Il n’est pas impossible qu’en entrant dans l’espace d’exposition du MNHA, qui accueille une première rétrospective d’envergure du peintre, plasticien et sculpteur Gast Michels (1954-2013), l’amateur d’art ressente la même émotion que celle ressentie par le critique français Pierre Restany. Dans un article paru en 1991, ce dernier écrivait qu’il avait l’impression de pénétrer dans un paysage profond qui lui était connu. Qui mieux que ce spécialiste, lui-même auteur d’un manifeste du naturalisme intégral en pleine forêt amazonienne en août 1978, témoignage du choc affectif profond provoqué par la forêt „sans commencement ni fin“, pouvait ressentir l’œuvre du natif de Consdorf? En Amérique du Sud, il avait éprouvé l’omniprésence du vert jusqu’au moment où „le rêve vous libère de l’emprise du vert“, en dissocie la cohésion compacte. Il avait retrouvé cette perception dans la peinture de celui qu’il allait baptiser „l’homme des forêts luxembourgeoises“, alors installé à Walferdange, qui, se méfiant du caractère envahissant du vert, préférait le décomposer en utilisant les couleurs primaires, jaune et bleu.
„Mobiliers de l’existence“
Gast Michels a été marqué par l’esprit avant-gardiste qui régnait dans la Consdorfer Scheier dans les années 60, d’où des artistes avaient l’ambition d’introduire le pop art, dans un Luxembourg encore marqué par l’Ecole de Paris. On en retrouve quelques motifs dans ses premiers travaux. Mais si le travail réalisé par Gast Michels dans les années 80 peut sembler familier et chaleureux, c’est plutôt parce que le peintre a cherché un langage atemporel qui permette de signifier et rendre compte de la forêt, non pas de la reproduire à distance, mais de l’explorer à l’intérieur même de sa peinture, d’en restituer son épaisseur organique comme le langage éternel qu’elle a pu abriter en son sein. On est enveloppé dans une ambiance de sous-bois. On est enveloppé par la sérénité et la solidité que dégagent ces tableaux, par leurs gestes maîtrisés.
Comme sur les trois stèles en bois peint, présentées au Grand Palais à Paris en 1989 et réunies à nouveau pour l’occasion, Gast Michels intègre à ces tableaux de sa première période couvrant les années 80 des symboles archaïques. Il parle des symboles et de la réalité comme „des mobiliers de l’existence“, d’outils à disposition du peintre comme la toile et la couleur. Il semble composer à son tour des peintures rupestres sur lesquels figurent hache et bouclier, arc et flèche, symboles de guerre et de protection, l’arbre symbole de vie. On retrouve aussi le couple cerf/chasseur, bien/mal, rationnel/l’irrationnel, tandis que le pont comme celui prolongeant les bois d’un cerf dans l’œuvre „Cerf-pont“ symbolise un besoin humain et existentiel de collectivité.
Gast Michels intègre également une croix, symbole de stabilité et d’enracinement, inspirée d’une croix vieille de 1.800 ans inscrite dans la pierre à Loschbour. D’ailleurs, on le croirait tenté de voir la forêt à travers les yeux du plus vieux Luxembourgeois connu qui fréquentait et regardait les mêmes forêts que lui. Il voudrait rendre intelligible un message venu de la profondeur des temps. „Face au ‚riche silence blanc’ d’une toile, ce décor fantastique et baroque en été, sobre et mystérieux en hiver, se condense en signes pour prendre forme et signification“, expliquait-il dans une interview en 1988.
„Releveur d’empreintes“
Contrairement à l’homme de Loschbour, l’artiste de Consdorf ne vit plus dans la période d’abondance. Un événement rappelle les limites de la croissance et marque une rupture dans sa carrière: les tempêtes de janvier et février 1990. Gast Michels a perdu ses repères, la dimension mystique de son environnement. Son œuvre évolue, mais celle qui suit comme celle qui précède, est „appropriée à un moment où nous, êtres humains, avons fortement besoin de reconsidérer notre relation avec la nature au vu de la crise climatique actuelle“, comme le dit la jeune curatrice Lis Hausemer, dans le catalogue de l’exposition.
À ce moment, Gast Michels a déjà quitté l’enseignement depuis deux ans pour devenir artiste indépendant. Il continue d’être mû par une volonté expressionniste et de se distinguer par l’instantanéité de ses peintures à l’acrylique. Mais ses tableaux deviennent plus lumineux et plus abstraits. Dans la décennie des années 90, certaines toiles font penser à Miro, par le fonds gris et les formes épurées. Les éléments figuratifs sont plus stylisés et réduits à leur forme élémentaire. Il y a plus d’espaces autour des formes, donnant une impression de flottement, subtilement relevé par Lis Hausemer.
En fait, Gast Michels continue de décortiquer la réalité. Il fait des peintures rupestres de la société dans laquelle il est émergée, en en saisissant les signes, mais sans jamais se laisser aller à une simplification. Le curateur de l’exposition organisée en complément au Cercle Cité et consacrée à ses œuvres papiers, Paul Bertemes, décrit Gast Michels comme „un releveur d’empreintes muni d’un volumineux bloc à croquis, qui refait son environnement d’un trait de crayon acéré, tout en élaborant en poète éclairé, avec une détermination percutante, des messages à notre adresse“.
Lui qui s’est toujours considéré comme un voyageur immobile opérant un „voyage permanent d’exploration de sa propre géographie intérieure“ s’intéresse notamment au tourisme. Il renoue parfois avec le pop art et ses tableaux prennent à la fin de sa carrière un tour ludique dont Paul Bertemes dit qu’elle est „l’expression de l’adrénaline artistique et de la lucidité intellectuelle“. L’esprit critique est toujours là, mais l’esprit dadaïste sinon situationniste l’est aussi. C’est celui qui anime les magnifiques sous-bocks et œuvres sur papier conservées au Cercle Cité, à „lire lentement comme on lit les pages d’un recueil de poésie“.
Infos
L’exposition „Gast Michels (1954-2013): Movement in colour, form and symbols“ dure jusqu’au 26 mars 2023 au MNHA et jusqu’au 22 janvier 2023 au Cercle Cité. Si une telle rétrospective est possible, c’est notamment grâce aux deux fils de l’artiste, David et Franck Michels, qui ont documenté et classé près de 5.000 œuvres de leur père à travers la Gast Michels Estate. C’est l’un des rares exemples de succession d’artistes entreprise dans les règles de l’art au Luxembourg avec celle de Michel Majerus. La question sera d’ailleurs au centre d’une table ronde le 23 janvier 2023. Le programme qui accompagne l’exposition propose aussi deux balades dans la région de Consdorf sur les pas de Gast Michels (20 novembre et 15 janvier).
Programme complet: www.mnha.lu.
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