Même si la Konschthal ne le communique pas comme tel, l’été féminin qui s’y annonce relève d’une décision visant à ne pas prolonger une histoire de l’art qui a fait la part belle aux hommes. D’ailleurs, la présentation de l’ONG Aware (pour Archives of Women Artists, Research & Exhibitions) qui se tient ce samedi (à 15 h) à la Konschthal ne fait que le confirmer. Ce faisant, la Konschthal présente aussi trois manières différentes de considérer et d’entrer dans l’art contemporain. La peinture y a de nouveau ses lettres de noblesse à travers les tableaux de Tina Gillen, soucieuse d’apporter une troisième dimension à ce medium ancestral.
Au niveau supérieur, désormais séparé en deux depuis les travaux de ce début d’année, on retrouve d’un côté l’univers boisé de Julia Cottin. Il s’agit d’une œuvre baptisée „La forêt de Juma“, du nom de la prière de vendredi dans l’islam. Elle est à prendre comme une invitation au rassemblement et une référence à la Grande Mosquée de Kairouan (Tunisie). Cette dernière se distingue par la multiplicité de ses colonnes et par des éléments repris de temples romains et byzantins antérieurs à l’apparition de l’islam.
Dans le cadre d’une résidence au Bridderhaus mené par intermittence depuis le mois de février dernier, Julia Cottin a réactivé un projet remontant à 2011. Elle a sculpté des colonnes avec les éléments socle, fût et chapiteau, dans le bois de onze essences différentes achetées dans une scierie de sa Saône-et-Loire natale. Mais il y a aussi une dimension eschoise à la proposition de planter cette forêt de colonnes dans la salle qui fait désormais office de project room (à laquelle devrait s’essayer en 2024 Hisae Ikenaga).
Pour agencer les colonnes dans l’espace, elle s’est inspirée d’une partie de forêt de l’Ellergronn, dont elle a cartographié la disposition des arbres. L’Ellergronn est riche de mythes, de contes, d’histoire de la sidérurgie et de la contrebande, et c’est toute cette charge symbolique qui hante cet espace qui se prêterait aussi bien à des performances ou de lectures, qu’il ne se prête à une balade. Le bois s’inscrit en porte-à-faux avec l’ambiance brutaliste de la structure de la Konschthal. Et Julia Cottin n’est pas mécontente de faire perdre aux colonnes leur pouvoir (de soutènement) et de le signifier en laissant apparaître les cales qui permettent d’assurer leur verticalité.
Du Casino au casino
Cette forêt de Juma est un lieu de ressourcement, qui tranche avec l’univers tapageur de Hsia-Fei Chang. Dans la salle attenante, c’est plutôt à une forêt de jambes à laquelle on a affaire. L’artiste d’origine taïwanaise installée en France depuis ses études dans les années 90, propose une immersion dans son quotidien de croupière dans une nouvelle salle de jeu des Champs-Elysées. Ce métier, exercé durant deux ans, lui a permis de gagner bien plus d’argent qu’avec l’art, les casinos étant d’ailleurs bien plus nombreux que les centres d’arts contemporains, confie-t-elle, ironique.
Les 295 selfies qu’elle présente dans un long défilé de cent mètres se concentrent principalement sur son corps. Dans le vestiaire du casino, elle s’inspecte jour après jour, consciente que son apparence fait partie entière du boulot – à côté de son impassibilité et de ses facultés en calcul. Mais ces photos, nées tout autant de l’ennui, montrent aussi à l’inverse l’épuisement et les traces que laissent sur le corps sa propre exploitation pour le divertissement d’une population essentiellement masculine. Cette expérience, d’abord alimentaire, est devenue finalement la plus longue performance de l’artiste, qui la documentait jour après jour sur les réseaux sociaux.
Le travail de Hsia-Fei Chang se concentre principalement sur la représentation de soi, l’image que l’on donne, qu’on nous colle en retour et l’image réelle. C’est à ce titre, que cette performeuse, photographe et vidéaste avait participé en 2011 à l’exposition thématique „Second Lives, Jeux marqués et autres Je“ au Casino Forum d’art contemporain – où on l’avait déjà vue en 2004 et 2007. On y découvrait son œuvre „Place du Tertre – Montmartre“, un assemblage de 32 portraits qu’elle a fait réaliser en 2006 par des artistes portraitistes de Montmartre. A travers cette pièce – idéale pour aborder la question de l’autorat et des droits qui vont avec –, elle interrogeait les stéréotypes. Cette pièce est fort à propos présenté en contre-point de l’exposition de la Konschthal.
La Konschthal accompagne l’exposition par un livre publié par ses soins, intitulé „Backstreet Life“, reprenant les photos en petit format et pensé comme un cinéma de poche. L’institution eschoise a aussi financé la reproduction du tapis du club de jeu qui habille l’espace d’exposition. On y croise le chat de Hsia-Fei Chang, décédé entre-temps et empaillé. La dernière fois qu’on a vu dans cet état dans un musée luxembourgeois, c’était dans l’installation de l’artiste néerlandais Berend Strik lors du „Rendez-vous provoqué“ proposé au Musée national d’histoire et d’art en 1994. Un chat empaillé, pendu par la queue au plafond, semblait avoir vomi un tas de muscade râpée qui reposait sur une table en dessous et Christian Mosar qui y officiait se souvient bien du scandale que cela avait fait. La Ligue de protection des animaux avait organisé une manifestation de protestation le jour de l’ouverture. Dans l’histoire de l’art, heureusement, les temps changent.
Info
Les expositions „Forêt de Juma“ de Julia Cottin et „Rien ne va plus. Les jeux sont faits“ de Hsia-Fei Chang se tiennent jusqu’au 15 octobre, du mercredi au dimanche de 10 à 18 h (20 h le jeudi). Programme complet sur www.konschthal.lu.
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