Noël 1877. Elisabeth vient de fêter ses 40 ans. L’éclat de son mariage s’est estompé, ses enfants, ceux qui sont encore vivants, ont grandi. Elle s’ennuie. Elle s’agite. La dépression n’est pas loin. Chaque jour, elle affronte le rituel du corsage, entre souffrance et délice, obsédée par l’envie rageuse d’avoir une taille en dessous des 60 centimètres … Terrifiant, impossible à atteindre. Elle voyage à travers l’Europe, se lance avec passion dans l’équitation et l’escrime. Elle ne sourit vraiment qu’en voyant ses chiens. Irrévérencieuse, Elisabeth rejette les codes d’épouse et d’impératrice.
En campant une Sissi insurgée, Vicky Krieps excelle dans la peau diaphane d’une femme qui refuse de se contenter d’être uniquement belle et de se taire. Dans une mise en scène méticuleuse, Marie Kreutzer ose glisser des petits anachronismes – lunettes, électricité, téléphone –, indiquant subtilement qu’une vie de princesse peut en cacher une autre. La musique solaire de Camille complète le tableau ultra-moderne de Sissi. Tageblatt a rencontré Vicky Krieps (1).
Tageblatt: Vous aviez d’abord proposé le projet à Marie Kreutzer. En quoi le personnage de Sissi vous plaît-il?
Vicky Krieps: Nous voulions à nouveau travailler ensemble et je lui ai parlé de Sissi. C’était plutôt une intuition. A quinze ans, j’ai lu une biographie de Sissi et j’ai senti quelque chose comme une énigme qui m’intéressait. Une sorte de tristesse se dégageait de ce livre, au-delà de la façade que peut être une vie d’impératrice. Je ne connaissais que les films avec Romy Schneider, que j’adorais. On y voyait déjà un peu la tristesse à travers le conte de fées, les robes, les corsets très beaux, romantiques et féminins. J’étais encore trop jeune pour comprendre. En même temps, je ressentais cette tristesse parce que je la reconnaissais en moi. Sous une autre forme, évidemment.
Aujourd’hui, comment pourriez-vous définir cette tristesse?
Elle est liée au fait d’être une fille, à ces rôles qu’on lui donne: devoir plaire, être gentille, être jolie mais pas trop, être en même temps l’amie et la mère. Même si j’ai grandi à une autre époque, j’ai l’impression qu’il y a toujours ces rôles, sans doute sous la pression des contraintes sociales, alors que mes parents ne sont pas comme ça du tout. Ma mère était très féministe et, en même temps, je me sentais obligée d’être cette „bonne fille“. C’est cela que j’ai ressenti.
„Corsage“ est-il un film féministe?
Oui, absolument. C’est un féminisme silencieux, délicat. Le film montre aussi la force du féminin. Marie (Kreutzer) a dû faire des concessions parce que vouloir faire un film historique en Europe est difficile, on n’a pas l’argent comme les Américains. On lui a refusé beaucoup de choses. Parce qu’elle est maligne, Marie a fait preuve de diplomatie. Elle va tourner dans des châteaux délabrés et du coup elle montre la décomposition de la monarchie. De mon côté, aussi, comment faire pour montrer l’impératrice aujourd’hui? Je ne peux pas devenir cette femme et comprendre qui elle était. Elle-même l’ignorait. Je vais donner à Sissi – à Romy Schneider et à toutes les femmes – la possibilité de s’émanciper si elle avait pu. L’aurait-elle voulu? On ne sait pas. C’est mon interprétation. Quand j’ai lu la biographie de cette femme, quand je regarde les interviews de Romy Schneider, je sens qu’elles ont envie de s’accrocher. Je ne sais pas si c’est vrai. Et si c’est faux, et si on va rire de moi, je m’en fous. Parce que j’ai l’impression que, même si elles n’en avaient pas le droit, ces femmes avaient envie de frapper du poing sur la table.
L’image de Romy Schneider a-t-elle pesé sur vous?
Au début, j’avais très peur, je pensais que c’était impossible. Je ne veux pas toucher à un mythe, ce n’est pas le but. Je veux parler de ce que, nous les femmes, nous ressentons et qui est très difficile à décrire et à montrer: une réalité qui se loge sous le tapis de la société, une image à laquelle on veut ressembler ou pas. Toutes les femmes sont quand même un peu victimes de ce corset, de devoir être la mère parfaite et belle en même temps. Et c’est impossible. Je voulais parler de cette illusion et donc j’ai pris Sissi et Romy par la main. Puisqu’elles ne sont plus là de toute façon, puisque je peux avoir tort, je peux aussi les emmener quelque part comme un enfant l’aurait fait sur une aire de jeu. Alors, j’invente. Je vais agir comme je crois qu’elles auraient eu envie d’agir. Dans ma tête, je leur disais: „Ok c’est sûr que tu n’as jamais eu le droit mais maintenant on avance.“
Être désirée et considérée comme belle diminue avec l’âge. Elisabeth est une femme blessée …
C’est pratiquement le seul pouvoir qu’elle possède. Elle veut être maître de cette force. Elle est désirée, alors autant que ce soit elle qui décide. Elle revendique sa propre indépendance. Elle le dit à son mari: „Et si moi j’ai juste envie de te regarder ou que toi, tu me regardes. Et alors?“ Maintenant, lui, il se doit de la posséder, physiquement. Elle dit: „Non, je veux juste te voir me voir.“
… et une mère meurtrie.
Sissi était clairement victime d’un abus de pouvoir de son mari et surtout de sa mère, Ludovika de Bavière, qui voulait marier Hélène, la fille aînée de 19 ans à François-Joseph, le souverain de 23 ans. Tout est arrangé sauf que, lors d’un dîner, François-Joseph tombe fou amoureux de Sissi, la cadette à peine âgée de 15 ans. Trois jours plus tard, François-Joseph lui demande sa main. On ne le raconte pas mais quand elle a eu quinze ans, grandissant dans un milieu à peu près normal, Sissi tombe amoureuse d’un mec et puis, elle ne le reverra plus jamais. Elle a son premier enfant à l’âge de seize ans, qui meurt prématurément. On lui enlève ses deux autres enfants qu’elle ne revoit plus, sauf à Noël. C’était horrible pour cette femme.
Sa dernière fille, Marie-Valérie, la juge durement …
Dans son journal, Marie-Valérie parle de sa maman qui „a encore fait ça“. En même temps, elle adorait sa mère. Elle était déjà instrumentalisée par le système. Tout est très ambivalent.
Quel regard portez-vous sur la beauté, de Sissi, de Romy et la vôtre?
Vous mettez le doigt sur quelque chose dont j’aime parler et qui est une autre raison pour laquelle j’ai fait le film. Je suis actrice comme Romy l’était. La seule différence que je peux voir vraiment concrètement, c’est que moi, j’ai le droit de dire, même si ce n’est pas facile, que je ne veux pas être maquillée, que personne ne touche à mon visage avant la scène. Cela n’existait pas dans les années 50. Jane Fonda raconte dans un interview qu’on voulait lui casser la mâchoire pour lui creuser les joues, mettre des coussinets dans son soutien-gorge … Les studios et les producteurs lui ont imposé cela. Rester naturelle, ça au moins, je peux le faire. Ce n’est pas facile, il faut expliquer aux gens. On a réussi. Quand je rougis, on le voit vraiment à l’écran parce que je ne suis pas maquillée. Cela n’a aucun sens de maquiller une actrice. Cela va à l’encontre de sa raison d’être. Romy Schneider était une femme tellement belle. On n’imagine pas à quel point on lui a enlevé son visage. On a ficelé sa beauté. Et moi, j’ai le droit d’être différente donc, aussi dans le rôle de Sissi. Seuls mes sourcils, mes cheveux très longs sont faux de même qu’un détail cocasse que j’ai voulu ajouter à la fin du film, pour surprendre ma réalisatrice. C’est en cela que le film est personnel. C’est mon histoire. J’incarne Sissi et j’incarne aussi cette actrice qui aurait pu être Romy Schneider à une autre époque.
Vous venez d’incarner Anne d’Autriche dans „Les trois mousquetaires“ de Martin Bourboulon. Les têtes couronnées vous attirent?
J’ai fait ce film un peu pour rire. C’est quand même trop drôle que j’ai joué Sissi et la reine Anne d’Autriche, elle aussi membre de la Maison de Habsbourg. La royauté m’a toujours fait sourire et intriguée, car on montre un aspect mélancolique et triste autour de cette représentation. Depuis toujours, j’ai ce sentiment. Mais les hommes aussi sont enfermés dans des rôles, il n’y a pas que les femmes.
(1) Vicky Krieps a reçu le Prix de la meilleure performance. „Corsage“ était présenté dans la section „Un Certain regard“ au Festival de Cannes.
Info
„Corsage“ de Marie Kreutzer. Avec Vicky Krieps, Florian Teichtmeister, Colin Morgan, Katharina Lorenz. En salles à partir d’aujourd’hui.
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