„Capharnaüm“, un Prix du jury à Cannes qui verse trop dans le pathos

„Capharnaüm“, un Prix du jury à Cannes qui verse trop dans le pathos

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«Capharnaüm» de Nadine Labaki commence très fort, avec une scène au tribunal où un jeune garçon (Zain Al Rafeea), d’âge inconnu car ses parents n’avaient pas assez de sous pour déclarer sa naissance, porte plainte contre ses procréateurs. Le chef d’accusation? Il veut qu’ils soient jugés pour l’avoir mis au monde, statuant ainsi un exemple contre tous ces parents qui n’ont ni les moyens ni même l’envie de s’occuper de leur progéniture.

Et le film nous plonge, dans une (trop) longue et choquante analepse, dans l’enfance de Zaïn, où des parents noyés dans la pauvreté vendent leur fille, alors qu’elle est à peine âgée de douze ans, à l’épicier du coin, un homme à la libido inquiétante dont le rusé Zaïn a vite percé à jour les intentions graveleuses.

Et Zaïn, choqué par les manigances sans scrupules de sa famille, décide de partir dans la jungle de la ville pour une fuite en avant sans répit ni espoir véritable, au cours de laquelle le garçon rencontrera Cafard-Man, un vieillard qui dirige une sorte de parc d’attractions, une mère solitaire et sans papiers, des passeurs criminels ainsi qu’un jeune enfant de deux ans dont il finira par avoir la garde.

S’il y a une certaine poésie triste à voir avec quelle inventivité Zaïn parvient à tenir leurs têtes hors de l’eau, avec quelle ruse il bricolera, avec des bribes de mots et de déchets, des moyens de survie – avec une planche de skate et une casserole, il trouvera un moyen de locomotion pour le petit, avec une rhétorique sans faille, il leur obtiendra le statut de réfugiés syriens qu’ils ne sont pas –, le tout s’étire malgré tout un peu trop en longueur.

Si on était enclin à passer l’éponge sur ces longueurs, la fin, si elle ne ruine pas le film, est lestée d’un pathos qui laisse néanmoins un goût amer dans la bouche. Après deux heures d’horreur, l’on est évidemment content de voir que les choses s’éclaircissent vers la fin, mais fallait-il vraiment ce montage en parallèle recouvert par des soupes de violons alors que ce film, dur, émouvant, n’en avait nullement besoin? N’est-ce pas transiger avec la misère des destins montrés, à les instrumentaliser que de les tourner ainsi dans un ordonnancement quasi-hollywoodien, avec happy-end à l’appui quand on sait que, pour les Zaïn de ces mondes, les happy-ends sont très peu nombreux? Voilà une des raisons pour lesquelles le choix du Prix du jury pour ce film paraît fort contestable. D’ailleurs, si le film aura du succès auprès d’un public qui aime de tels «tearjerkers» afin de se rassurer sur son aptitude à l’empathie, il n’en est pas moins que, formellement et esthétiquement, il n’y a rien à en tirer.