Un événement aussi intense et multicausal qu’une révolution peut être abordé par de nombreux angles. Différents niveaux de lecture s’offrent aux chercheurs. Et c’est ce que l’exposition „1848 – Revolutioun zu Lëtzebuerg“, organisée par la Chambre des députés et les Archives nationales pour son 175e anniversaire, veut signifier dans sa scénographie. L’exposition fait une utilisation astucieuse des contraintes architecturales du long couloir peu commode de l’ancien bâtiment militaire qui abrite les Archives nationales. Ainsi, les fenêtres, dont les arcs servent de séparation entre les différents thèmes abordés, accueillent des illustrations et textes pensés comme des ouvertures vers d’autres questions.
Mise en scène audacieuse
L’exposition peut aussi satisfaire des visiteurs aux exigences variées. A hauteur de regard, sur le mur de gauche, on découvre des représentations de toutes sortes et des citations qui permettent d’immerger dans le thème traité. Lorsqu’il se retourne, en plus de voir à l’horizon le contre-point proposé, le visiteur trouve face à lui une vitrine présentant des objets et documents, que des textes placés au-dessus de la vitrine et visibles au plus grand nombre permettent de contextualiser. C’est sans aucun doute à Marie-Paule Jungblut, historienne publique de l’Institut d’histoire de l’université du Luxembourg, plus connue encore pour ses multiples expériences curatoriales – au musée de l’histoire de la ville de Luxembourg parmi tant d’autres – à laquelle on doit cette mise en scène audacieuse.
L’exposition commence ainsi par aborder la question sociale, en affichant le chiffre impressionnant de 12 pour cent des 170.000 habitants comptant le Grand-Duché qui dépendent de l’assistance publique en 1848. Les prolétaires sont en nombre restreint, tout comme les industries au sens propre. Néanmoins, cette dernière catégorie compte les manufactures des Godchaux sur les bords de l’Alzette, qui fabriquent 70 pour cent des tissus du pays et suscitent le ressentiment des populations des bords de la Sûre, qui s’en plaindront dans les pétitions adressées aux Etats au printemps 1848. Le travail manque, tout comme la nourriture liée à une succession de mauvaises récoltes. L’expo montre malicieusement une assiette Villeroy & Boch sur laquelle figure un mendiant, reflet d’une époque, où l’image du mendiant n’était pas aussi écœurante pour la bourgeoisie de la ville qu’elle ne l’est aujourd’hui. Elle n’a pas non plus peur des mots lourds de sens, en parlant „d’initiative privée de discipline sociale“ pour qualifier l’action de l’Etat et de la bourgeoisie face à la pauvreté. On n’aide que les bons pauvres, et non les fainéants pour qui il y avait une institution aujourd’hui disparue: le dépôt de mendicité.
On croise dans l’exposition, parmi les curiosités, la colonne démocratique de Herweg, l’affiche d’un disciple allemand du socialiste utopique Etienne Cabet placardée en ville ou encore une référence à Victor Tedesco né à Luxembourg, ami de Marx, qui participe à la révolution en Belgique et est l’auteur du catéchisme du prolétaire, qui trace un parallèle entre la condition de l’esclave et celle du prolétaire. L’exposition entend aussi donner un visage aux acteurs de l’époque. On y est accueilli par le portrait d’une bourgeoise, Madame Würth, qui crée une école pour jeunes filles ouvrières dans sa maison de Clausen, ou le portrait du typographe Breithoff, qui fait partie du comité des ouvriers qui présentera les revendications les plus hardies, sous la férule du député „rouge“, Charles Théodore André. En fin de parcours d’exposition comme dans le catalogue, on retrouve le même souci, en présentant tous les membres de l’Assemblée constituante qui va rédiger la nouvelle Constitution dont on peut lire le contenu dans la salle attenante. L’effet est limité du fait qu’en ce milieu du 19e siècle où les procédés photographiques font tout juste leurs premières apparitions, la plupart n’ont pas de portrait. De même, leurs positions, qu’on est censées lire au verso, ne sont pas toujours connues.
Le peuple en souffrance
Surtout, cette présentation reflète une vision très institutionnelle de l’événement et portée davantage sur les représentants du peuple plutôt que des citoyens qui sont pourtant les acteurs nouveaux et primordiaux de la déclinaison luxembourgeoise du Printemps des peuples. Ce serait sans aucun doute la plus-value par rapport à l’ouvrage de référence que fut celui d’Albert Calmes que d’identifier les auteurs des mouvements sur le terrain. L’idée qu’il y ait pu y avoir des aspirations républicaines est d’ailleurs niée du simple fait qu’aucun député n’en ait fait la revendication. Et pourtant, des Marseillaises sont chantées, le drapeau de la République française est hissé et de simples citoyens emploient le terme de République pour signifier aux autorités que les choses ne seront plus comme avant. Les moments de défiance qui font aussi une révolution sont potentiellement légion. Pourtant, sur un écran où l’on peut voir les différents lieux de révolte sur la carte du Luxembourg, on ne compte qu’une vingtaine de points. Mais si on l’avait élargi à tous les actes d’insubordination dû à ce moment exceptionnel, la carte serait beaucoup plus complète. Et Esch-sur-Alzette y apparaîtrait.
Si une microhistoire aurait permis de renouveler l’approche de ces événements, une histoire attentive aux émotions, comme les événements révolutionnaires en charrient de nombreuses, telle que développée par Sophie Wahnich au sujet de la Révolution française, aurait pu elle aussi renouveler le regard des visiteurs sur l’histoire.
Le catalogue qui accompagne l’exposition est méthodologiquement du même tonneau que l’exposition. Il consacre plusieurs articles sur la Constitution – dont Francis Delaporte met au jour la paternité sur celle de 1868 – et le Parlement – Benoit Reiter considère „comme le gagnant de la crise révolutionnaire de 1848“. L’article le plus intéressant, mais aussi le plus ironique, est celui dans lequel Charles Barthel explique comment, par l’achat du Grünewald et une optimale concordance des temps, le Roi-Grand-Duc a renfloué les caisses au meilleur des moments, pour pouvoir donner du travail. Le Printemps des peuples est d’ailleurs autant sinon davantage la revendication d’un droit au travail – encore inexaucée – que celle du suffrage universel. Charles Barthel y explique en quoi on peut qualifier cette vente comme „un des premiers actes d’insubordination de la députation des Etats face aux magouilles du monarque et aux cachotteries de son gouvernement, tout comme, à l’opposé, elle a en même temps contribué à refréner l’effervescence insurrectionnelle des classes laborieuses autochtones“. Il s’agissait de vendre une forêt dont les coupes annuelles n’étaient pas rentables, pour enfin développer le réseau routier que la séparation de la Belgique en 1839 et la redirection de l’économie vers l’Est avec l’entrée dans le Zollverein en 1842 exigeaient.
En 1848, le Luxembourg récupère en quelque sorte les libertés que la révolution de 1830 lui avait données et que la séparation de la Belgique en 1839 lui a retirées. Trop peu présente dans l’exposition, la révolution de 1830 mériterait à coup sûr, elle aussi, qu’on lui porte une attention nouvelle. Or, 2030 approche.
Info
L’exposition est ouverte jusqu’au 2 décembre 2023, tous les jours du lundi au vendredi de 8.30 à 17.30 h et le samedi de 8.30 à 11.30 h.
Le catalogue y est en vente au prix de 40 euros.
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