De nouveaux drapeaux flottent sur la ville de Luxembourg depuis dix jours. Ils n’indiquent pas un territoire, un lieu, comme leurs illustres ancêtres, mais un art de l’illustration. Ils décrivent une pratique, le design, et marquent la tenue d’un festival qui lui est totalement dédié. C’est en fait le prolongement d’un projet néerlandais („What’s the flag?“ est son nom), dont plusieurs exemplaires ornent d’ailleurs la ville (au Cercle Cité). Des artistes et/ou designers luxembourgeois se sont prêtés à l’exercice de détourner le drapeau de ses fonctions premières, au départ de leur propre travail et dans le contexte du lieu dans lequel ils sont exposés. On peut ainsi voir les drapeaux de Stina Fisch (place des Martyrs), Marco Godinho (place de Metz), Julien Hübsch (Cercle Cité), Reza Kianpour (Casino Luxembourg), Vera Kox (Rotondes), Lagerkultur (Schluechthaus Hollerich), Miriam Rosner (place de Paris) et Sarah Schleich (luca). C’est plutôt le medium utilisé, le drapeau, qui fait relever cette opération du design.
En quête d’une définition
Dédier un festival à une pratique dont les limites sont floues offre à la fois une grande liberté dans la programmation, mais comporte également le risque de ne pas aider à comprendre justement ce dont il en retourne. Les aficionados du design sont habitués à être chahutés sur ces limites. Et eux-mêmes ne savent pas vraiment comment définir la catégorie dans laquelle ils se rangent ou rangent les autres. Au moment de présenter le Design Luxembourg Festival (31 mai – 4 juin), le président de l’association Design Luxembourg, Thomas Tomschak, ne cachait pas son incapacité à donner une définition ciselée du sujet du festival. „Au-delà du fait que l’on crée des choses qui sont visibles, le métier de designer n’est pas encore bien compris ni visible. Qu’est-ce qu’un designer au Luxembourg? Un artisan, un marchand, un inventeur, un technicien, un commercial, un ingénieur, un artiste? Rien de tout cela et tout à la fois. C’est ce à quoi nous allons tenter de répondre.“
A la différence d’autres pays, le Luxembourg n’a pas encore apporté de définition juridique qui puisse fournir un statut au métier de designer. Le design n’est attaché ni au ministère de la Culture, ni au ministère de l’Economie. De cette définition dépend aussi le nombre de designers dans le pays. D’ailleurs, la fin brutale du City Design, qui de 2010 à 2016 se voulait un festival du design en ville, aura démontré que sa place dans l’art n’est pas toujours assurée, autant pour ses accointances avec le commerce que pour la sacralité relative de ses créations. A son arrivée à la tête du Mudam, Suzanne Cotter a renoncé à la coorganisation de cet événement et en 2019, de guerre lasse, la cheville ouvrière de la manifestation, présente au Mudam depuis sa création, Anna Loporcaro s’en est allée.
Sans le Mudam
Jusque-là, fer de lance de la reconnaissance du design, le Mudam ne fait pas partie de la nouvelle aventure, dans laquelle apparaissent par contre le Cercle Cité, les Rotondes et le Casino Forum d’art contemporain. Et la présence de la ministre de la Culture à la conférence de presse annonçant le festival aura été fortement symbolique et peut-être prémonitoire de la direction que pourrait prendre le statut de designer. L’agence de promotion de la scène culturelle, Kultur | lx, compte en tout cas déjà le design dans ses champs d’action et a facilité la venue d’acteurs majeurs du design en Europe pour ce festival. La ministre s’est en tout cas réjouie qu’un festival remette le focus sur le design „qui nous concerne au quotidien, que ce soit à travers les objets que nous rencontrons et le mobilier en centre-ville“. „C’est la rencontre entre art et architecture, quelque chose que nous ne réalisons sûrement pas toujours“, ajoutait-elle.
Mike Bourscheid est cité par la ministre comme l’incarnation du design qui rencontre l’art. L’artiste excentrique est aussi un artisan qui conçoit ses œuvres, les coud, les soude. Lors d’une conférence (vendredi 2 juin à 18.00 h au Casino), il évoquera justement comment la mode, le cinéma et l’artisanat influencent sa pratique. Parmi les locaux, il y aura aussi le projet Jailbird qui exposera une nouvelle de ses produits manufacturés par des détenus du centre pénitentiaire de Givenich (à l’initiative de Défi-Job asbl), avec l’aide d’artisans, artistes et designers. Mais les intervenants des conférences (2 et 3 juin) seront aussi internationaux. Car si le festival est dit européen, c’est parce que le Luxembourg a hérité de l’accueil des European Design Awards, lesquels seront décernés lors d’une soirée aux Rotondes le 2 juin. Le design ne coupe pas non plus aux débats sur l’intelligence artificielle. Lors d’un workshop pratique et une conférence le 2 juin au Casino, l’Allemand Marc Engenhart évoquera son potentiel dans le processus de design et de réflexion et montrera comment les outils peuvent être intégrés dans un processus de création et interagir ensuite avec la machine par des mots, des gestes. Les sujets de l’éthique et du design (avec Mellie La Roque coprésident de designers éthiques notamment), du pouvoir de l’édition indépendante (avec Julia Kahl) ainsi que la capacité du design à relever les défis de notre temps (avec Alice Rawsthorn) seront aussi abordés.
Le 3 juin, se tiendront les Luxembourg Design Awards, organisés depuis 2015 tous les deux ans. Les différentes catégories (produit, entreprise, édition, impression, emballage, film et animation, installation, données, mode) donnent une idée de la variété des activités de conception comprises sous le terme de design. Quant aux soumissions (269 pour 105 candidats), elles démontrent à leur manière le grand nombre d’acteurs qui se reconnaissent en lui, du studio d’artistes jusqu’au Luxembourg Centre for Contemporary and Digital History (C2DH) de l’Université du Luxembourg présent avec trois projets dans deux catégories (digital design et data design). Une exposition des lauréats sera inaugurée après la remise des prix en même temps que le lancement de la très originale exposition Voie 15. Une tranche de quai grandeur nature, avec ses rails, assises, chariots à bagages, distributeurs de tickets et composteuses, sera installée dans la galerie des Rotondes. Le tout est peint en blanc, de manière à ce qu’artistes et public encadré par des professionnels interviennent sur la structure. Cette dernière fera le lien entre trois événements des Rotondes, le Luxembourg design award, le festival de hip hop Bloc Party (24-25 juin) et le festival Congés annulés (août).
Le Schluechthaus et le Luxembourg Centre for architecture (luca) sont deux autres sites hôtes du festival. Le premier accueille un marché des créateurs le 4 juin et le second une soirée années 60 avec la diffusion du film „Mon oncle“ de Jacques Tati suivie d’une animation musicale.
Tout est gratuit et sans réservation. Programme sur www.europeandesignfestival.lu.
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