Iran: Il y a 40 ans s’installait le régime islamique de Téhéran

Iran: Il y a 40 ans s’installait le régime islamique de Téhéran

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Il y a exactement 40 ans aujourd’hui, le 11 février 1979, l’ayatollah Khomeini, revenu à Téhéran après un exil de quinze années, déclarait officiellement la fin de la monarchie iranienne, et mettait en place un gouvernement provisoire. Le 1er avril suivant, un référendum lui permettrait à la fois d’être désigné comme „Guide suprême de la Révolution“, et d’instaurer la „République islamique d’Iran“. Une page de l’histoire perse se tournait, une autre s’ouvrait, dont les incertitudes n’ont pas fini de préoccuper les démocraties occidentales … et ses voisins orientaux.

Par Bernard Brigouleix

Il en va de la dictature des mollahs comme de beaucoup d’autres: elle a vu le jour dans la liesse populaire. Car le régime du shah Mohammad Reza Pahlavi qu’elle a renversé était devenu, lui, très impopulaire. Dès 1963, des émeutes avaient éclaté, au cours desquelles, d’ailleurs, Khomeini avait commencé à faire parler de lui. Huit ans plus tard, en 1971, les fastueuses cérémonies du 2.500e anniversaire de la fondation de Persépolis en 521 avant J.-C. par le roi Darius Ier, mais aussi, d’une certaine façon, de la monarchie, avaient ensuite suscité la colère des classes modestes. Au point que le président français Georges Pompidou, et la reine Elisabeth d’Angleterre, avaient finalement préféré s’y faire représenter, d’autant plus que l’opposition au régime était traquée avec acharnement.

Le régime Pahlevi, d’abord inconscient puis affolé par la colère d’une grande partie de la population, se lance dans une fuite en avant en durcissant la répression avec sa toute-puissante police politique, la Savak, puis dans la fuite tout court: le shah et sa famille quittent précipitamment l’Iran le 16 janvier 1979. Le 1er février, Khomeini revient en Iran sous les acclamations … même si, dès son retour, beaucoup de divergences existent dans le pays quant à l’orientation politique à donner à l’Iran post-monarchique.

Affirmation sur la scène internationale, affairisme et corruption

Mais les islamistes sont les plus prompts à s’organiser, dès le mois de mai suivant, autour des „Gardiens de la Révolution“, lesquels prennent le pouvoir dans tous les gouvernements locaux du pays, et font tourner à plein régime les tribunaux révolutionnaires chargés de liquider, d’abord les dignitaires de l’ancien régime, y compris les cadres de l’armée – ce que Téhéran paiera cher quand en septembre 1980 l’Irak voisin, lorgnant sur les sites pétroliers du Khouzistan tentera d’envahir l’Iran – puis les opposants républicains de toutes tendances qui osent se montrer hostiles à l’omnipotence des religieux.

S’installe alors le sentiment que le peuple iranien n’a fait, au fond, que changer de dictature, troquant celle d’un monarque absolutiste mais relativement moderniste, contre celle d’une faction sectaire et brutale du chiisme. En marge de laquelle reparaissent d’ailleurs assez vite un affairisme et une corruption qui gangrènent la société iranienne du haut en bas de l’échelle sociale, et dont les grandes sociétés industrielles, pétrolières notamment, sauront tirer le meilleur parti financier.

Outre la guerre contre l’Irak, qui se soldera malgré le soutien occidental à Bagdad par un sanglant match nul – environ 500.000 morts au total – d’autres événements internationaux vont compliquer la vie du nouveau régime islamiste. A commencer par la prise en otage du personnel de l’ambassade des Etats-Unis, le 4 novembre 1979, qui durera jusqu’au 20 janvier 1981. Si l’opération héliportée de libération lancée par le président Carter se solde par un terrible fiasco en plein désert, les Etats-Unis n’en décident pas moins de lourdes sanctions économiques contre Téhéran.

Dix ans plus tard, durant la deuxième guerre du Golfe, Saddam Hussein envahissant le Koweït, l’Iran reste neutre, et offre même, lors de l’offensive américaine, quelques facilités aux Irakiens. Entre temps, Khomeini est mort, le 3 juin 1989, et l’instance chargée de désigner son successeur a choisi pour lui succéder comme Guide de la Révolution le président sortant, l’ayatollah Ali Khamenei, considéré comme un „dur“ du régime et que ses pieuses dispositions d’esprit n’empêcheront pas d’amasser, au fil des ans, une fortune estimée à 95 milliards de dollars …

Au-delà des péripéties étrangères il y a la faillite économique

Deux autres événements vont donner à Téhéran l’occasion de s’affirmer plus positivement sur la scène internationale. Accusé de chercher à se doter de l’arme nucléaire, un secteur où il développe déjà d’abondantes recherches civiles, le régime des mollahs joue finalement le jeu des négociations, et des inspections de l’Agence internationale de l’énergie atomique, et aboutit à un accord avec le „Groupe des Cinq+1“ (USA, Russie, Chine, Russie, France et Allemagne). D’autre part, la guerre en Syrie replace l’Iran parmi les acteurs diplomatiques et militaires majeurs de la région, au grand dam des occidentaux. Parmi lesquels Donald Trump adopte une nouvelle fois une attitude déconcertante, puisque tout en rétablissant des sanctions économiques dans lesquelles il embarque de force ses alliés, il annonce un retrait américain qui ne peut que favoriser l’Iran.

Mais au-delà de ces péripéties étrangères, où le régime né il y a quarante ans a eu sa part de succès et de revers, son véritable échec, le plus préoccupant pour son avenir, c’est sa jeunesse. C’est elle qui a si fortement contesté la réélection (certainement) truquée de Mahmoud Ahmadinejad à la présidence en 2009, s’exposant une répression qui a coûté la vie à plusieurs centaines de jeunes protestataires, et la liberté à au moins 2.000 autres. C’est elle qui a ensuite contribué de manière décisive à l’élection du „modéré“ Hassan Rohani en 2013, contre la pression des hauts dignitaires. C’est elle encore, et surtout, qui à l’évidence ne se satisfait plus du discours des religieux, tant sur la société, dont l’intégrisme chiite veille à bloquer toute évolution, que sur la culture, l’enseignement, l’ouverture vers l’Occident … et l’économie.

Car dans ce domaine-là aussi, la dictature des mollahs ressemble finalement à beaucoup d’autres: arrivée au pouvoir grâce à une révolte populaire contre un système terriblement inégalitaire, elle a rapidement perdu la confiance de l’opinion parce qu’elle a finalement reproduit un schéma d’organisation assez voisin. L’ouverture sur le monde en moins, et l’obscurantisme religieux en plus.

Cette jeunesse iranienne suffoque sous la double pesanteur de la faillite économique du régime, et du manque de perspectives qu’il lui présente. Aujourd’hui, un quart de ses quelque 82 millions d’habitants a moins de quinze ans. Et l’avenir de la „République islamique d’Iran“ dépend très largement, quoi qu’en pensent aujourd’hui les dignitaires du régime campés sur leurs privilèges, de ce que cette jeunesse impatiente en fera le jour où elle pourra s’exprimer complètement.