Dans ce papier, il ne sera pas beaucoup question du football que nous aimons, celui basé essentiellement sur la pratique sportive, celui de la solidarité, de la camaraderie, de l’échange entre les cultures et les classes sociales, celui du dépassement de soi, celui qui rapproche, celui des quartiers ou des villages, des éducateurs qui s’investissent quasi quotidiennement ou des minots que le foot fait vibrer, rêver, celui qui fait partie de la vie de tous les jours, celui qui nous procure mille émotions, le foot de la rue (ou, aujourd’hui, celui des petits terrains de quartier appelés „Bolzplatz“). C’est le moment et l’endroit de citer, une fois n’est pas coutume, Albert Camus, le maître du soussigné, un passionné de foot et ancien gardien de but du FC Oran en Algérie, qui disait: „Ce que je sais sur la morale et les obligations de l’homme, c’est au football que je le dois!“ Rien à ajouter …
Voilà pour le côté pile.
Malheureusement, côté face, nous sommes confrontés à un autre football, le foot business, celui des stars mondiales ou nationales, celui du fric, de l’argent officiel et celui des caisses noires, de la corruption petite ou grande, du bling-bling, des people, de la démesure, celui qui est une arme politique appelée soft power, celui qui exacerbe le nationalisme, etc., etc.
Quel boycott? That’s the question!
Pas besoin de me dire que tous les appels à un boycott de la Coupe du monde de football, qui va se dérouler à partir du 20 novembre au Qatar, viennent un peu tard. Sont-ils pour autant vains? N’est-il pas „normal“ ou opportun, qu’à l’approche du début des compétitions, on focalise davantage l’attention médiatique et autre sur les nombreuses dérives de cet événement sportif, économique, social, écologique, donc politique, de premier ordre?
En 1978 le soussigné, déjà, avec d’autres footballeurs, avait milité pour le boycott total de la Coupe du monde en Argentine, où une junte militaire avait mis en place une dictature qui utilisait sciemment cette compétition pour améliorer son image sur le plan international. Plus récemment, en 2010, dans un tout autre registre, même l’Afrique du Sud, où le soussigné était présent tout au long de la compétition, a utilisé ce même stratagème pour des questions d’image, pour montrer au monde entier qu’un pays africain pouvait se mettre sur la même longueur d’ondes que tout autre pays, le bling-bling en moins. Quatre ans plus tard, rebelote au Brésil, un des berceaux du foot, nouvelle présence longue du soussigné. La Coupe du monde en Russie il y a quatre ans, participait du même stratagème, absence délibérée du soussigné. La liste n’est pas exhaustive, on pourrait même remonter jusqu’aux JO de Berlin en 1936, boycottés par les athlètes juifs américains, et les arrière-pensées des Nazis, pour constater le même phénomène de pure propagande politique.
Aujourd’hui, en ce qui concerne le Qatar, je précise que moult associations, ONG, presse indépendante et autres dénoncent depuis plus de dix ans les conditions d’organisation et d’accueil du Mondial de foot attribué à un pays où il n’existe pas de culture de foot (à peine de culture tout court), mais qui possède des moyens financiers démesurés pour acheter tout, oui vraiment tout et tout le monde, hommes politiques, fonctionnaires de la Fédération internationale de football (FIFA) et autres compris. En cette fin novembre, un boycott ne pourrait viser finalement que le fait de ne pas regarder les matches à la télé, ou refusant de relayer publiquement les matches grâce au public viewing ou en ignorant les informations autour de la compétition, et surtout, pour les VIP de toute sorte, ne pas y aller et le faire savoir. En deux mots, en faisant comme si ce Mondial n’existait pas et ainsi afficher publiquement son désaccord.
Qatar: le contexte
Rapidement le contexte général: en 2010 déjà, il a été décidé au niveau de la FIFA, sous des conditions étranges et suspectes, d’organiser le Mondial de foot dans un tout petit pays, dont la majeure partie du territoire est couvert par le désert, où tout était à construire, qui voyait dans le football un moyen d’exister enfin et autrement sur la carte du monde en général, et de la région en particulier.
Chateaubriand disait: „Les forêts précèdent les civilisations et les déserts les suivent.“ En paraphrasant cet écrivain français célèbre, on pourrait dire au sujet du Qatar: „Les déserts précèdent la civilisation et le béton la suit.“ Et surtout, à défaut de briller autrement, il fallait montrer au monde entier que le soft power, appelé en français dans le cas présent „la diplomatie sportive“, c’est-à-dire le moyen d’exister politiquement, voire médiatiquement, comme une grande puissance, ou presque, grâce au foot. Pour atteindre cet objectif, presque tous les moyens étaient bons, les licites et les illicites. L’idéologie qui est inhérente à cette façon de faire a comme moteur le seul fric, rien que le fric, toujours le fric, le fric illimité, le fric sans gêne, le fric sans frontières.
Questions d’environnement
Comme beaucoup de ses prédécesseurs, le Qatar a construit des infrastructures toutes neuves, spécialement pour l’occasion, notamment sept stades qui ont nécessité des ressources pour être construits et qui seront climatisés tout en étant à ciel ouvert, alors que le thermomètre atteint des sommets autour de 30 degrés. En prenant en considération l’impact environnemental de la clim, la décision de refroidir les stades pose problème, alors qu’à quelques milliers de kilomètres de là, en Egypte, va se terminer la conférence mondiale sur le climat … Parenthèse: savez-vous qu’il est prévu d’organiser les Jeux olympiques d’hiver en … Arabie saoudite, en plein désert, prochainement. On aura tout vu.
Autre problème: pendant la durée de la compétition, quelque 160 vols quotidiens supplémentaires a/r auront lieu, surtout pour acheminer les spectateurs qui ont préféré se loger dans des pays voisins. Pour contrer la polémique, il a été décidé de compenser ces émissions de carbone en investissant par exemple dans des projets verts ou en plantant plusieurs milliers d’arbres. Cela me rappelle notre gouvernement qui se propose d’arracher des arbres centenaires dans le parc municipal de la Ville de Luxembourg pour faire place nette à une ligne de tramway complètement superflue avec la promesse de planter ailleurs des arbres à titre de compensation, le tout placé sous le drapeau de la lutte contre les changements climatiques. Les compensations promises et votées lors de la construction de la Route du nord au début des années 90, mais jamais réalisées, sont un autre triste exemple.
Paroles, paroles, paroles … chantait Dalida.
Social: Nihil novi sub sole
Rien de nouveau sous le soleil, dit-on. Donc juste pour être complet, quelques mots au sujet des travailleurs, pour la plupart asiatiques, qui depuis dix ans se crèvent et crèvent sur les divers chantiers des infrastructures sportives et autres au Qatar. Le journal anglais The Guardian a estimé que quelque 6.500 ouvriers, en provenance d’Inde, du Pakistan, du Népal, du Bangladesh et du Sri Lanka y auraient déjà perdu la vie. Indirectement, cela me rappelle les chantiers de construction au Luxembourg où on ne rencontre presque pas d’ouvriers européens, même si les conditions de travail ne sont en rien comparables avec celles des ouvriers au Qatar.
Il est du mérite de diverses ONG internationales que la situation de ces esclaves des temps modernes a quelque peu évolué en termes de salaire minimum et autres conditions de travail. Ces informations sont à prendre avec circonspection, mais dénotent quand même que toute critique, toute opposition n’est pas vaine et peut être utile. Il faut savoir que de toute manière la meilleure façon de répliquer et de dénoncer est d’utiliser les mêmes canaux d’information que votre contradicteur, in fine leur propre communication peut ainsi se retourner contre eux.
Le foot et la politique, pauvre France
Trop de gens sont persuadés qu’il faut strictement séparer sport et politique. Naïveté, ignorance, myopie, mauvaise foi? Plus que jamais, et non seulement depuis le Qatargate, les deux sont intimement liés. Il est succulent, dans ce contexte, d’analyser en détail les conditions, non officielles, secrètes, qui sont à l’origine de l’attribution du Mondial au Qatar, et, une fois n’est pas coutume, nos voisins français y ont joué un drôle de jeu. Attardons-nous donc un instant dans cet imbroglio politique, économique, financier, stratégique, sportif.
En novembre 2010, Sarkozy est président de la République, Michel Platini président de l’UEFA et futur triste victime du fric à gogo, doté d’un droit de vote à l’occasion du vote FIFA qui aura lieu le 2 décembre et qui attribuera l’organisation du Mondial de foot, et Tamim ben Hamad Al Thani le Prince héritier du Qatar. Ces trois personnes se retrouvent à l’Elysée, pour un déjeuner devenu culte entretemps et dont les détails restent toujours couverts par une omerta. Résultat des courses: Platini votera pour le Qatar, après avoir retourné sa veste à la sortie du célèbre déjeuner. La Justice suisse relève 120 transactions financières suspectes peu après ce vote. Quelque temps après ce déjeuner, le Qatar acquiert le PSG, le club de cœur de Sarkozy. Le vendeur, le fonds américain Capital Colony, est dirigé par l’homme d’affaires Sébastien Bazin, futur dirigeant d’une multinationale de l’hôtellerie, dont l’ancien président de la République deviendra membre du CA plus tard. Un des fils de Sarkozy fait figure de parrain de la transaction. Le fils Platini est engagé par Burrda Sport, l’équipementier sportif du Qatar, comme directeur général. Cerises sur le gâteau: la chaîne payante Bein Sport, propriété du Qatar, s’est offert un lot important des droits télévisés en France et en Europe, et le législateur français a adopté, sur proposition de Sarkozy, une convention fiscale avantageuse pour le Qatar (exempté de l’impôt de solidarité sur la fortune en France). On pourrait encore ajouter un contrat important d’une trentaine d’avions Rafale, de construction française, à destination du Qatar, sans parler des participations du Qatar dans la société Lagardère ou dans l’immobilier surtout parisien, voire du groupe multinational VINCI, à majorité française jusqu’à nouvel ordre.
Quelle bouillabaisse!
Probablement que des coïncidences (sic), mais quel mélange des genres, les retours d’ascenseur permanents semblent évidents. Quand on sait encore que Sarkozy est coutumier de faire des conférences hautement rémunérées au Qatar, la boucle est bouclée. Mais attention, tout cela ne concerne que la partie visible de l’iceberg …
Pour finir, on pourrait encore évoquer l’attitude du Qatar vis-à-vis de la communauté LGBT et du statut et des droits des femmes, mais également des positions obscures par rapport à des financements occultes de groupes terroristes, dans la presse internationale le Hamas, les Frères musulmans, les Talibans et le Hezbollah sont régulièrement cités. D’ailleurs, la faculté pour le Qatar, tel un voltigeur, de danser à la fois sur la musique musulmane et occidentale, est remarquable.
Au Luxembourg, l’influence du Qatar et ses liens avec une partie du monde politique n’est pas nouvelle non plus, nous en avons déjà fait les frais également, n’est-ce pas, Monsieur l’ex-ministre des Finances? Connaîtrons-nous un jour tous les détails et les conditions de la vente de la BIL aux Qataris? Pas sûr.
Revenons au football: Qatar ou autre, il faut que la communauté internationale et les Etats se donnent les moyens pour encadrer, réguler et contrôler autrement ces mastodontes financiers que constituent la FIFA et l’UEFA et certains agissements de leurs responsables.
La volonté politique existe-t-elle pour ce faire?
Il est permis d’en douter.
* René Kollwelter est ancien député du LSAP et ancien membre du Conseil d’Etat.
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