Dans la vie de Mélanie Mesager, les mouvements sont inséparables des mots. Chorégraphie et littérature sont toujours à l’affût l’une de l’autre. Et, si cela peut paraître original, c’est dû au statut longtemps clandestin des mots dans la danse, plutôt qu’à une double passion coupable. D’ailleurs, même le terme d’interprète se prête à l’un comme à l’autre. C’est au sortir du conservatoire de danse à Avignon, que Mélanie Mesager a commencé une carrière d’interprète, tout en poursuivant des études de lettres en parallèle. Puis, elle a enseigné le français d’un côté et proposait de l’autre des options danses aux élèves, avant que la chorégraphe Priscilla Noël ne vienne la débaucher.
Durant cette deuxième phase d’interprète, elle s’est cette fois lancée en parallèle dans la recherche en danse, où elle a naturellement développé une approche linguistique de la danse. „Je me suis toujours intéressée à cette frontière entre l’action de parler et l’action de danser“, explique-t-elle. „Quand arrête-t-on de considérer que l’on parle? Y-a-t-il dans l’acte de parler quelque chose qui ressemble à la danse? Qu’est-ce qui passe par le langage dans la réception que l’on a d’une danse et qu’est-ce qui est complètement hors langage? Ce sont les questions obsédantes qui m’ont suivie durant tout mon parcours.“ D’ailleurs, les chorégraphes avec lesquels elle a travaillé par la suite, Loic Touzé et Sabine Macher, intègrent des parties parlées à leurs compositions.
Retour à la narration
Cette renaissance de la parole et du texte dans la danse est en fait un retour aux sources, une rupture avec certaines théories de la danse des années 80, qui, pour le bien de la discipline, pensaient devoir en expurger tout ce qui la reliait à la pensée. „La danse devait être le mouvement pur, sans narration, en enlevant les trames narratives qu’il pouvait y avoir dans les ballets“, observe-t-elle. La danse, aujourd’hui, en est encore en partie tributaire. „Il y a une volonté de ne pas montrer ou de ne pas voir que les mots sont toujours là, qui correspond avec une volonté d’affirmer la danse comme une discipline à part entière, et donc de la distinguer du théâtre et de la littérature.“ Or, le langage est partout dans la danse. „L’univers de la danse, du cours, de la répétition chorégraphique est saturé de langage. Et la façon dont un chorégraphe donne des instructions a une influence énorme sur les mouvements.“ Certes, il arrive que les mots viennent après le mouvement, qu’un mouvement pas encore pris dans un réseau de significations puisse „dire quelque chose de la chorégraphie dans laquelle il est pris“. Néanmoins, „ce que je vois de vraiment dansé dans un spectacle de danse, est dans les failles du langage, mais cela n’existe pas sans le langage“.
Dans son mémoire de master devenu livre en 2018, elle s’est intéressée à des chorégraphies mêlant danse et littérature. Elle a proposé le terme de littéradanse pour désigner une œuvre qui mélange les deux genres et en forme une troisième à part, du fait de ce qu’elle désigne comme une double implosion, de la littérature et de la danse, dès lors qu’on les met en contact.
Elle n’a pas dansé dans ces chorégraphies qu’elle décrypte dans la position assumée de spectatrice, pour ressentir ce que le texte fait à sa perception du mouvement et ce que le mouvement fait à sa perception du texte. „Je crois beaucoup au regard du spectateur dans la fabrique de la danse en direct. La façon dont la danse est perçue peut la transformer complètement“, poursuit-elle. Ces propos semblent faire écho à ce qu’elle dit de la parole efficace, son sujet de master en linguistique médiévale, qui, au XIIe siècle, opère une mutation, sous la plume de l’hérétique Béranger de Tours, qui prétend que les paroles liturgiques sont efficaces – pour transformer le vin en sang du Christ – non plus parce qu’elles sont sacrées, mais parce que les fidèles les écoutent et les croient comme telles.
Je crois beaucoup au regard du spectateur dans la fabrique de la danse en direct. La façon dont la danse est perçue peut la transformer complètement.
Lapsus gestuels
Ce 3 juillet au Centre de création chorégraphique luxembourgeois (Trois-CL) à Bonnevoie, Mélanie Mesager fait son retour sur scène. Elle n’a pas connu de traversée du désert, mais la naissance de deux enfants, depuis son arrivée au Luxembourg il y a cinq ans. Sa cinquième chorégraphie est consacrée aux gestes parasites, ces gestes qu’on fait dans la vie quotidienne de manière non intentionnelle. Ces petits gestes, dont il est difficile d’identifier l’énergie de départ, échappent à l’attention des chorégraphes. Ils tendent à les gommer même, dans la quête de leurs contraires, à savoir les gestes lisibles et clairs.
Le parti pris de Mélissa Mesager est de les montrer et d’en faire une danse, de leur donner „leurs lettres de noblesse“, s’amuse-t-elle en filant la métaphore littéraire. Elle assimile ces gestes propres à chacun à des laspus, ces mots qu’on dit sans vouloir le dire. Sur scène, elle raconte – puisque c’est en parlant qu’émergent ces gestes inconscients – de courtes anecdotes autobiographiques, de plus en plus improbables, puisque l’idée que l’on puisse lire la personnalité d’une personne dans ces gestes tend au mythe. Puis, dans la partie chorégraphiée, elle en isole, les duplique, les rythme et les agence pour les faire percevoir différemment.
Durant ces dernières années passées à distance de la scène, Mélanie Mesager a obtenu un doctorat en s’intéressant à l’entretien comme pratique chorégraphique. Et elle a aussi vécu des mots: ceux prononcés dans des colloques, ceux qu’elle a fait jaillir par des interventions dans des groupes de danse et ceux qu’elle a écrits dans des revues spécialisées. Dans un récent article mêlant reportage et confession personnelle, consacré au Trois-CL et publié au Japon, elle partage sa volonté de revendiquer une attache locale à son pays d’accueil, de relocaliser en quelque sorte la danse luxembourgeoise, plus souvent attachée à son ouverture sur le monde. „J’ai envie, au rebours de cette tendance, et même si cela constitue un défi sur le plan de la viabilité du projet, de penser les débuts de ma recherche chorégraphique ici comme le commencement d’une œuvre spécifiquement attachée à la ville“, écrit-elle. „J’explorerai, au gré de la composition de courtes pièces comme ,Parasite‘, les lieux de cette ville qui me donnent envie de danser. J’appelle le projet Suite luxembourgeoise.“ En attendant la suite, elle va prochainement déposer, dans le cadre du programme „Emergences“, le projet d’un rituel dansé, dont le principe est, en simplifiant, celui d’une danse à interpréter, faite d’un flux tendu de gestes quotidiens non intentionnels, qu’un tirage de cartes modulerait et dont le public, aidé par une comédienne, transcrirait en une formule magique. La prochaine preuve que Mélanie Mesager ne se paie pas de mots.
Info
Mélanie Mesager présente „Parasite“, ce lundi 3 juillet à 19.00 h dans le cadre du 3 du Trois, le rendez-vous hebdomadaire du 3-CL à la Banannefabrik (12, rue du Puits, Luxembourg). Durant cette soirée intitulée „Les corps ont leur histoire“, on pourra aussi découvrir la pièce „Ppong“ de Jong-In Cho et „Baby“ de William Cardoso. Entrée: 7 euros.
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