Mathieu (Jérémie Renier) aperçoit un cerf au bout de son jardin. Intrigué, il le suit dans la forêt, familière et étrangère. Cadre supérieur à bout de nerfs, il fait un pas de côté. Il franchit une frontière invisible, happé par l’inconnu. Il retrouvera une connexion. Avec la nature. Avec le chant des oiseaux. Avec lui-même. Dans l’isolement de Mathieu, résonnent l’incompréhension et la solitude de son épouse (Suzanne Clément), son patron (Jean-Luc Bideau), son meilleur ami (Samir Guesmi), son père (Jackie Berroyer). Dans „Ailleurs si j’y suis“, coproduction belgo-luxembourgeoise (Box Productions et Tarantula), François Pirot ne se contente pas de filmer l’enchantement de Mathieu. Il scrute ses proches. En crise, ils ont du mal à accepter qui ils sont. Ils sont dépassés, ils ont perdu le contrôle de leur existence. Et si la forêt était le lieu d’une joie retrouvée? Le Tageblatt a rencontré l’acteur belge Jérémie Renier.
Tageblatt: Qu’est-ce qui vous a séduit dans le personnage de Mathieu?
Jérémie Renier: Le ralentissement imposé par le confinement était propice à des remises en questions multiples. Du coup, le scénario, singulier et jouissif, me parlait. Je trouvais assez beau le personnage qui, par son action, décide de ralentir, de prendre conscience de l’instant. Il se met en chemin vers le bois qui entoure sa maison et décide d’y rester, sans se soucier des conséquences de ses actes ni des réactions des gens qui l’entourent. Je connaissais François Pirot. Il est coscénariste de „Nue propriété“ (de Joachim Lafosse, 2006, ndlr.) dans lequel j’ai joué.
La forêt devrait faire peur. Et pourtant, Mathieu est aimanté par elle …
Il est happé par quelque chose de magique. Plutôt que la forêt sombre, c’est l’inconnu qui l’attire. Imaginez-vous dormir en pleine nature, déshabillé, seul … d’un seul coup, vous avez des sensations uniques, exquises. Vous vous sentez vulnérable, disponible, heureux. Mathieu se laisse porter par un chant de sirènes qui l’emmènerait dans une oasis, dans un paradis. Cette histoire tient du conte.
Vous avez participé au scénario?
Pas du tout. Dès le départ, le personnage était très peu bavard. Tout était écrit. François et moi avons beaucoup parlé sur ces moments silencieux, sur la façon de les rendre plus vivants, cohérents et réalistes. Nous avons beaucoup travaillé en amont. Il fallait trouver le bon ton, être vigilant à ne pas devenir grotesque.
Que représente la forêt pour vous, personnellement? Quels sont vos „ailleurs“?
La nature a toujours été très présente. Je passais mes vacances d’été chez mes grands-parents qui avaient une grande propriété. Je gambadais dans la nature, seul. J’étais enfant unique. Je m’inventais des vies, des aventures. Il y a quelques années, j’ai acheté une maison en pleine campagne. La nature m’est devenue primordiale. Elle est, pour moi, une source d’inspiration, un ralentissement, un choix de vie.
Pour composer votre personnage, avez-vous songé à un modèle en particulier?
Je n’avais aucune référence en tête. Il y avait une vraie volonté d’avoir deux personnages différents. Quelqu’un qui a peur, qui est débordé, malheureux, dépressif et un être joyeux, lumineux, plus fort. François et moi avons cherché à trouver une gradation entre ces deux états.
Tout le monde a besoin de Mathieu. Pourquoi?
C’est un personnage qui n’arrive pas à dire non. Il est étouffé. Il ne parvient pas à mettre des limites ni pour lui ni pour sa famille. Il n’a pas confiance en lui. Il souffre de burn-out et il est dans le déni. On connaît tous des moments de vie où on a moins de convictions, où on se sent plus vulnérable, moins solide. Mathieu provoque des choses qu’il n’aurait jamais imaginées. Il n’a rien prémédité. Son choix de ralentissement déstabilise les gens autour de lui, certains ont même envie d’être à sa place.
Mathieu comme ses proches sont incapables de communiquer …
La communication ne passe pas. Il y a des non-dits. Souvent, on n’ose pas dire les choses, parce qu’on a peur. Même son rapport avec son père est difficile. Il y a de l’amour, – en même temps, Mathieu est dépassé, il ne sait pas quoi dire. Personnellement, j’ai tendance à dire les choses même si cela crée des fois des tensions. C’est peut-être mon métier, mon éducation qui font cela. Mathieu est dans le silence alors que son épouse est en attente d’un dialogue. Elle en a marre. Elle veut qu’il bouge.
Vous apparaissez nu dans beaucoup de scènes. Était-ce une difficulté?
Très jeune, j’ai eu droit à des scènes dénudées, cela ne m’a jamais posé de problèmes. Mon corps fait partie de mon être. Je n’ai pas de gêne. Après, il faut que la nudité soit dans l’ordre des choses, qu’elle ait un sens dans l’histoire, qu’elle ne soit pas gratuite. Et, encore, être à poil sans comprendre pourquoi, cela peut être drôle. En tant qu’acteur, le corps humain fait partie de ce que j’ai en main pour créer un personnage.
„Ailleurs si j’y suis“ de François Pirot. Avec Jérémie Renier, Suzanne Clément, Jean-Luc Bideau, Samir Guesmi, Jackie Berroyer.
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