Dans la galerie Reuter Bausch de la rue Notre-Dame à Luxembourg, Chantal Maquet finit l’accrochage d’une nouvelle exposition fortement marquée par la période du confinement. On peut y voir jusqu’au 11 février des portraits de fleurs, partageant, isolées ou au contraire compressées qu’elles sont, le destin des êtres humains à cette époque aujourd’hui révolue. Deux ans plus tôt, c’est à la galerie Nei Liicht à Dudelange, qu’à l’issue d’un deuxième confinement, elle présentait un riche travail réflexif sur le passé colonial de sa famille et du pays. L’exposition s’intitulait „dat huet jo näischt mat mir ze dinn“ et invitait à réfléchir sur le positionnement de chacun face à un problème dont les conséquences n’épargnent personne.
Au moment de remballer peintures et installations, Chantal Maquet avait éprouvé la crainte qu’il ne reste plus rien de cet effort introspectif dont les prémisses remontaient à dix années plus tôt et à un diplôme de fins d’études d’art où elle avait, une première fois, mis à profit l’énorme héritage documentaire de ses grands- parents installés au Congo après-guerre. „Un catalogue d’exposition reste dans la bulle des gens intéressés par l’art. Je voulais atteindre le grand public et notamment les élèves“, explique-t-elle. L’idée est donc venue de poursuivre l’effort par la réalisation d’une „graphic novel“.
Entretiens dessinés
Publié à la fin de l’année dernière, ce récit illustré, soutenu financièrement par l’Œuvre Grande-Duchesse Charlotte à travers le projet „Clichés“, porte le même nom que l’exposition dudelangeoise. „Dat huet jo näischt mat mir ze dinn“ est une manière facile de se défiler pour des personnes blanches vivant au XXIe siècle lorsqu’on les confronte aux questions du racisme et du colonialisme. C’est aussi le comportement que ce livre veut empêcher. „On ne peut pas remonter le cours de l’histoire, mais on peut faire en sorte qu’une telle injustice et une telle violence ne se répètent pas.“ Tel est le credo de Chantal Maquet, qui s’en va mettre à jour les vestiges du colonialisme dans nos sociétés et identifier les moyens de l’éradiquer définitivement.
Chantal Maquet entame son ouvrage en partageant ses impressions d’étrangeté à la lecture des lettres de sa grand-mère qui parlent de petits problèmes du quotidien, et des films qui montrent les joies familiales d’une famille blanche dans le Congo des années 50. On ne saurait déduire de ces documents ce qu’ils pensaient du colonialisme, mais, des clubs réservés aux blancs au regard porté sur les noirs à travers la caméra, ils sont traversés de part en part par la situation coloniale et les rapports de pouvoir qu’elle crée.
L’artiste n’a jamais abordé le sujet avec ses aïeux aujourd’hui décédés. Elle s’en va interroger Régis Moes, conservateur au MNHA et architecte de la récente exposition sur le colonialisme, sur le contexte qui les a vus partir au Congo et ce qu’ont pu être leurs motivations. Un peu à la manière d’un Etienne Davodeau, pour la bande dessinée française, elle retranscrit par le dessin et le texte sur une dizaine de pages ses entretiens, attentive aux attitudes de ses interlocuteurs et à ses propres réactions. Régis Moes, en détaillant l’histoire de la colonisation du Congo par les Luxembourgeois, lui explique que ses grands-parents, en partant en famille après la Deuxième Guerre mondiale, ont fait comme beaucoup d’autres, à savoir partir vivre dans un pays où ils pourraient se payer du personnel de maison et vivre une liberté nouvelle, dans une société en réalité très ségréguée et où l’on se tient souvent à l’œil entre colons.
Apprendre à écouter l’autre
L’ouvrage de Chantal Maquet va suffisamment en profondeur pour apporter de nombreux éléments de compréhension, sans se perdre dans des détails qui pourraient décourager la lecture. C’est un véritable travail grand public et agréable visuellement. L’autrice y explique également que l’époque coloniale se prolonge sous la forme de rapports de force économiques. Les nations industrielles riches maintiennent en partie d’anciennes colonies dans une dépendance économique et politique. „Le système se poursuit et les ressources des pays du sud sont exploitées sous des conditions discutables, pour que nous vivions une vie agréable“, écrit-elle avant de partir à la rencontre de Jean-Louis Zeien, directeur du label Fairtrade, pour rappeler le rôle que peut endosser le consommateur. Mais ce dernier ne manque pas de souligner que le choix laissé au consommateur est une stratégie qui arrange les grandes compagnies, quand il vaudrait mieux intervenir en amont pour exclure les produits fabriqués au mépris des droits sociaux et humains. Ainsi, depuis onze ans, Fairtrade plaide en faveur de l’adoption d’une loi rendant les entreprises responsables de ce qu’il se passe dans leur chaîne d’approvisionnement (y compris pour les services financiers).
La solution passe par le consommateur. Elle passe aussi par le citoyen. La formation interculturelle telle que la pratique l’IKL (Centre de documentation et d’animations interculturelles) dirigé par Antonia Ganeto permet l’émergence d’alliés, de personnes blanches éveillées à ces questions, tout comme à éviter les situations traumatiques pour les racisés. L’experte en la matière, épaulée par Myriam Abaied, que Chantal Maquet est allée rencontrer, rappelle qu’il faut d’abord se connaître soi-même pour mieux rencontrer l’autre, l’écouter sans le juger, sans penser que sa vision des choses est la meilleure. Cela passe notamment par une pleine conscience des préjugés et stéréotypes qui nous traversent, mais aussi par l’historisation du racisme. Formation interculturelle et formation anti-raciste joignent ainsi leurs efforts pour rendre les idées racistes inacceptables et permettre la dénonciation salutaire des situations de discrimination. À ce titre, un lexique offre un panorama utile de toutes les notions en mesure d’aider à cerner toutes les ramifications du problème.
Chantal Maquet entend d’ailleurs, par l’intermédiaire de l’IKL, porter elle-même dans les écoles cet ouvrage (disponible gratuitement pour élèves et enseignants, en librairie pour les autres) qu’elle présentera à Dudelange le 28 janvier à l’occasion du „Kannerbicherdag“. Un tel engagement hors des lieux convenus de l’art n’est pas banal. „Je pense que ce n’est pas forcément la fonction de l’artiste de s’engager ainsi. Mais j’aime beaucoup les artistes qui le font“, dit-elle avec malice. Le projet, néanmoins, lui a coûté en termes d’investissement, de sorte qu’elle ne se voit pas remettre tout de suite le travail sur l’établi. Mais la problématique continue de traverser son esprit et son art. Son tableau „Davon kann sie zu Hause erzählen #Paschtcroisière“, présenté au dernier salon du CAL et acquis par le Musée national d’histoire et d’art, s’intéresse d’ailleurs à cette manière très post-coloniale que proposent les croisières de voyager et de considérer les pays traversés.
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