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Histoire militaireEn quête d’une tradition belliqueuse

Histoire militaire / En quête d’une tradition belliqueuse
Exercices de soldats volontaires sur le plateau du Saint-Esprit (avant 1914) Photo: Musée national d’histoire militaire

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Le Luxembourg a une histoire militaire. Il a aussi désormais un livre, cofinancé par le ministère de la Défense et l’Université du Luxembourg, qui démine ce champ historique parcellaire. 

Situé au cœur d’une Europe qui a vécu des siècles sinon des millénaires de conflits en tout genre, le territoire qui est celui du Luxembourg aujourd’hui a fatalement été forgé par les guerres et encore plus par les risques de guerre. Le Luxembourg a la particularité d’avoir traversé l’époque contemporaine (XIXe-XXe siècles) avec deux attitudes opposées, que l’on peut ranger en deux blocs de 77 ans, la neutralité de 1867 à 1944 et l’engagement dans le camp occidental depuis lors. C’était surtout cette période qui intéressait le ministère de la Défense lorsqu’il a signé une convention de partenariat avec l’Université du Luxembourg en octobre 2018. Elle dotait de 453.000 euros un projet de recherche mené sur cinq ans au sujet de l’histoire militaire du Luxembourg depuis 1817.

Dans „Militärgeschichte Luxemburgs – Histoire militaire du Luxembourg“ (publiée aux éditions capybarabooks, 39 euros) qui est la vitrine de ce projet, le ministre de la Défense, François Bausch, comme le général d’état-major Steve Thull, profitent de la préface pour rappeler les besoins de l’armée dans les temps agités présents. On a froid dans le dos en lisant le chef d’état-major affirmer que „au moment d’écrire la présente préface, les préparatifs d’implémentation des premiers drones d’observation tactiques au profit d’une brigade interarmes se trouvent en phase terminale“ et le ministre rappeler que l’invasion de l’Ukraine „nous rappelle douloureusement à quel point les missions premières de défense restent d’actualité“.

Passé ces préfaces, on met du temps à se détacher de l’impression que l’ouvrage cofinancé par le ministère de la Défense n’est pas conçu pour renforcer la légitimité de l’armée. Les affirmations selon lesquelles „aucun pays n’est assez petit pour ne pas faire partie d’une histoire militaire“ et „le Grand-Duché peut aussi se prévaloir d’une tradition militaire propre“, mises en avant sur la quatrième de couverture, prendraient alors un tout autre sens. Et lorsque, à la fin de la lecture de l’imposant ouvrage de 410 pages, cette impression s’est effilochée, les contributions de deux colonels – qui sont aux articles scientifiques ce que les publireportages sont au journalisme d’investigation – réveillent, images de matériel militaire à l’appui, cette troublante impression. 

Histoire hybride

Le livre „Histoire militaire du Luxembourg“ est un ouvrage hybride, pour employer un mot en vogue dans le monde militaire. Il l’est dans la variété des 34 contributeurs et contributrices qui, chacun avec leur sensibilité et leur approche, livrent des fragments de l’histoire militaire du pays. Les échelles et perspectives sont hétérogènes, elles vont d’une histoire en surplomb à des approches micro-historiques, sans jamais explorer la pourtant prometteuse histoire des sensibilités. Il n’y a pas de volonté d’exhaustivité, ce n’est pas un manuel même si le découpage en périodes chronologiques y fait penser. 

Les éditeurs de l’ouvrage, Thomas Kolnberger, chercheur à l’Institut d’histoire de l’Université du Luxembourg, et le directeur du Musée d’histoire militaire de Diekirch, Benoît Niederkorn rappellent en préambule que l’histoire militaire est aussi l’histoire de la société et que les soldats ont vécu plus souvent en temps de paix qu’en temps de guerre. L’ouvrage commence d’ailleurs avec une description exhaustive de l’oppidum du Titelberg par l’archéologue Catherine Gaeng, lequel, malgré ses fortifications, avait une fonction civile plutôt que militaire et offrait son cadre bien plus souvent aux rassemblements politiques et religieux, qu’au ravitaillement de l’armée romaine. 

Quand, au début du XIVe siècle, la maison de Luxembourg devient une des grandes maisons nobles européennes, on fait désormais la guerre loin en Europe, pour le capital symbolique plutôt que pour les gains territoriaux. C’est cette quête de prestige qui est à l’origine de la mort du comte de Luxembourg, Jean de Bohême, à la bataille de Crécy (1346). Anna Jagos et Sonja Kmec s’intéressent aux monuments en l’honneur du comte aveugle au Luxembourg, en France et en Bohême. Mais la préface de François Bausch qui évoque son „sacrifice ultime au nom d’un idéal supérieur“, rappelle qu’il serait aussi utile de faire une histoire des usages publics et militaires de ce personnage historique, à l’aune de son véritable rôle dans cette bataille.

L’histoire militaire est aussi une histoire sociale. Et ce sont d’ailleurs bien souvent les moins riches qui acceptent de prendre le risque d’être trucidés au combat. Guy Thewes, au sujet du recrutement au service des Habsbourg entre 1715 et 1795, évoque de nombreuses défections et des difficultés d’enrôlement. „Il faut s’interroger sur l’attrait – ou au contraire la répulsion – que le métier des armes exerce sur la population masculine. La prime d’enrôlement, une solde versée régulièrement, la ration de pain quotidienne, des habits, un logement assuré, constituent des avantages matériels qui peuvent déterminer certains à souscrire un engagement militaire.“ A l’occasion des deux levées de recrues durant la guerre de sept ans (1756-63), les pauvres et mendiants intégrés sont intégrés d’offices s’il n’y a pas assez de volontaires. La levée de 1812 pour les armées de Napoléon est faite d’une écrasante majorité de gens liés à la terre.

Neutralité dépréciée

La date de 1867 est une année majeure de l’histoire militaire du Luxembourg, déclaré neutre par la conférence de Londres, qui voit sa forteresse démantelée et la garnison prussienne qui en avait la charge partir. Désormais, le contingent luxembourgeois ne garde plus que la sécurité intérieure dans ses missions. En 1881, le nombre de soldats passe de 1.500 à 300 avec la création de la compagnie des volontaires qui forme une „unité paramilitaire“ plutôt qu’une armée. L’ouvrage ne s’y intéresse d’abord qu’à travers ses officiers, sans s’intéresser aux débats politiques passionnés et passionnants de 1881 ou encore de 1907 – quand le parti clérical veut le renforcement de l’armée contre les classes laborieuses – ni aux motivations des soldats issus de milieux populaires.

En revanche, on s’introduit dans la vie des soldats durant les deux grands conflits du XXe siècle. D’abord, dans une contribution qui explore des sources encore inexploitées, Benoît Niederkorn retrace les dures conditions de vie (alimentation, travail, discipline) des volontaires durant la Grande guerre et en fait les raisons véritables (plutôt que des motifs politiques) de leur participation au mouvement révolutionnaire à la fin de l’année 1918. L’article très fouillé de Michel R. Pauly consacré à la fin de la compagnie entre 1940 et 1944 suit le parcours de soldats qui n’ont pu échapper à leur condition face à l’occupant nazi, les uns devenant des volontaires involontaires qui sont employés à lutter contre des partisans, les autres des opportunistes espérant progresser à travers l’Etat allemand et les moins nombreux devenir des bouchers sanguinaires au sein du Reserve-Polizei-Bataillon 101.

La guerre de 1939-45 est considérée par les dirigeants comme la preuve des limites de la neutralité. Il serait intéressant de faire la généalogie de ce concept, d’identifier les arguments en sa faveur, ses défenseurs et ses détracteurs, tant il semble qu’on ne puisse, comme le fit le ministre Bech après-guerre, s’en débarrasser comme un simple synonyme de passivité et d’isolement. D’ailleurs, passé l’engouement de juin 1944, l’armée créée alors a rapidement du mal à recruter, de sorte que c’est la circonscription obligatoire qui est expérimentée et contestée pour répondre aux nouveaux devoirs du pays vis-à-vis du camp occidental.