Les partis socialistes ne représentent plus que l’ombre d’eux-mêmes

Les partis socialistes ne représentent plus que l’ombre d’eux-mêmes

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Face aux défaites électorales successives partout en Europe, la social-démocratie semble en déroute. A quelques exceptions près, les partis socialistes ne représentent plus que l’ombre d’eux-mêmes, voici la thèse d’un jeune du parti.

Par Fabio Spirinelli

Le LSAP n’y fait pas exception: alors qu’il était jadis un parti qui pouvait se mesurer avec son plus grand opposant, le CSV, il est loin des 20 sièges et plus qu’il pouvait décrocher il y a quelques décennies. Certes, le contexte politique a changé, la gauche est aujourd’hui divisée en plusieurs partis; d’autres partis, pas clairement situables sur l’échiquier politique, s’y sont ajoutés, puisant dans une base électorale qui, jadis, aurait opté pour la social-démocratie.

Tandis que les partis socialistes s’affaiblissent, les partis extrémistes, et surtout nationalistes, semblent avoir le vent en poupe. Cette évolution n’est pas uniquement due aux erreurs commises par les socialistes, mais elle est aussi représentative de l’esprit hyper-individualiste d’aujourd’hui.

Bien que le terme d’hyper-individualisme existe déjà et a été utilisé dans d’autres contextes avec des connotations légèrement différentes, il désigne dans le présent contexte un individualisme poussé à outrance. Les deux caractéristiques principales de cet hyper-individualisme sont l’avidité et l’égoïsme.

Il ne s’agit plus d’une simple affirmation des libertés individuelles, telles que défendues par les mouvements libéraux et gauchistes depuis plus d’un siècle, mais d’un individualisme qui prime l’égoïsme aux dépens des droits humains, de la protection des ressources naturelles et de l’environnement, des concitoyens, du système politique. Avec la perfection des pratiques de marketing, avec l’apparition des médias sociaux, avec l’affaiblissement continu de l’intervention étatique, le cadre légal et politique a perdu de sa capacité d’endiguer les caprices de la nature humaine.

Soutenue par les politiques néolibérales qui visent à réduire l’action des autorités publiques, de favoriser les riches et de montrer le doigt sur les plus faibles membres de la société, l’industrie promeut et encourage l’hyper-individualisme.

Elle suggère un mode de consommation non pas durable ou éthique, mais centré sur l’individu lequel on fait consommer davantage par des moyens plus ou moins subtils: en créant de propres „écosystèmes“ fermés et incompatibles avec d’autres (incompatibilités délibérées d’une certaine marque d’un smartphone avec d’autres marques et leurs applications), en postulant l’avidité comme une caractéristique tout à fait positive („Geiz ist geil“, pour reprendre le slogan d’un magasin connu), en intégrant dans les produits des failles afin qu’elles ne fonctionnent plus après une certaine durée d’usage (obsolescence programmée). L’influence de la politique néolibérale sur le mode de pensée des citoyens s’exprime aussi par le fait qu’ils ne veulent plus se faire „dicter“ par l’Etat ce qu’ils peuvent faire ou non, même lorsqu’il s’agit de mesures pour protéger l’environnement ou de réduction des déchets par une consommation durable.

Logiquement, comme les régimes autocrates, l’industrie n’aime guère des citoyens à l’esprit critique. Car celui-ci nous mène à nous poser des questions sur nos modes de consommation, sur le fonctionnement de nos économies de marché, sur les méfaits des entreprises multinationales, et d’y creuser davantage. Il est donc peu surprenant que les partis et leaders d’extrême droite, et la grande industrie peuvent faire bon ménage. L’AfD utilise son discours anti-immigration pour cacher ses visions économiques libérales, loin de protéger les couches défavorisées par la mondialisation. L’administration de Donald Trump, lui-même un businessman, met en place une politique franchement néolibérale et antisociale. En même temps, Trump prolifère des paroles sexistes, homophobes, racistes et incitant à la violence. Au Brésil, le gouvernement conservateur sortant de Michel Temer favorisait et était soutenu par les grandes entreprises, tandis que les dépenses pour l’éducation, la recherche et la culture ont été fortement réduites. La présidence de l’extrémiste Jair Bolsonaro ne mettra certainement pas un terme à cette politique, mais la renforcera même.

Ce que ces idéologies et ces personnages ont en commun, c’est le je/nous contre lui/elle/eux. L’hyper-individualisme est donc très bien compatible avec le nationalisme et ses adeptes, qui postulent la mise en exergue et la défense d’une communauté identitaire. Mais uniquement en apparence, puisque le nationalisme construit une pseudo-solidarité à travers sa vision essentialiste d’une communauté: on choisit un trait individuel (nationalité, religion, appartenance ethnique) afin de construire une communauté dans laquelle tous partagent ce même trait, donc sont interchangeables. Il s’agit d’une situation paradoxale d’une négation de la société par l’hyper-individualisme et, en parallèle, d’une négation de l’individualisme par une communauté artificielle dans laquelle chaque membre partage le même trait. Et pourtant, le nationalisme est un hyper-individualisme porté à un niveau supérieur, celui de la nation, précisément („America First“ comme dirait Trump).

Cet hyper-individualisme est une menace pour nos sociétés, pour la solidarité, pour la démocratie – et même pour le fonctionnement des partis traditionnels, surtout gauchistes. La social-démocratie, dont le fondement est la promotion d’une société solidaire, démocratique et juste, se trouve ébranlée par l’avènement d’un monde hyper-individualiste. Dans un monde où l’égoïsme risque de primer tout, le tissu qui maintient la société est progressivement déchiré: par les politiques néolibérales et les publicités qui transforment le citoyen conscient de ses droits et devoirs sociétales et politiques en un consommateur qui n’a que ses propres intérêts en tête; mais aussi par les nationalismes.
Dans ce climat anti-solidaire, les partis socialistes sont les grands perdants. Alors que leur idéologie est justement basée sur la construction d’une société solidaire dans laquelle chaque membre aurait les mêmes droits et devoirs et personne ne devrait être discriminé, l’avènement de l’hyper-individualisme démantèle cette idéologie. Car comment convaincre ses électeurs de la vision d’une société solidaire, antidiscriminatoire, et plus juste (en matière légale et sociale), lorsque ces mêmes électeurs sont exposés jour après jour à la même propagande de l’hyper-individualisme? Et surtout, comment les convaincre quand le parti socialiste lui-même a contribué à construire ce monde, ou au moins ne s’y est pas activement opposé?

En effet, l’hyper-individualisme ne renforce non seulement le nationalisme. Il donne naissance, dans les mouvements de gauche, à des femmes et hommes politiques qui ne représentent plus l’incarnation d’une idéologie pouvant rallier les électeurs derrière une cause progressiste, mais d’une technocratie et d’une Realpolitik sans substance idéologique.

Ces politicien-ne-s, certes, sont loin d’être nationalistes. Au contraire. Mais ils ne défendent plus de programme idéologique clair, à travers lequel ils critiquent le fonctionnement du monde tel qu’il est. Aux yeux de beaucoup d’électeurs, ils deviennent interchangeables et pourraient aussi bien être membres d’un parti libéral. A cela s’ajoute le fait que l’hyper-individualisme pousse bon nombre de femmes et d’hommes politiques – dans tous les partis – à s’attacher coûte que coûte à leur mandat politique et de ne pas tirer des conséquences personnelles à la suite d’une défaite électorale. Ce sont alors des individus qui se soucient davantage de leur propre carrière politique que de l’avenir du parti. Le système de vote luxembourgeois permettant la pratique du panachage favorise ces attitudes égoïstes.

Le parti socialiste souffre de cet affaiblissement de la solidarité et du démantèlement idéologique. Pourtant, il n’est pas encore trop tard pour un revirement de la tendance et faire face aux menaces de l’hyper-individualisme. Peut-être nous faudrait-il juste un peu de bonne volonté pour faire table rase du passé.

Jacques Zeyen
30. Oktober 2018 - 14.42

"avec l’affaiblissement continu de l’intervention étatique, le cadre légal et politique a perdu de sa capacité d’endiguer les caprices de la nature humaine." Exactement.Cette réalité a été constatée par Jean Ziegler il y vingt ans. "Un État qui ne prend plus ses responsabilités et qui laisse main libre à la mondialisation et ceci aux dépens des citoyens qui doivent gagner leur pain chaque jour par un travail qui n'est pas sûr,est un État qui a échoué." Les vagues de migrants qui immergent l'Europe y ajoutent largement. Il est donc facile pour des créatures comme Trump ou Bolsonaro etc. de remporter des victoires.Ils sont élus par des gens qui ont peur de l'avenir.

roger wohlfart
30. Oktober 2018 - 14.08

Question rhétorique: à qui la faute? Sûrement pas aux électeurs/trices!