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Exposition „Pure Europe“ à la MöllereiIdées reçues, idées déçues

Exposition „Pure Europe“ à la Möllerei / Idées reçues, idées déçues
„Pure Europe“ part des stéréotypes pour pousser le visiteur à la réflexion Foto: Editpress/Alain Rischard

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L’Europe est blanche, riche, vieille, cultivée, chrétienne et nationale. Voilà les clichés que l’exposition „Pure Europe“ vient secouer par de multiples questionnements.  

Esch2022 voulait une exposition sur l’Europe, qui interpelle les gens, qui pose des questions. En s’adressant à la société Historical Consulting, ils n’auront pas été déçus du résultat. Derrière cette société se cache l’historien Pit Péporté. Ce dernier s’était fait remarquer en 2010 pour sa contribution à un vaste et salutaire travail de déconstruction de la nation luxembourgeoise. Et l’un des coauteurs de ce travail, l’historien de l’université du Luxembourg Benoît Majerus, l’a rejoint comme conseiller sur cette exposition, tout comme le journaliste du Luxemburger Wort Diego Velazquez, spécialiste des questions européennes et connu pour poser des questions dérangeantes à Bruxelles. Sophie Neunkirchen, docteure en anthropologie et curatrice pour Historical Consulting, était aussi de la partie.

Pour questionner ce qu’est réellement l’Europe, la joyeuse équipe a décidé de mettre le doigt là où ça fait mal, sur les stéréotypes qu’elle véhicule et qui „alimentent le débat“, sans qu’on les remarque toujours. C’est le propre des idées reçues que d’être parfaitement comprises et assimilées tant qu’on n’en dévoile pas les ressorts. Les clichés retenus sont au nombre de six et permettent d’aborder des sujets aussi variés que l’inégale répartition des richesses, le privilège blanc ou encore l’islamophobie.  

Six préjugés mis à nu

L’Europe est cultivée, blanche, riche, chrétienne, vieille, nationale. C’est d’abord à ces idées qu’on est confronté en empruntant la passerelle qui surplombe la Möllerei. En suspens, un adjectif est associé à une image. Pour illustrer la richesse, c’est ainsi un cliché réalisé par Sophie Margue représentant des Luxembourgeois de la classe moyenne dans leur maison cubique, en train de couper ce qui reste de gazon à côté de leur berline immaculée, qui a été retenu. C’est une manière parmi de nombreuses que cette exposition ludique et pourtant poil à gratter exploite pour secouer le visiteur.

Lorsqu’on arrive au bout de la passerelle, qu’on descend des escaliers pour se retrouver de l’autre côté de l’espace d’exposition, on voit l’envers du décor, d’autres points de vue sur les six clichés identifiés. D’abord, sur la droite des visiteurs, suspendues au revers des précédentes, des photos nuancent le narratif proposé. Aux photos des riches Luxembourgeois s’oppose par exemple le portrait d’un sans domicile fixe qui dort devant une banque.

Et sur la gauche au mur, du texte et des illustrations originales viennent étayer la démonstration. A la station „nation“, on y apprend qu’elle est une invention. „Les États et leurs dirigeants ont en fait imposé ‚la nation’ à travers des symboles collectifs comme le drapeau, un hymne appris à l’école, une armée et des journaux ‚nationaux’ communs.“ Y sont soulignés ses vices cachés et leurs conséquences pour l’humanité. Si elle crée de la solidarité entre membres de la nation, la nation „mobilise des individus contre ceux qui sont exclus de la Nation, parce qu’ils parlent une autre langue ou pratiquent une autre religion“. C’est ainsi qu’une exposition sur l’Europe rappelle les déportations et les génocides du siècle dernier.  

Le caractère artificiel des États nations est explicité par des bizarreries de frontières, des créations improbables comme celle du Luxembourg – lequel „a vu le jour parce que ses pays voisins ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur son appartenance“ – et l’existence de 70 régions transfrontalières qui permettent de repenser la carte européenne. 

L’Europe est-elle vraiment vieille, alors que les destructions de patrimoine sont fréquentes, comme le Luxembourg en est le triste exemple? „L’Europe n’est vraiment vieille que si on compare l’âge moyen de ses habitants avec ceux plus jeunes d’un continent comme l’Afrique“, nous répond-on. Et ce vieillissement met en péril l’État-providence. De la sécurité sociale, il en est aussi question à la station consacrée à la richesse supposée de l’Europe, pour expliquer pourquoi la pauvreté est moins élevée ici qu’ailleurs.

La réflexion sur le christianisme de l’Europe est subtile. Elle ne consiste pas seulement à rappeler que les religions, comme l’athéisme, y ont prospéré. Elle pointe du doigt aussi l’hypocrisie des autorités tant laïques que religieuses qui se proclamaient chrétiennes, alors que „leurs programmes réels étaient souvent en contradiction avec leurs aspirations affichées“. L’exposition rappelle que le christianisme a marqué une rupture dans l’histoire de l’humanité par son attachement à la dignité des êtres humains. Et que ces valeurs continuent d’influencer les Européens, après Marx, sans qu’ils ne se rendent compte de ce qu’elles ont justement de chrétiennes.   

Quant à la richesse, „Pure Europe“ rappelle ce qu’elle doit à la révolution industrielle, qui a donné aux puissances maritimes les moyens économiques de conquérir des colonies. Et cet avantage comparatif permet encore aujourd’hui des formes d’impérialisme européen, sur le plan économique et normatif. De même, des inégalités se font ressentir aussi au sein de l’Europe (Ouest et Nord plus riches que Sud et Est) et au sein de ses États membres. 

Malins plaisirs

„Pure Europe“ aborde le colonialisme, la restitution des biens africains, mais aussi la variété des origines, notamment à travers le travail conceptuel „Humanae“ d’Angélica Dass qui, aux stéréotypés blanc, rouge, noir et jaune, oppose les véritables couleurs de l’humanité, dérivées d’une même couleur. Ce travail est à voir au niveau inférieur de la Möllerei, où les figures sont plus libres et le parcours plus interactif. Les stations circulent entre les différentes idées développées jusque-là. On y rappelle les frontières dressées autour de l’Union européenne et les 4.000 personnes mortes en espérant les franchir depuis la création de l’espace Schengen. On souligne, par des photos cette fois, que l’ancien des villes européennes n’est pas toujours si ancien. En fin de parcours, Pit Péporté, vingt après Geneviève Mersch, nous emmène sur l’aire de Berchem pour discuter avec les camionneurs d’origines diverses et variées comment ils perçoivent l’Europe.

On sent que les concepteurs ont pris un réel – et malin – plaisir à penser cette exposition et parviennent particulièrement bien à le partager par un parcours intelligent et nuancé et la grâce de la mise en scène réalisée par la société néerlandaise de design tinker imagineers, lesquels ont su habiller et respecter l’espace peu commode de la Möllerei. S’ils défendent l’art du questionnement, ils se gardent bien d’apporter des réponses définitives et de proposer un autre narratif. C’est aux visiteurs de se faire une idée et de se composer une vision à la manière de l’expérience ludique à laquelle on peut s’adonner, consistant à voir son avatar paré de vêtements en fonction des réponses apportées à des questions politiques.

Infos

L’exposition „Pure Europe“ à la Möllerei (avenue du Rock ’n’ Roll à Esch-Belval) est à voir jusqu’au 26 février 2023. Ouvert du lundi au dimanche et les jours fériés de 11.00 à 18.00 h. Fermé le mardi. Prix: 7 euros.