Le 3 février 1943, les programmes de la radio allemande étaient interrompus par la lecture d’un communiqué de l’Oberkommando der Wehrmacht (OKW). Après un combat héroïque, les derniers soldats de la 6e armée, coincés dans Stalingrad, avaient cédé sous la masse. Ils n’avaient pas sacrifié leur vie uniquement pour l’Allemagne, précisait le texte, mais pour la défense des valeurs européennes, contre le communisme.
Contrairement à ce que prétendait l’OKW, tous les soldats de la 6e armée n’étaient pas morts au combat. Près de 91.000 d’entre eux avaient été capturés par les Soviétiques. Dépenaillés, hagards, affamés par trois mois de siège en plein hiver russe, ces survivants furent conduits à pied vers les camps de prisonniers dont très peu reviendraient. Les images de ces longues colonnes loqueteuses, s’étirant dans la neige, portèrent un coup tout aussi fatal à l’aura d’invincibilité de la Wehrmacht que la défaite elle-même.
L’offensive de la dernière chance
L’été précédent, cette 6e armée avait pris part à la grande offensive censée donner la victoire au Reich sur le front de l’Est. Quelques mois plus tôt, les Allemands avaient été arrêtés aux portes de Moscou et même repoussés. Gravement affaiblis, ils devaient toutefois rapidement repasser à l’attaque, vaincre l’Union soviétique avant que les Américains, avec leurs gigantesques capacités industrielles, n’ouvrent un second front en Europe.
Cette fois-ci toutefois, les Allemands n’avaient plus les capacités d’attaquer sur toute la longueur du front – même avec leurs alliés roumains, hongrois et italiens. Ils décidèrent donc de se jeter sur la carotide de l’Union soviétique: les champs de pétrole du Caucase. Priver l’Armée rouge de cette ressource indispensable, s’en abreuver elle-même, était la seule chance de l’Allemagne de remporter la victoire.
L’offensive de l’été 1942 eut initialement le même succès que celle de l’année précédente. Les troupes allemandes et leurs alliés de l’Axe réussirent à percer sur plusieurs centaines de kilomètres et à détruire plusieurs armées soviétiques. Le succès fut tel que l’OKW décida de scinder ses forces et de poursuivre deux objectifs stratégiques à la fois: la conquête du Caucase, mais désormais aussi celle de Stalingrad.
Pris au piège
L’importance de cette ville n’était pas seulement et pas prioritairement qu’elle portait le nom du dictateur soviétique (aujourd’hui elle s’appelle par ailleurs Volgograd). Ce grand centre industriel était situé à l’intersection de la Volga, la principale voie navigable en Russie d’Europe, et d’un important axe routier est-ouest. S’emparer de Stalingrad devait permettre d’asphyxier Moscou.
La 6e armée atteignit la ville le 23 août 1942. Les combats qu’elle eut alors à mener étaient bien différents de ceux des semaines précédentes. L’offensive blindée dans la steppe fit place à un harassant combat de rue, dans lequel chaque pâté de maison, chaque immeuble, chaque étage devait être arraché à l’ennemi. A l’arrivée de l’automne, les Soviétiques tenaient toujours les quartiers industriels situés le long de la Volga.
Cette impasse se prolongea jusqu’au mois de novembre, lorsque l’Armée rouge lança une contre-offensive qui prit les troupes de l’Axe complètement au dépourvu. Les Allemands et leurs alliés se retrouvèrent piégés dans la ville dont ils étaient censés s’emparer.
Quitte ou double
Au Luxembourg occupé, les revers du début de l’année 1943 furent un choc pour tous ceux qui jusque-là avaient cru dur comme fer à la victoire de l’Allemagne nazie. Déjà ébranlés par les événements des mois suivants, haïs de leurs compatriotes depuis la répression des grèves de l’été 1942, beaucoup d’entre eux se demandaient maintenant s’ils avaient fait le bon choix.
Robert C. était l’un de ceux-là. Pro-allemand convaincu, il avait adhéré précocement aux Jeunesses hitlériennes, organisation au sein de laquelle il occupait un poste important pour son jeune âge. Sa foi nazie fut cependant ébranlée au début de l’année 1943, comme il le confia lui-même avec une certaine candeur aux gendarmes qui l’interrogèrent après la guerre. Lorsque sonna l’heure du service militaire, il demanda et obtint d’effectuer celui-ci dans le service sanitaire de la Wehrmacht.1)
D’autres en revanche, comme Peter B., se radicalisèrent. Membre de la SA et du parti nazi, cet électricien domicilié à Luxembourg s’engagea volontairement dans la Waffen-SS en janvier 1943. Il avait alors 29 ans. Jugé après la guerre, B. fut l’un des seuls suspects à déclarer franchement qu’il avait servi le Reich par conviction.2)
La défense de l’Europe
De toute manière, les lettres qu’il avait échangées avec l’Ortsgruppenleiter de la section du NSDAP de Luxembourg, de janvier 1943 à juin 1944, ne laissaient aucun doute à ce sujet. Une semaine après la reddition de la 6e armée, il demandait à celui-ci: „Wie geht es in Luxemburg, dort wird die Stimmung wieder schlecht sein wie normalerweise, wenn mal so ein kleiner Windstoss gegen die deutsche Linie braust, aber es wird Frühjahr werden, und dann werden viele staunen.“3)
Un mois plus tard, il n’avait pas perdu foi dans la contre-offensive vengeresse qui devait avoir lieu: „Unsere Freunde, die LPL wird jetzt wieder in Tätigkeit sein, bei den Rückzügen die hier aus verschiedenen Ursachen gemacht werden mussten, und das ausnützen um alles wieder aufzuhetzen, aber die werden Augen machen, wenn es wieder losgeht. Was jetzt schon beginnt ist der nur ein kleines Vorspiel von dem was folgen wird und das Ende hoffentlich bringen wird, denn die Russen haben alles eingesetzt von 16-65 Jahren was nur gehen und schiessen kann. Man sieht, dass es an allen Enden hapert.“4)
Les réponses qu’il reçut n’étaient pas moins jusqu’au-boutistes: „Die Abmessung von 3.500 Km, von dort bis zu Ihrer Heimat in Luxemburg hindert Sie nicht uns von den traurigen russischen Verhältnissen ein wahrheitsgetreues Bild zu geben. Und mit diesen traurigen Zuständen wollten uns die Russen beglücken. Es ist nur schade, dass alle die Luxemburger Aristokraten und Demokraten und auch manche versteckte Arbeiter und Beamten die dortigen Lehmhütten mit 1 oder 2 Zimmer nicht bewundern können. Traurig ist es, dass es hier noch Leute gibt, die nicht wissen, welche Wertarbeiten, Kultur und historischen Bauten wir in Europa zu verteidigen haben gegen diese Mordbrenner, die uns mit den Kolchossiedlungen beglücken wollen. […] Es wäre wirklich zu wünschen, dass jedermann weiss, dass es um ganz Europa geht und nicht nur um Deutschland.“5)
1) Archives nationales de Luxembourg (ANLux), Fonds Epuration (EPU) 300, Enquêtes à l’encontre d’étudiants luxembourgeois.
2) ANLux, Fonds Affaires politiques (AP) 55.
3) ANLux AP 55, lettre de Peter B. à l’OG de Luxembourg du 9 février 1943.
4) ANL AP 55, lettre de Peter B. à l’OG de Luxembourg du 14 mars 1943.
5) ANL AP 55, lettre de l’OG de Luxembourg à Peter B. du 12 mars 1943.
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