D’ailleurs à Paris, les agendas culturels sont moins remplis, à cause des crises, de la guerre, plus si lointaine, de l’inflation, etc. Et puis Paris est devenu un chantier à ciel ouvert pour accueillir les Jeux Olympiques – qui paraissent plus que jamais destinés à divertir les masses, hormis le coût exorbitant des places, mais la télé remplira sa mission. Si ces jeux ne sont pas repoussés, tant dans la débâcle, il devient presque inconcevable de les concilier avec les enjeux de l’époque.
La vie parisienne et sa déambulation ne sont plus ce qu’elles étaient, et dériver dans le spleen cher à Baudelaire relève aujourd’hui de la fiction
Il est de plus en plus difficile de continuer dans ces conditions d’aller voir des expositions comme si de rien n’était. D’ailleurs, entre Parisiens, les prescriptions de sorties se font de plus en plus rares, assaillis qu’ils sont par une agressivité, un repli sur soi, que les touristes ignorent. La vie parisienne et sa déambulation ne sont plus ce qu’elles étaient, et dériver dans le spleen cher à Baudelaire relève aujourd’hui de la fiction, à moins de trouver refuge dans les cimetières et de penser à sa condition en déambulant dans les allées et en rendant hommage à quelques figures emblématiques, comme justement Baudelaire ou Beckett.
Comme une enseigne commerciale
Paris s’organise sous nos yeux comme une enseigne commerciale, avec son lot de laissés pour compte à chaque coin de rue, avec la sensation d’une inégalité de plus en plus criante entre les arrondissements réputés chics et les pauvres. Savez-vous que les sans domicile fixe seront déplacés hors de la capitale pour les Jeux Olympiques? Au lieu de résoudre le problème de cette misère endémique qui s’accumule par grappes de bidonvilles aux sorties, par exemple, du périphérique.
La standardisation des mœurs, l’absence de lien, la fatigue de ces existences vouées à on ne sait plus quoi sauf à tenir ou à une consommation artificielle, nous maintiennent dans un état de clivage
Finalement, on peut faire le tour du monde, en prendre le pouls, en parcourant simplement la capitale. Nous verrions alors que le Paris populaire, les petits artisans et leur gouaille ont disparu – il y avait tout un argot et une façon d’être magnifiques. La standardisation des mœurs, l’absence de lien, la fatigue de ces existences vouées à on ne sait plus quoi sauf à tenir ou à une consommation artificielle, nous maintiennent dans un état de clivage. Le paradoxe est là. On construit des immeubles au prix du mètre carré exorbitant, on démolit la vie de quartier, on crée d’immenses centres commerciaux au cœur de Paris – alors que la raison irait davantage au commerce de proximité – et les petites boutiques ferment, englouties. Un autre mode de vie se dessine, avec ses outrances et ses injustices. Car comment, en dehors des quartiers riches, avec une inflation galopante, continuer à consommer?
Comment penser l’art comme un moyen d’émancipation? Qu’est devenu l’art? Quelle part de transgression, d’évocation d’une utopie ou même d’un désenchantement, peut-il continuer à porter? Les statues de bronze, monumentales, du chat des bandes dessinées de Geluck, les mignonneries de Philippe Katerine, des sculptures d’un gros personnage rose, aussi expressives qu’un pictogramme, dans l’espace public, relèvent-elles de l’art? Un Jeff Koons, épousant le kitsch d’une époque, passerait presque pour un maître de l’art ancien. Notre époque a perdu le goût du temps et l’espace de la pensée.
De Francis Bacon à Astérix
Dans les musées, ou pour certaines expositions, une série de services sont proposés. Il y a bien sûr les écouteurs et le discours officiel de l’exposition. Mais vous pouvez, devant les œuvres, suivre une séance de méditation ou de yoga. De tout ce que vous voudrez finalement, en accord avec une idée particulière du bien-être, tel qu’il nous est inculqué dans nos sociétés occidentales. Une autre particularité, pour le moins insolite, est en train de prendre place: la visite, nu, d’une exposition. Cela a eu lieu le 25 mai au musée Maillol. Le musée Maillol est un magnifique musée à l’ancienne, qui peu à peu a dérivé avec des expositions populaires destinées à attirer les foules, comme Astérix et Obélix. Pourquoi pas, puisque les planches des bandes dessinées relèvent d’une certaine forme d’art. Nous sommes ainsi passés au fil du temps de Francis Bacon à Astérix.
Dernière lubie, donc, le nudisme. Cela ne peut pas être du naturisme, qui suppose un contexte naturel, comme son nom l’indique. Que faire dans un musée, nu? A quelles fins? Je l’ignore. Et si quelqu’un a une idée. Nous décomplexer peut-être? Et où est supposé être l’événement? Dans ce que l’on regarde ou dans la salle? L’expérience ne semble pas couler de source car sur la page web du musée Maillol, quelques consignes sont données, comme ne pas s’exhiber ou rester discret. Quant au Louvre, il accueille tant de monde que les planchers en tremblent. Finalement, on irait au musée comme au MacDo.
Vous conviendrez donc que le travail de journaliste culturelle dans un tel contexte est parfois difficile. Car restituer la beauté plastique d’une exposition comme celle de Frank Horvat au Jeu de Paume suppose un oubli de l’époque ou une grande mélancolie, face à un monde qui se déchaîne et change de paradigme.
La guerre, la misère, les bateaux qui sombrent avec leurs migrants, accélèrent ces temps tragiques. Que fera l’art de tout ceci? Transcendera-t-il ce que nous sommes en train de vivre? Le monde est devenu si petit et les atrocités deviennent de plus en plus difficiles à ranger dans un coin de sa tête, n’est-ce pas?
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