Natale Ottaviano est né le 3 septembre 1899 à Scerni, dans les Abruzzes (province de Chieti). Après la Première Guerre mondiale, il migre dans le nord de l’Italie. Il exerce le métier de coiffeur à Cismon del Grappa (province de Vicenza). En 1927, il passe les Alpes et émigre au Luxembourg, à Esch-sur-Alzette, où il travaille d’abord comme manœuvre à l’usine.
En 1929, il acquiert le salon de coiffure d’Augusto Pasqualoni, rue des Boers, et fait suivre sa femme, Santina Dall’Agnol, originaire de Cismon del Grappa, et leur fille Angela (appelée Gina), née en 1922. Membre du groupe de résistance antifasciste qui publiait le journal clandestin La Voce degli Italiani, il est arrêté avec Domenico Bordicchia dit Conti peu après la grève contre l’enrôlement forcé de septembre 1942, le 23 octobre, et déporté le 27 octobre au SS-Sonderlager Hinzert. De 10.000 à 15.000 prisonniers y furent internés de 1939 à 1945. Il s’agissait principalement de Luxembourgeois, de Français et de Polonais, mais on y trouve également des Allemands, des Russes, des Belges, des Hollandais, des Italiens, des Tchèques et des Croates. Ottaviano reste interné jusqu’au 20 mars 1943, aux côtés d’autres camarades italiens du Luxembourg comme Luigi Peruzzi, Guerino Materazzi, Ideale Vinciotti. Ils nouent des liens d’amitié avec les co-détenus luxembourgeois de leur baraque comme l’avocat Raymond Steichen et le prêtre Jos Keup.
Natale Ottaviano, Else Noell, Lily Gelber et les autres
Extradé ensuite en Italie, Ottaviano est interné dans des camps de concentration de l’Italie mussolinienne, d’abord à Manfredonia près de Foggia, puis à Ferramonti-Tarsia, dans une zone marécageuse en Calabre. Libéré par les Anglais en août 1943, Ottaviano doit se mettre au service des troupes alliées et aider à la construction de routes. Il est rapatrié au Luxembourg en août 1945 après avoir transité par les camps de réfugiés de Bolzano et de Bregenz. Rentré au Luxembourg, il partage le sort scandaleux réservé par les autorités luxembourgeoises aux antifascistes italiens. Non seulement leur rôle joué dans la résistance à l’occupant nazi n’est pas reconnu et les souffrances endurées dans les camps allemands et italiens ne sont pas prises en considération.
En faisant des recherches sur leur parcours et en écoutant en 2001 les témoignages poignants de leurs fils et filles, en voyant notamment Gina, la fille de Natale, pleurer en racontant les humiliations subies avant, pendant et après la guerre, j’ai compris à quel point l’ennemi nazi a triomphé même après la guerre au Luxembourg. Au nom d’une lecture nationaliste de la guerre et de la résistance, des lois xénophobes luxembourgeoises ont discriminé ces résitants italiens, en les assimilant carrément aux fascistes, en mettant leurs biens sous séquestre, en leur refusant l’indemnisation des dommages de guerre. Quelle force leur a-t-il fallu pour transmettre leur histoire. Combien de courage a-t-il fallu à leurs fils et à leurs filles pour arracher la tradition antifasciste au conformisme chauvin de l’après-guerre luxembourgeois, avant de voir enfin le message humaniste, l’héritage de leurs parents, racontés au grand public plus d’un demi-siècle plus tard.
Natale Ottaviano est l’un de ceux traités comme „ennemi“ qui fut contraint de payer des sommes énormes pour lever la séquestration de ses biens et reprendre ses activités professionnelles. En 1947, il transfère son salon de coiffure à la rue du Brill, salon qu’il tient jusque dans les années 1960 et où il compte parmi ses clients l’ancien co-détenu à Hinzert devenu notaire à Mersch puis à Luxembourg, Raymond Steichen.
Ce traitement n’est pas seulement réservé aux Italiens dans l’immédiat après-guerre. Ben Fayot a retracé en 2017 dans les Cahiers luxembourgeois l’histoire d’Else Noell, Allemande originaire de Merzig en Sarre, vivant au Luxembourg depuis 1906, donc depuis quarante ans, ayant reçu une éducation luxembourgeoise au couvent de Sainte-Sophie, puis au Lycée de jeunes filles de Luxembourg-ville. Ses biens sont mis sous séquestre en 1945 parce qu’elle est de nationalité allemande et sur base de dénonciations calomnieuses d’un locataire avant qu’elle ne soit carrément arrêtée et détenue deux jours à la prison des femmes à Limpertsberg puis expulsée vers la Sarre sur la base d’avis de la Police des étrangers, sans enquête, malgré une majorité d’appréciations positives des voisins, malgré l’absence de collaboration avec l’ennemi nazi. L’erreur judiciaire ne fut redressée que dix ans plus tard. Else Noell put revenir vivre dans sa maison, sa ville et ce qui était devenu son pays, le Luxembourg.
Dans la thèse de doctorat de Renée Wagener qui vient d’être publiée („Emanzipation und Antisemitismus: Die jüdische Minderheit in Luxemburg vom 19. bis zum beginnenden 21. Jahrhundert“, Metropol-Verlag) ainsi que dans les nombreuses recherches menées ces dernières années par Vincent Artuso, Marc Gloden, moi-même mais aussi en ce moment par les chercheur-e-s en train d’écrire leurs thèses sur l’histoire de la Shoah au Luxembourg au C2DH (Blandine Landau, Daniel Thilman, Yannick Frantz, Linda Graul), il apparaît tout aussi clairement que les Juifs étrangers ayant résidé au Luxembourg avant la guerre, auxquels le premier ministre Pierre Dupong avait pourtant promis qu’ils seraient évidemment – vu ce qu’ils et elles avaient subi – autorisés d’office à retourner et à s’établir au Luxembourg, ne sont pas le bienvenu après la guerre (voir mon article sur Bronia et Lily Gelber du 26 janvier dans le Tageblatt). La moitié des demandes de retour, dont certaines émanant de survivants des camps, sont refusées.
Ces nombreux refus reprennent les thèmes déjà présents dans les années 1930: la soi-disant „Überfremdung“ du pays, la concurrence sur le marché du travail et sur le marché du logement. Quand il s’agit d’un commerçant vient s’ajouter un avis, systématiquement négatif, d’une commission spéciale de commerçants luxembourgeois. Ce ne sont pas les gens persécutés par les nazis qu’on protège après la guerre au Luxembourg mais une communauté nationale luxembourgeoise définie par un vocabulaire biologique.
Le traitement des rapatriés juifs et des survivants de la Shoah ne montre pas seulement, comme l’exprime l’historienne Renée Wagener, qu’„outre l’occultation de la persécution juive, le critère d’exclusion de la nationalité – dans la continuité de la politique des années trente – (était) un facteur essentiel de la politique d’après-guerre, car il concernait la politique d’indemnisation de l’Etat, le droit de séjour des rapatriés, l’exercice d’une profession ou les mesures de soutien social“. Elle témoigne d’une xénophobie des autorités luxembourgeoises encore plus marquée qu’avant la guerre et soulève deux questions: premièrement, celle de la persistance d’attitudes et de comportements autoritaires, xénophobes et antisémites au-delà de la période de l’occupation nazie, comme dans d’autres pays occupés, et deuxièmement, de l’existence de traditions illibérales et antidémocratiques dans l’histoire nationale luxembourgeoise, exacerbées par l’expérience de la guerre et de l’occupation nazie. L’histoire de la politique migratoire luxembourgeois de l’immédiat après-guerre souligne la forte influence idéologique de l’occupation nazie dans ce contexte, influence qui a longtemps été minimisée dans l’historiographie luxembourgeoise et réduite aux collaborateurs nazis ou aux mesures nazies.
Le paradoxe de la politique migratoire après 1945
Voilà ce qui explique un grand paradoxe de l’après-guerre en matière de politique migratoire. Malgré des besoins pressants en main d’œuvre pour la reconstruction du pays durement touché par l’offensive des Ardennes (du décembre 1944 au février 1945) et dans l’agriculture, le gouvernement luxembourgeois impose une réglementation encore plus restrictive de l’immigration de travail que dans l’entre-deux-guerres. Vu que le gouvernement traite les Italiens du Luxembourg comme ressortissants de nations ennemies, la reprise des relations diplomatiques et les négociations bilatérales sur un accord avec l’Italie concernant l’immigration traînent jusqu’en 1947/1948, comme l’a relevé Michel Pauly:
„Mais le gouvernement luxembourgeois se heurta à un refus du gouvernement italien qui reprochait au gouvernement luxembourgeois d’avoir placé sous séquestre les biens de tous les Italiens sous prétexte qu’ils avaient été fascistes (alors qu’une forte proportion d’immigrés italiens des années 1920 et 1930 étaient venus pour fuir le régime de Mussolini et combattait même dans les rangs de la Résistance durant la guerre). D’autre part le gouvernement italien exigeait des contrats de travail de deux ans, pour assurer aux émigrés italiens une certaine stabilité d’emploi, alors que le gouvernement luxembourgeois voulait limiter leurs permis de travail à six mois. Ce n’est qu’en 1948 qu’un premier accord bilatéral de main d’œuvre fut signé; il fut régulièrement renouvelé jusqu’en 1957. Il prévoyait une limitation de l’immigration à un contingent annuel défini d’avance, exigeait le recrutement et l’embauche des immigrés en Italie même et octroyait des contrats de travail à durée limitée certes renouvelables.“
Par cet accord, le gouvernement luxembourgeois parvint à limiter largement la nouvelle immigration italienne à une immigration saisonnière. La plupart des ouvriers du bâtiment sont embauchés sur la base d’un contrat à durée limitée (moins d’un an), appelé contrat de type A. Pour un contingent limité, un contrat de type B, à durée illimitée, est prévu. A partir de 1957, les détenteurs du contrat de type B ont le droit de se faire rejoindre par leur famille (conjoint et enfants âgés de moins de 18 ans). Mais seul un nombre limité de 500 familles par an devait en profiter.
Voilà pourquoi le nombre d’Italien-ne-s résidant au Luxembourg n’augmente que lentement après la guerre. Ils étaient près de 8.000 en 1945, ils sont 10.000 en 1951: 1.200 mineurs, 1.700 ouvriers dans la sidérurgie, 1.000 ouvriers dans le bâtiment, 60 dans l’agriculteurs et 800 exerçant différentes professions.
Dans l’agriculture, le gouvernement prend plusieurs mesures pour assurer aux paysans la main d’œuvre nécessaire au ravitaillement du pays: obligation de travail agricole pour les élèves (trois mois) et les jeunes sans qualification (deux ans) luxembourgeois et étrangers, travail (volontaire et rémunéré) des prisonniers de guerre allemands jusqu’en 1947, recours à la main d’œuvre immigrée d’Italie et des Pays-Bas. De 1951 à 1960, 120 à 150 familles d’agriculteurs néerlandais se sont installées au Luxembourg comme fermiers ou comme métayers dans des exploitations agricoles.
Mais cette politique migratoire restrictive de l’immédiat après-guerre va plus loin encore et s’attaque directement aux droits humains fondamentaux des travailleurs étrangers. Des pratiques scandaleuses et inouïes qui éclatent au grand jour quinze ans plus tard, lors d’un débat parlementaire en 1959 … (à suivre)
Warum wurde/wird denn, Herr SCUTO, die von Ihnen erwähnte ideologische Kontinuität der luxemburgischen Behörden durch den luxemburger Staat und durch die luxemburger Zivilgesellschaft bagatellisiert und somit relativiert?
Gab es neben der migratorischen womöglich auch eine nachhaltige gesundheitspolitische Radikalisierung im katholischen Marienland Luxemburg?
Das neue Reich war von einer ungemmten rassenhygienischen Folter- und Tötungsideologie geprägt. Die Keimzelle dieser unmenschlichen Ideologie befand sich in der Reichsärzteführerschule in Alt Rehse im heutigen Mecklenburg-Vorpommern. Dort wurden auch luxemburgische Delegationen in brachial-selektiven Triage-Maßnahmen geschult. Ich berufe mich auf die Dissertation des Mediziners Thomas MAIBAUM. Aus Alt Rehse kamen die von Herrn Vincent ARTUSO am 19.02.2023 im "Tageblatt" erwähnten biologischen Experten, die an der Rampe in Südpolen den Daumen nach rechts oder nach links zur rassenhygienischen Gesundung des neuen Reiches bewegten. Die Bücher von Alexander MITSCHERLICH setzen sich tiefgründig mit diesem Thema auseinander. Der Titel eines dieser Bücher lautet: Wissenschaft ohne Menschlichkeit. Medizinische und eugenische Irrwege unter Diktatur, Bürokratie und Krieg. Verlag Schneider, 1949.
MfG
Robert Hottua