Les jusqu’au-boutistes

Les jusqu’au-boutistes

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Des marginaux, des opportunistes, des criminels: c’est ainsi qu’ont longtemps été désignés les Luxembourgeois qui avaient collaboré avec le régime nazi. Ces stéréotypes ont permis à la société d’oublier combien elle avait été divisée. Ils ont aussi masqué le fait que certains Luxembourgeois avaient été des nazis purs et durs, qui se sont battus jusqu’à la capitulation sans conditions du Reich.

De Vincent Artuso

En septembre 1944, le Luxembourg était libéré par l’armée américaine. La guerre n’était pas finie pour autant – ni la collaboration avec le Troisième Reich. Des historiens comme Emile Krier, Paul Dostert et Benoît Majerus ont estimé que quelque 10.000 Luxembourgeois s’étaient enfuis vers l’Allemagne au moment de la libération – 3.500 collaborateurs et les membres de leurs familles.

La première raison qui les avait poussé à partir était la peur. Pendant quatre ans ils avaient apporté leur appui à l’administration du Gauleiter Gustav Simon, lui avaient permis de contrôler le territoire. Ce sont eux qui diffusaient la propagande du régime vers le bas et faisaient remonter les informations sur l’attitude de leurs voisins vers le haut. Au fil du temps, l’Allemagne manquant de plus en plus d’hommes, ils avaient joué un rôle croissant dans la répression et le maintien de l’ordre.

La haine contre ceux qui avaient épié, souvent dénoncé, parfois arrêté, peut-être maltraité était incommensurable. La soif de vengeance était grande et le danger réel pour les pro-allemands. Quelques centaines de réfractaires avaient été organisés en milice par l’Unio’n – le mouvement unitaire de la résistance. Ces jeunes hommes avaient pour la plupart reçu une instruction militaire en Allemagne, certains avaient l’expérience du combat et beaucoup avaient emporté leur arme de service au moment où ils avaient déserté.

Un départ brutal et chaotique

A la fin de l’occupation, la résistance s’était donc militarisée. Face à eux, les collaborateurs avaient eux aussi progressivement été armés. Ainsi, à l’hiver 1944, les autorités avaient créé la Politische Leiterstaffel, une organisation paramilitaire composée de cadres du parti nazi et du mouvement collaborationniste Volksdeutsche Bewegung (VdB). Vue la situation tendue, cet ultime carré de fidèles luxembourgeois du régime nazi relevait autant de l’unité supplétive que de la milice d’autodéfense.

Dans ce contexte, c’est dans une atmosphère de guerre civile qu’eut finalement lieu l’exode des pro-allemands. A Esch, équipés de pistolets-mitrailleurs et de casques de fer, ils avaient réquisitionné des camions dans lesquels ils avaient entassé leurs biens – et parfois ceux des autres. Dans les heures précédant leur départ certains commerces, dont le magasin de textiles Otto Suck, avaient été vidés. Au moment où la colonne quittait la ville, il y eut des coups de feu mais personne ne fut blessé.

En d’autres endroits du pays il y eut par contre des morts. A Grevenmacher, par exemple, un collaborateur notoire abattait son voisin et le fils de celui-ci, la veille de son départ. Après la guerre, il déclarera avoir agi, en quelque sorte par légitime défense préventive… Ses deux victimes auraient menacé de lui faire la peau une fois les Allemands partis.
C’est à Dudelange que les événements les plus sanglants ont eu lieu. Les autorités nazies avaient quitté la ville dans la nuit du 1er au 2 septembre. La milice de l’Unio’n était alors sortie de l’ombre et avait capturé 53 membres du parti nazi et du parti fasciste italien. Après une procession humiliante dans les rues de la ville, les prisonniers avaient été enfermés dans le sous-sol de l’hôtel de ville. Mais à ce moment, l’armée américaine était encore loin du Bassin minier, contrairement à certaines unités allemandes.

Le lendemain, 20 SS, appuyés par des hommes de la Politische Leiterstaffel, réapparurent à Dudelange. Après avoir libéré leurs camarades, ils exercèrent des représailles sur la population. Six personnes furent abattues ce jour-là, trois autres dans les jours suivants.
A part la peur, un autre facteur a été décisif dans le départ des collaborateurs: la volonté de continuer la lutte jusqu’au bout. Eux qui étaient traités de „Preisen“ par leurs compatriotes, se considéraient en effet comme des Allemands. Pour beaucoup ils avaient même obtenu la nationalité allemande. En septembre 1944, ils n’ont pas fui leur pays, ils se sont retirés dans sa partie non-occupée.

Réinstallés de l’autre côté de la Moselle, dans une région rurale, de tradition catholique, qui était restée fidèle au Zentrum jusqu’à la prise de pouvoir des nazis, ils furent confrontés à une réalité déconcertante. L’un d’entre eux, Henri O., raconta après la guerre: „Quel ne fut pas mon étonnement de découvrir que dans le Reich tout était bien différent de ce que les huiles du Parti nous avaient raconté. J’étais en effet fermement convaincu que tout le monde s’y saluait par ,Heil Hitler‘. Mais ce n’était pas le cas. Personne n’appréciait les nazis et les gens ne se saluaient pas autrement que par bonjour et bonsoir. C’est à ce moment que je me rendis compte que j’étais un salopard. Je restai donc bien tranquillement chez le paysan en question (celui qui l’avait engagé) en attendant l’arrivée des Américains, tout comme les paysans allemands.“

L’heure de la revanche

Tous ne se laissèrent cependant pas décourager. Certains répondirent à l’appel du chef de la VdB, Damien Krazenberg, et rejoignirent les rangs du Volkssturm – une milice composée essentiellement de vieux et de gamins mal armés. D’autres contribuèrent à la préparation de la Bataille des Ardennes.

Les pro-allemands étaient les candidats parfaits pour des missions de reconnaissance sur la ligne de front adverse. Renvoyés de nuit au Luxembourg, ils devaient y de collecter des informations sur les forces américaines, observer l’attitude de la population et découvrir l’identité des membres de l’Unio’n. Pour eux l’enjeu n’était pas uniquement de reconquérir la terre natale mais de solder les comptes de l’été précédent.

Les divisions de Panzer se lancèrent à l’assaut dès le 16 décembre 1944 et progressèrent rapidement vers la Meuse. Le tiers nord-est du pays fut ravagé et de nouveau occupé. Dès les premiers jours, il y eut des exactions. Dénoncés par des espions luxembourgeois, les deux chefs de l’Unio’n de Clervaux furent arrêtés et exécutés.

Une foi inébranlable

Il y eut aussi une série de rafles musclées autour de Bollendorf, où sévissait un commando de la Sipo-SD – ce qu’on appelait alors la Gestapo – composé pour partie d’agents luxembourgeois. Au cours de descentes dans les localités de Beiler, Leithum et Lieler, une douzaine de résistants furent capturés et déportés en Allemagne. L’un d’entre eux n’en revint pas vivant.

Ces éléments indiquent que les collaborateurs n’avaient pas uniquement agi par opportunisme. C’est un cliché d’après-guerre. Aussi déplacé que cela puisse paraître aujourd’hui, beaucoup d’entre eux se voyaient comme des idéalistes. Ils croyaient en l’Allemagne nazie et lui sont restés fidèles jusqu’à la fin. Après la guerre, du fonds de sa prison, Eugène Ewert, l’un des principaux propagandistes de la VdB, trouva des mots amers pour décrire son jusqu’au-boutisme: „Dann aber verankerte sich der neue Glaube um so fester in mir. So fest, dass mich auch die fortgesetzten Auseinandersetzungen mit den Trägern und Propagierern jenes Glaubens, die ich leider zum Teil als minderwertige und brutale Fürkämpfer sehr eigennütziger Ziele kennen und verachten lernte, so wie auch die schlimmsten militärischen Niederlagen Deutschlands, mich nicht erschütterten und von dem als richtig geglaubten Weg abbringen konnten. Und weil ich diesen Glauben hatte, hoffte und glaubte ich auch an den Sieg der deutschen Sache bis zur letzten Stunde. Heute allerdings sind Glaube und Hoffnung hin. Zurückgeblieben ist nichts als ein deutsches Reich in schrecklichen Trümmern, ein deutsches Volk in der größten Not, für mich eine große Leere.“