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Best of 2022Explorer les possibles, relire le réel – les expos et pièces de théatre de l’année

Best of 2022 / Explorer les possibles, relire le réel – les expos et pièces de théatre de l’année
L’exposition „Le passé colonial du Luxembourg“ au MNHA figure parmi nos coups de coeur de l’année 2022 Photo: MNHA

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„Tellement mieux que Netflix“, comme l’exprime Ian De Toffoli dans une de ses deux coups de coeur théâtraux de l’année: les expos et pièces de théâtre qui ont retenu notre attention cette année se situent entre classicisme et renouveau, cherchent le politique au creux même de leur réinvention du monde, remettent en question le discours historique officiel en ajoutant de nouvelles lectures, montrent la pérennité de textes classiques et bousculent les formes pour chercher de nouvelles manières de raconter.

Jeux d’histoires: l’expo „Anachronisms“ du Lituanien Deimantas Narkeviciu à la Konschthal

 Photo: Rémi Villagi

A-t-on besoin de construire du neuf pour accueillir un musée d’art contemporain? La réponse est non. Et la Konschthal l’aura démontré dans sa première année de fonctionnement en jouant habilement de ses différents niveaux enchevêtrés du magasin de meuble dont elle a transformé la destination. Il y eut les mille mètres de rails d’un circuit de billes pour petits et grands de Jeppe Hein, artiste situationniste de son état.

Mais c’est surtout l’exposition „Anachronisms“ du Lituanien Deimantas Narkeviciu qui a tracé la voie d’une identité et d’un style probables à la Konschthal. Ses videos travaillant sur l’histoire officielle et ses envers étaient dispersées dans de multiples alcôves réparties sur trois niveaux, offrant une intimité et à une qualité d’écoute à la hauteur de temples de l’art multimedia comme le ZKM de Karlsruhe. (Jérôme Quiqueret)

Les démystifications d’Yves Beaunesne: „Andromaque“ de Jean Racine au Grand Théâtre

 Photo: Antoine de Saint-Phalle

En novembre 2022 s’est jouée la célèbre pièce de Racine, „Andromaque“ (1667) dans une mise en scène qu’on pourrait qualifier de synesthésique (combinant couleurs, lumières et musique) d’Yves Beaunesne, servie par une série de comédiens (essentiellement jeunes) qui donnent à la cruauté tragique racinienne une dimension fascinante.

Dans cette création, le metteur en scène a su, deux heures durant, embarquer le spectateur dans un univers de démystification (de la guerre et de l’amour) en évitant le piège de l’actualisation ou de la modernisation, et ce au profit de l’intemporalité ou plutôt de l’éternelle actualité de ce qui se joue dans ce drame où les questions de chantage sexuel, infanticide et suicide sont abordées de façon furieusement vivante. Les comédiens ont bien montré que l’amour tragique – frappé d’interdit ou dans l’impossibilité de se satisfaire, se transformant aisément en haine par le biais de la jalousie – ne peut être qu’un état d’asservissement et de souffrance. (Franck Colotte)

Décolonisation des esprits: l’expo „Le passé colonial du Luxembourg“ au MNHA (avril-novembre 2022)

 Photo: MNHA

Ce fut une démonstration par le texte et l’objet du solide passé colonial du Luxembourg. Le commissaire de l’exposition, conservateur au MNHA, Régis Moes en était le cerveau. Auteur il y a plus d’une dizaine d’années, d’un mémoire de maîtrise devenu livre, baptisé „Cette colonie qui nous appartient un peu“, il enfonce le clou en démultipliant les preuves de l’existence d’un passé colonial au Congo mais aussi dans d’autres colonies comme l’Algérie, par l’apport de nouveaux documents, dont ceux issus des archives grand-ducales, et l’arpentage de nouveaux champs de réflexion.

Difficile à la sortie de cette exposition de ne pas conclure à une responsabilité morale de l’Etat, tant les élités ont profité et encouragé le mouvement. Néanmoins, la politique a manqué une bonne occasion d’ouvrir la discussion sur la complicité du Luxembourg dans l’œuvre de colonisation du Congo. Et le seul round politique organisé dans le cadre de l’exposition aura été un échec, la faute à une position rigide du ministre Ben Fayot et à l’invitation du député ADR, Fernand Kartheiser, qui a inutilement polarisé les discussions qui étaient l’occasion pour les associations d’afro-descendants de disposer enfin du temps de développer leurs idées. (Jérôme Quiqueret)

Dans la vallée dévastée: „Leurs enfants après eux“ de Nicolas Mathieu au Théâtre d’Esch

 Photo: Marco Pavone

„Leurs enfants après eux“ (Prix Goncourt 2018) de Nicolas Mathieu est le roman d’une vallée dévastée, d’une époque, de l’adolescence, le récit à la fois politique et sociologique d’une jeunesse qui doit trouver sa voie dans un monde qui meurt. Les protagonistes vont, durant quatre étés (de 1992 à 1998), vivre toute une série d’aventures, faire leurs expériences, voir les idylles se nouer, leurs rêves se briser, des finales de football les réunir, avant que le destin ne les disperse.

Donnée au Théâtre d’Esch en octobre 2022, l’adaptation de ce roman dans une mise en scène collective par Bach-Lan Lê-Bá Thi, Carole Lorang et Eric Petitjean s’est révélée être une transposition théâtrale globalement réussie, sous-tendue par deux qualités majeures que sont la création d’atmosphères et le jeu (spontanée et interpellant) des comédiens.

Suggestive, la mise en scène l’est dans la mesure où le décor, minimaliste et cependant souvent symbolique, incite le spectateur à s’imaginer les non-dits, les impensés, les indicibles, à donner par lui-même une épaisseur esquissée au fil des scènes conflictuelles, sensuelles, monologiques dans lesquelles il est plongé par le processus multidimensionnel de l’étonnement. (Franck Colotte)

Jusqu’aux limites du corps: „One Song“ est une performance qui évoque toute la condition humaine

 Photo: Michiel Devijver

A l’invitation du NT Gent dirigé par Milo Rau, l’artiste belge Miet Warlop (1978), qui a une formation de plasticienne, s’attaque à la quatrième édition de la série de commandes „Histoire(s) du théâtre“, dont le titre fait référence aux documentaires „Histoire(s) du Cinéma“ de Godard, dans lesquels il donnait un aperçu des moments clés de l’histoire du cinéma.

Ce qui commence comme une pièce qu’on aurait tendance à caractériser un peu facilement de pièce flamande typiquement déconstructiviste se transforme rapidement en une performance haletante et parfaitement délirante, où douze performeur.euse.s répètent en boucle une seule chanson (genre crossover rock et hiphop) à rythmes variés, qui alternent de la folie furieuse au slow-motion extrême, et ce jusqu’à l’épuisement complet de la troupe. De l’étonnement, le public passe à l’amusement, la sidération, l’enthousiasme, la lassitude.

À travers les paroles de la chanson mais aussi à travers le rythme, les instruments manipulés et les corps des performeur.euse.s poussés à leurs limites physiques, la pièce célèbre la capacité de l’homme de se relever et de continuer le grand combat de la vie. Standing ovation tous les soirs au Festival d’Avignon. „One Song“ est une explosion d’humanité. (Ian De Toffoli)

Trois albatros baudelairiens: „Smith & Wesson“ d’Alessandro Baricco au Grand Théâtre

 Photo: Marie-Valentine Gillard

Mis en scène par l’auteur lui-même, „Smith & Wesson“ retourne aux débuts de son œuvre romanesque pour s’intéresser à cette période où la planète fut arpentée par des inventeurs loufoques et autres personnages excentriques qui, dans un monde incomplètement cartographié, réussissaient encore à échapper aux normes, aux conventions – et aux lois.

Dans „Smith & Wesson“, un inventeur génial mais frauduleux, un pécheur dont les filets ne retiennent que des cadavres et une journaliste dégoûtée par un monde du travail dominé par des hommes qui ne voient en elle qu’une boniche ou une pute décident de prendre leur revanche sur un monde qui les a marginalisés en créant de toutes pièces un scoop: la journaliste Rachel se jettera des chutes de Niagara non pas pour se suicider comme le firent tant de gens en ce début du vingtième siècle où se situe l’action de la pièce, mais pour en émerger saine et sauve. C’est un de ces projets vains, esthétiques, dont Baricco a le secret et qui deviennent, chez lui, une métaphore de nos existences imprévisibles.

Si le texte était un tantinet prévisible pour qui connaît l’auteur, sa mise en scène espiègle séduit par l’excellent jeu des trois acteurs, qui parviennent à donner une épaisseur véritable à leurs personnages, et par une scénographie inventive, dont l’onirisme confère à la pièce ce supplément de poésie qui la rend mémorable. (Jeff Schinker)

Les mondes possibles d’Anne-Cécile Vandalem: „The Kingdom“ part d’un microcosme pour évoquer la société toute entière

La metteure en scène belge Anne-Cécile Vandalem est une thaumaturge du théâtre. Ses pièces, à la scénographie hyperréaliste et soignée jusque dans le plus infime détail, sont des œuvres majestueuses, qui empruntent autant aux codes du cinéma (que ce soit le cinéma de genre ou bien le film documentaire) qu’ils jouent avec des possibilités insoupçonnées du théâtre.

„The Kingdom“ raconte l’histoire de deux familles qui vivent à l’écart du monde, proche de la nature, mais les coutumes des uns et les pratiques des autres mettent en péril l’équilibre fragile de cette nouvelle société supposément utopique. Les ressentiments débordent. Tout à coup, des barrières séparent les maisons des deux familles en un „nous“ et un „eux“. La pièce alterne les séquences vidéo, avec des portraits filmés dans l’intimité de la maison de la famille par une équipe de cinéma qui réalise un reportage sur la famille, et des moments dramatisés où le public découvre peu à peu comment est né l’antagonisme entre les deux clans.

Fable épique et allégorique sur le fonctionnement complexe de la société, „The Kingdom“, est surtout une œuvre théâtrale hypnotique et captivante jusqu’au bout. Tellement mieux que Netflix! (Ian De Toffoli)

Grandioses Schauspieltheater: „Verrückt nach Trost“ von Thorsten Lensing im Grand Théâtre

 Foto: Armin Smailovic

Zwei Waisenkinder spielen das Mama-Papa-Spiel, weil die Eltern sonst wirklich tot sind, ein Taucher unterhält sich mit einem Oktopoden, der sich über seine angesichts seiner neun Gehirne unfairerweise auf vier Lebensjahre beschränkte Lebzeit beklagt, ein Roman fällt vom Himmel, ein Paar weiß nicht wohin mit seinem schreienden Riesenbaby, ein Mann hört seinen Exliebhaber über eine in dessen Badezimmer installierte Wanze ab, weil wir irgendwie ja alle „mit den Menschen, die wir mal geliebt haben, weiterleben“, eine alte Dame lässt sich von ihrem Pflegeroboter bezirzen: Wer sich die Frage stellte, was Thorsten Lensing nach seiner wagemutigen Inszenierung von David Foster Wallaces „Unendlicher Spaß“ überhaupt noch einfallen sollte, erfuhr es Anfang Dezember (Antwort: sehr viel) – „Verrückt nach Trost“ ist grandioses, metaphysisch angehauchtes Schauspieltheater fernab postdramatischem Unfug und klassischem Einheitsbrei. Mit welcher Leichtigkeit Ursina Lardi, Devid Striesow, Sebastian Blomberg und André Jung hier in die verschiedensten Rollen schlüpfen, ist schlicht und einfach beeindruckend – und oft sehr, sehr lustig. Ob David Foster Wallace das Stück gemocht hätte, werden wir leider nie erfahren – aber sehr wahrscheinlich ist es allemal. (Jeff Schinker)