Roger Origer) et sa belle-soeur Tatta Zëss (Nicole Thull-Donckel) Photo: Editpress/Tania Feller

Le verger en danger

A chaque acte, on avance de plusieurs années et d’une saison. Lors du deuxième acte, c’est l’été 68; les aspirations au changement se font ressentir jusque dans le village. Mais c’est aussi une phase d’insécurité qui s’ouvre. Esch-sur-Alzette et la Minett sont d’ailleurs au compte de ces nombreux ailleurs qui font marcher les fantasmes. Lisi se marie au secrétaire communal, Mil, qui est devenu un pilier du bar qu’elle a ouvert et que fréquentent les jeunes de la ville. Puis vient l’automne 73, la fin des Trente Glorieuses, et le début de la spéculation et d’un verger menacé par un projet immobilier – en double hommage au „Der Kirschgarten“ d’Anton Tchekhov et au „Kiischtebléien“ de Pol Greisch

La pièce est jalonnée de musique, y compris la musique communale, pilier important de la vie au village. Les paroles des chansons qu’on aime chanter en chœur au village sont d’ailleurs plutôt un espoir qu’une réalité. Claude Mangen ne livre pas une œuvre tout en nuances, qui n’impose aucune lecture. C’est pour lui, dit-il, l’occasion de digérer et de laisser derrière soi un bout de vie. Il aura marqué avec „Tëschtzwee“ l’histoire du théâtre populaire de son village … et sans doute aussi du pays. 

La première, ce 10 août, affichait grand complet
La première, ce 10 août, affichait grand complet Photo: Editpress/Tania Feller

Infos

Les cinq autres représentations initialement prévues (10, 12, 13, 14, 18 et 19 août) sont déjà complètes. Une nouvelle représentation, jeudi 17 août, est ajoutée. Début: 20.30 h. Les billets sont en vente depuis hier. (Tarif: 23 euros/tarif jeune: 15 euros.)