En fait, deux salles ont été supprimées d’un coup: celle de la MJC d’Audun-le-Tiche pour cause de dégâts d’eau dus aux intempéries du dimanche précédent et celle du cinéma Rio de Villerupt, jugée inadéquate par la commission de sécurité.
Après une rapide et efficace réorganisation de la programmation et une redistribution des tâches imparties, tout était prêt à accueillir le public de cette 45e édition du festival.
Le concert très applaudi de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg sur la scène du nouveau centre culturel L’Arche, alliant la puissance évocatrice de la musique de film de Nino Rota à celle des affiches de films de Federico Fellini et des extraits de „La Strada“, a donné envie aussi bien de découvrir la nouvelle production cinématographique italienne, que de resavourer des classiques, notamment ceux de Lina Wertmüller, à laquelle cette 45e édition du festival rend hommage.
Les invités, prononçant les discours de bienvenue, n’ont pas manqué de mettre en évidence la longévité du festival, le travail fondamental des bénévoles, ainsi que l’importance du nouvel écrin qu’est L’Arche, situé à l’endroit même où autrefois se trouvait l’usine de Micheville.
Quand en 2012, Aurélie Filippetti, villeruptienne de naissance et alors ministre de la Culture et de la Communication, avait réuni autour de soi toutes les personnes et entités administratives, politiques et financières susceptibles de s’intéresser à la création d’un établissement culturel multifonctionnel, c’était le début du projet, qui aurait amené à la construction de L’Arche, et qui, certes, ne sert pas seulement à la quinzaine festivalière.
La face cachée du travail à l’usine
Avec Esch2022, capitale européenne de la culture, bien des projets de la Communauté de communes Pays Haut Val d’Alzette profitent de cet espace prestigieux. Parmi ceux-ci, le documentaire transfrontalier d’Emmanuel Graff „L’Usine secrète“ a su surprendre le public, car il montre une face cachée du travail à l’usine, celle de la collégialité entre les ouvriers, de l’esprit d’équipe, du sentiment de solidarité, d’une certaine complicité, même entre les ouvriers et leurs supérieurs.
Cet aspect inhabituel, parfois cocasse, du monde de la sidérurgie lorraine et luxembourgeoise, est porté à l’écran à travers les témoignages de ceux qui ont travaillé à l’usine à partir des années 70. „Quand j’ai abordé le sujet il y a trois ans, j’avais une crainte“, confia le réalisateur après la séance de projection, „celle que les gens ne m’en parleraient pas, car il s’agissait d’un secret, d’un accord tacite.“
Graff constata cependant que la plupart des personnes étaient contentes de se confier sur le sujet, qui était celui de la bricole et de la fauche, jamais considérés comme vol, au contraire. C’était une forme de „créativité ouvrière“, dont profitaient souvent aussi les contre-maîtres, les gardes, les ingénieurs.
„Il y avait une espèce d’attente, comme si la chose pouvait et devait finalement être racontée. Et ce fut pour moi l’occasion de donner une autre image au travail sidérurgique, moins lourd, plus convivial et qu’on ne retrouve plus dans les usines d’aujourd’hui“, expliqua Graff.
Faire un film – un acte politique
D’un tout autre genre et en compétition est le film d’animation „Interdit aux chiens et aux Italiens“ d’Alain Ughetto. Cette production franco-italo-suisse, dont les personnages en pâte à modeler, animés par stop motion, donnent vie à l’histoire des grands-parents du réalisateur, Luigi et Cesira, partis du Piémont au début du XXe siècle pour s’établir en France et y construire leur paradis.
Attachants et émouvants, ils évoquent avec réalisme aussi bien les moments de joie et de bonheur, que les épisodes de deuil, tristesse et angoisse face à la guerre, la pauvreté, l’émigration vers une terre inconnue, à l’accueil tout autre que chaleureux. Même en l’absence du réalisateur, un long applaudissement a témoigné de l’appréciation du public pour ce petit chef-d’œuvre d’animation.
Ce qui n’était pas le cas à la fin d’un autre film en compétition: „Giulia“, où le public est resté impassible, quand les lumières en salle se sont rallumées, cherchant peut-être une raison pour aimer ce film. Le réalisateur Ciro de Caro n’en était pas surpris, car avant même la projection, il avait affirmé qu’il avait voulu créer un personnage qui soit à la fois fascinant et répugnant, afin de faire surgir des questions. „Faire un film est un petit acte politique et il ne faut pas chercher de réponses dedans“, avait-il dit, espérant cependant qu’on lui pose des questions après la vision du film, qui montre les errances de Giulia à travers les rues de Rome et les embarras qu’elle crée dans la vie de ceux qu’elle rencontre.
Singulier aussi, mais prenant et bien construit est le film de Cosimo Gomez „Io e Spotty“. On y découvre les deux personnages Eva et Matteo, en proie à leurs phobies et leurs manies, qui se rencontrent et, au fur et à mesure qu’ils apprennent à se connaître, transmettent ce sentiment de complicité aux spectateurs. On réussit quasiment à se „mettre dans la peau“ de Matteo, qui, chez soi, enfile le costume de chien pour devenir Spotty.
Eva, sa dogsitter, se prête au jeu, d’abord parce qu’elle a besoin d’argent, puis parce qu’elle ne peut plus s’en passer. Cosimo Gomez, le réalisateur, a commenté durant la rencontre à L’Arche: „Dans cette comédie romantique, nous avons voulu développer l’idée de l’âme sœur et donc de la rencontre de deux personnes, qui deviennent réciproquement les thérapeutes l’une de l’autre.“ Avant d’être réalisateur, Cosimo Gomez a été responsable des décors de films comme „Pinocchio“ de Roberto Benigni et de nombreuses séries télévisées. Les images de „Io e Spotty“, très soignées, sont le fruit de ce regard artistique.
Mélancolie existentielle
Deux autres réalisateurs sont venus à Villerupt pour présenter leurs films, qui sont en compétition: Mino Capuano pour „Quanno chiove“ et Corrado Ardone pour „Tempi supplementari“. Capuano a voulu porter à l’écran, en trois chapitres différents, la mélancolie existentielle perçue en trois phases de la vie. A Naples, cette mélancolie, appelée „apucundria“ (comme le titre d’une chanson du regretté Pino Daniele) est particulièrement forte le dimanche, quand il pleut, dit-il. D’où le titre du film, qui signifie en napolitain „Quand il pleut“. Jouant sur la polysémie du mot „temps“, il raconte des histoires, où le temps atmosphérique et le temps physique se rejoignent, influençant les choix de vie des personnages.
„Tempi supplementari“ de Corrado Ardone n’a rien à voir avec le sport, même si le terme le suggère. Pour le réalisateur, les prolongations constituent plutôt une deuxième chance, une possibilité en plus de récupérer les propres erreurs.
Le dialogue tantôt vif et poignant, tantôt lent et réfléchi entre les deux protagonistes, qui attendent dans un appartement dévasté un prétendu ordre de la Camorra, sans trop savoir où ils sont, ni ce qu’ils doivent faire, constitue l’échine du film et mène à une prise de conscience des choix de vie.
Selon Ardone, qui joue avec brio l’un des personnages, son œuvre n’est pas un film sur la Camorra, mais sur les sentiments. Né dans le quartier malfamé de La Sanità à Naples, il se considère chanceux d’avoir échappé à l’emprise des mauvaises fréquentations et ceci grâce à un enseignant, qui lui a enseigné les sentiments et fait apprécier la beauté.
C’est à travers la culture, l’art et les émotions que les personnes s’épanouissent, surtout dans certains milieux, où il est fondamental de les enseigner, car ils n’y sont pas d’office. Ainsi Ardone aimerait-il que son film soit montré dans les prisons, afin que les jeunes puissent reconsidérer leurs façons de vivre. De plus, l’attente, qui est un autre aspect du film, est une métaphore de la vie. „Nous attendons quelque chose qui doit arriver et quand cette chose arrive, nous ne savons plus ce que nous attendions“, constate Ardone. En tant que féru du grand dramaturge napolitain Eduardo de Filippo, il en cite un des principes qu’il applique dans son travail: „Les choses sérieuses doivent être racontées avec le sourire aux lèvres et les choses comiques de façon sérieuse.“
Les femmes derrière la caméra
Le thème du festival étant „Les femmes derrière la caméra“, c’est par une conférence très édifiante que Véronique Le Bris, journaliste et présidente du jury de la critique, a fait le portrait de nombreuses réalisatrices italiennes. En commençant toutefois par une Française: Alice Guy, première réalisatrice de l’histoire du cinéma, dont la créativité et le sens des affaires l’ont amenée jusqu’aux Etats-Unis en 1907, où elle a ouvert sa propre société de production et des studios. Prolifique et engagée de son vivant, elle est injustement tombée dans l’oubli à la fin de sa vie et il ne reste que quelques films des mille qu’elle a réalisés.
Côté musique et concerts, au Ratelach de la Kulturfabrik Enrico Lunghi, accompagné de sa guitare et de Robert Hall au cajón, a su enchanter et faire chanter son public avec un mélange de compositions propres et de morceaux populaires d’auteurs-compositeurs italiens et de classiques de la chanson française.
Ses commentaires parfois ironiques, parfois chargés d’émotion ont su faire le lien entre les différentes mélodies et créer une ambiance plaisante, gâchée cependant à plusieurs reprises par des gros bavards au fond de la salle, indifférents aux exhortations énervées du public de se taire.
La deuxième semaine est tout aussi chargée et le festival continuera jusqu’à dimanche, le 13 novembre, même si la remise des prix des cinq jurys se fera jeudi. Elle sera suivie de la projection du film „Le colibri“ de Francesca Archibugi.
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